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Au Musée national d’histoire de Taïwan, inauguré en 2011
* 4000 avt JC : présence attestée des ancêtres austronésiens des Aborigènes de Taïwan
* XIIe-XIIIe s. : installation permanente de pêcheurs chinois dans l’archipel des Penghu (nommé Pescadores, « l’île des Pêcheurs » par les Portugais, au milieu du détroit de Taïwan)
« Formose« , « Ilha Formosa » entre dans une histoire régionale de la première mondialisation (Epoque moderne)
* v.1540-1542 : les Portugais nomment l’île « Ilha Formosa (美麗島 , meilidao)» « la Belle Île ». Pendant toute la Guerre froide, « Formose » sera l’appellation la plus courante en Occident pour nommer Taïwan et le régime de TCHANG Kaï-chek.
* Fin XVIe : installation permanente de groupes de Chinois du Fujian (Fuzhien) sur des enclaves côtières de la côte sud-ouest de Taïwan. Les rapports de cohabitation avec les tribus aborigènes peuvent devenir conflictuels autour des questions foncières.
* 1603 : première description des Aborigènes de Taïwan par le lettré chinois Chen Di à l’occasion d’une mission anti-piraterie envoyée par les Ming dans la baie d’Anping (l’actuelle Tayouan, centre-ouest)
* 1609 : Le shogunat Tokugawa envoie une mission d’exploration japonaise à Taïwan (Takayamakoku en japonais, « Le pays de la haute montagne ») . Mais une tentative d’implantation japonaise est repoussée par les Aborigènes en 1616.
* 1624 : Arrivés de Batavia (l’actuelle Djakarta, Indes néerlandaises), installés depuis 1604 dans l’archipel des Pescadores (détroit de Taïwan), avant d’en être chassés par les Ming en 1624, les Hollandais de la Compagnie des Indes Orientales (VOC) construisent deux forts sur la côte occidentale de Taïwan, et produisent les premières cartes de l’île. Des missionnaires protestants entreprennent d’évangéliser les Aborigènes. Les Hollandais font venir des colons chinois pour la mise en valeur des terres littorales et les plantations de riz et de sucre : il s’agit majoritairement de Hoklo du Fujian, les Hakka du Guandong arrivant ultérieurement. En 1635, les Hollandais engagent une « campagne de pacification » contre la résistance aborigène. En 1652, ils sont confrontés à une vaste révolte des travailleurs chinois, réprimée avec l’aide de tribus aborigènes (la population chinoise dans l’île est estimée à 20 à 25000 personnes). L’un des produits alors les plus recherchés par les Hollandais sont les peaux de daim troquées avec les Aborigènes avec ou sans l’intermédiaire des Chinois.
* 1626 : arrivés du Gouvernorat des Philippines (à Luzon / Luçon) , les Espagnols débarquent au nord de l’île de Taïwan, y installent plusieurs forts et des missions catholiques. Ils sont, eux aussi, confrontés à des attaques aborigènes en 1636. Les Hollandais expulsent les Espagnols de Taïwan en 1642.
* 1661 : l’aventurier (pirate, marin, général) sino-japonais Koxinga (Zheng Cheng-gong, 1624-1662) en lutte contre la dynastie mandchoue des Qing en Chine débarque à Taïwan (il avait décrété son autorité sur les Chinois de l’île dès 1655), et force les Hollandais à quitter Taïwan en 1662. Les Hollandais reviennent brièvement entre 1664 et 1668. Koxinga est célébré comme « héros national » (minzu yingxiong) et par le Kuomintang (qui lui érige une grande statue et un musée à Taïnan en 1961), et par le Parti communiste chinois, car son arrivée marque l’entrée de l’île dans l’espace impérial chinois des Ming. En 2003, sous le gouvernement vert du président Chen, l’exposition « Ihla Formosa. L’émergence de Taïwan sur la scène mondiale au XVIIe siècle » insistera plutôt sur les origines personnelles pour le moins composites du personnage (il est le fils d’un commerçant-pirate des mers chinois mais baptisé catholique (Nicholas Iquan), et d’une mère japonaise), qui règnera de manière éphémère qui représenterait plus le multiculturalisme de l’archipel que son entrée réelle dans le giron chinois, qu’il conviendrait de dater plutôt de 1887, quand Taïwan accède pour la première fois au statut de province chinoise…
* 1683 : les troupes mandchoues (de la dynastie Qing) l’emportent à Taïwan sur les Zheng, héritiers de Koxinga. L’année suivante, Taïwan devient une préfecture dépendant de la province impériale du Fujian, placée sous l’autorité de gouverneurs chinois, et de fonctionnaires et de soldats exclusivement continentaux. Au XVIIIe siècle, plusieurs révoltes chinoises (1721, 1787) ou aborigènes (1731) sont écrasées par des troupes venues du continent. Le contrôle du pouvoir de Pékin s’exerce essentiellement sur les zones côtières et les plaines occidentales.
* 1739 : les territoires des Aborigènes des montagnes sont délimités par une ligne frontière, et interdits d’accès aux Chinois. L’interdiction ne sera levée qu’en 1875, après « l’Incident de Mudan« .
* 1858 : par le traité de Tianjin signé avec la dynastie Qing, la France et l’Angleterre obtiennent l’ouverture des ports de Keelung, Tamsui, Kaohsiung et Anping (l’actuelle Tayouan) au commerce international. Ce processus d’ouverture forcéee est comparable à ce que les Puissances imposent à Pékin pour les ports du continent, et que les Américains ont imposé au pouvoir shogunal japonais lors de l’épisode des « Vaisseaux noirs du Commodore Perry » (1853-1854). Londres ouvre un consulat à Kaohsiung (sud) en 1865. Le traité sino-russe de Tianjin ouvre les trois ports de Keelung, Taïnan et Kaohsiung aux navires russes. La Russie est particulièrement intéressée par le commerce du thé.
* Fin 1868, « guerre du camphre ». Une force navale britannique bombarde le port d’Anping (l’actuelle Tayouan) pour obtenir la fin du monopole chinois sur le camphre de Taïwan, une des principales ressources de l’île. Il s’ensuit le «Règlement du camphrier » au bénéfice des Britanniques. Le camphre restera une ressource essentielle de l’île, valorisée par le gouverneur LIU Mingchuan (1885-1891), puis par le colonisateur japonais, qui en modernisera l’exploitation au détriment des techniques traditionnelles.
* Années 1870: les Japonais prennent peu à peu le contrôle des îles Ryūkyū (琉球諸島, Ryūkyū shotō), l’archipel qui s’étire entre le Japon et Taïwan, et dont lîle principale est Okinawa. Alors que les rois de Ryūkyū payaient depuis plus d’un siècle tribut à la fois aux Qing de Pékin et aux shogun d’Edo, le gouvernement de Meiji place en 1872 les Ryūkyū sous la juridiction du ministère des Affaires étrangères, puis en 1875 sous celle du ministère de l’Intérieur. En 1879, le gouvernement Meiji, soutenu par un arbitrage américain favorable, annexe les Ryūkyū, et établit une préfecture à Okinawa. A proximité immédiate donc de Taïwan.
* 1871-1874: L’incident de Mudan et les Japonais: pour se protéger d’un typhon, des pêcheurs des îles Ryukyu (royaume archipélagique dépendant du Japon) débarquent au sud de Taïwan. 54 d’entre eux sont tués par les Aborigènes Paiwan à Mudan. Les Japonais débarquent un corps expéditionnaire en 1874 pour « venger les pêcheurs », et affrontent les Paiwan. Ils sont aidés par d’autres groupes aborigènes. Ils veulent se faire reconnaître des droits sur Taïwan, mais l’empereur Qing, avançant que les Aborigènes ne sont pas contrôlés par le pouvoir chinois dans cette région, préfère verser une indemnité. Le gouverneur chinois lève la délimitation des territoires aborigènes en 1875, et envoie des troupes dans les villages aborigènes. L’expédition de Taïwan fait l’objet d’une propagande pré-coloniale dans l’archipel nippon, et sera valorisée dans la période coloniale (par exemple lors de la grande Exposition de Taïwan de 1935).
* 1881-1885 : guerre franco-chinoise à propos du contrôle du Fleuve Rouge, de l’Annam et du Tonkin. Une partie du conflit se déroule autour de Taïwan en 1884-1885. La marine française entreprend le blocus de plusieurs ports taïwanais, en particulier celui de Keelung (nord de Taipei). Un premier débarquement des troupes de marine échoue en août 1884, avant la prise de Keelung en octobre. Mais le corps expéditionnaire français est décimé à la fin de l’année par une épidémie de choléra et de typhoïde. Le statu quo ante est rétabli au printemps 1885, et le conflit se concentre aux Pescadores. L’amiral Courbet meurt du choléra à Makung (Pescadores/Penghu) en juin 1885, épisode chroniqué par le lieutenant de vaisseau Julien Viaux (alias Pierre Loti), présent de 1883 à 1885 dans l’expédition tonkinoise, et aux Pescadores.
Taïwan, province de l’Empire de Chine (1885-1895)
* 1885 : Taïwan devient une province chinoise avec Taipei comme capitale. Le gouverneur LIU Mingchuan (1884-1891) entreprend une première modernisation des infrastructures de l’île. La première ligne de chemin de fer ( du port de Keelung à Taipei) est inaugurée en 1891. Cet épisode est abondamment valorisé dans l’historiographie communiste continentale (largement pour souligner l’appartenance historique de Taïwan à la Chine), et dans l’historiographie du Kuomintang (pour la même raison), toutes deux cherchant à occulter la modernisation majeure opérée par les Japonais pendant la période coloniale (1895-1945).
Un demi-siècle de colonisation japonaise (1895-1945)
* 17 avril 1895, traité de Shimonoseki : défait militairement à l’issue de la guerre sino-japonaise (1894-1895), l’empereur Qing cède Taïwan et les Pescadores au Japon.
* 23 mai-21 octobre 1895: éphémère République de Formose. Par refus du traité de Shimonoseki, des notables taïwanais et chinois proclament une « République de Formose », anti-japonaise et pro-chinoise. Dirigée par TANG Jingsong puis LIU Yongfu, « L’Etat démocratique de Taïwan » se veut autonome, mais non indépendant, et se proclame « vassal de l’Empereur Qing [alors l’impératrice douairière Cixi] ». Ses dirigeants espéraient obtenir le soutien de puissances étrangères, en particulier la France. Face à l’avancée japonaise, la capitale est transférée de Taipei à Taïnan. Les Japonais se heurtent à une vive résistance militaire et de guérilla, mais submergent les Républicains. Le drapeau de la République (désormais « trésor national ») figurait un tigre jaune. La République de Formose, se réclamant de Pékin, n’est pas directement revendiquée par les indépendantistes taïwanais contemporains, même si plusieurs de ses dimensions peuvent apporter certains arguments à l’indépendantisme.
* 1895-1915: résistances à la colonisation japonaise et crimes de la colonisation. Les ouvrages (anciens ou contemporains) favorables à la colonisation japonaise sous-estiment très souvent les difficultés qu’ont rencontré les Japonais à assurer leur contrôle sur Taïwan. Car ils ont été confrontés à une résistance politique et militaire générale en 1895; à des résistances et révoltes régionales et/ou tribales aborigènes en 1900, 1901, 1902, 1903, 1906, 1915, 1917, 1930-1931, 1934 et 1937.. Dans la littérature japonaise ou des témoins occidentaux, les résistants sont systématiquement qualifiés de « bandits« , ce qui justifie dès lors qu’on leur applique une justice expéditive.
* 1895 et 1905: des interventions russes contre le Japon à Taïwan? Les archives diplomatiques russes renferment pour 1895 des courriers de notables taïwanais sollicitant une intervention russe pour contrer l’intervention coloniale japonaise. Mais Saint-Petersbourg se satisfait de la garantie japonaise du maintien de la libre-circulation maritime internationale dans le détroit de Taïwan. En 1904-1905, pendant la guerre russo-japonaise, des diplomates russes et chinois auraient envisagé -sans suites – d’organiser une insurrection anti-japonaise à Taïwan pour ouvrir un front secondaire contre Tokyo.
* 1895-1945: Colonisation de Taïwan par le Japon. Régime colonial autoritaire et répressif, mais intégrateur. La première période (1895-1915) est marqués par les acteurs de « l’association » (les Taïwanais doivent rester des colonisés, sans les droits constitutionnels de la métropole), alors que l’ère Showa est marquée par des politiques « d’assimilation » (Les Taïwanais ont vocation à devenir citoyens japonais en même temps que sujets de l’Empereur) . Taïwan a vocation à être la « colonie modèle » du Japon. Dans la logique du colonialisme de l’époque, les réalisations japonaises en matière de « modernisation » et « nipponisation » de l’île sont importantes. Elles sont à la fois infrastructurelles, économiques, urbanistiques, hygiénistes, culturelles (scolarisation, langue japonaise, usages sociétaux). L’héritage en est important. Après 1945, et malgré la double propagande anti-japonaise du Kuomintang pendant quatre décennies, et des communistes de Pékin jusqu’à aujourd’hui, Taïwan est le seul pays d’Asie dont la population garde très majoritairement une image positive de la « période japonaise » (malgré des contentieux insulaires au nord-nord-est).
* 1905 : recensement de la population : 3 039 751 résidents, dont 2 492 784 Chinois et 82,795 « peuples des montagnes [Aborigènes]».
* 1921 : fondation de l’Association culturelle taïwanaise, autonomiste, d’où émergera en 1927 le Parti du peuple taïwanais (TPP). Ce sont là les linéaments d’un indépendantisme taïwanais qui ne pourra s’affirmer dans l’espace public qu’à la fin du siècle, avec la démocratisation politique.
* Années 1920-1930 : Les Chinois ont interdiction de pénétrer en territoire aborigène (réserves). Certains villages aborigènes sont relocalisés pour être plus accessibles et donc contrôlables. En 1923, le pouvoir colonial remplace la formule « Barbares des montagnes » par « Tribus des montagnes ». Désenclavement de certaines zones de montagne pour l’exploitation forestière (chemin de fer d’Alishan). Au début des années 1930, répression de révoltes aborigènes (révolte des Seediq de Wushe, menés par Mona Rudao, 1930-1931), contre la surexploitation coloniale et les exactions de certaines autorités – qui forment parallèlement des milices indigènes pro-japonaises.
* A partir du milieu des années 1930, les acteurs du militarisme nippon entendent inculquer aux élèves « l’esprit japonais », à des fins d’assimilation ou japonisation (dôka : éducation et harmonie) et de soumission à l’empereur (kôminka). Pour la première fois, les Taïwanais élisent des représentants locaux à la Diète de Tokyo. Au contraire de la doctrine en vigueur au début de la colonisation, Tokyo engage un processus d’assimilation.
* Automne 1935 organisation de « L’Exposition de Taïwan. En commémoration du 40e anniversaire du régime colonial ». Elle marque symboliquement l’apogée de la période coloniale, avant l’entrée de l’Empire dans la guerre asiatique. Les sites principaux sont à Taipei, mais avec des antennes dans toute l’île. Les Taïwanais sont encouragés à venir à Taipei par des billets de train spéciaux, des forfaits de groupes, etc.. Et les Japonais sont invités à venir découvrir « l’Île au Trésor, la perle de l’Empire ». Les 50 jours de l’Exposition auraient vu défiler largement plus de 2 millions de visiteurs, pour une population totale de 5,2 millions. L’Exposition se veut une vitrine de la modernité, avec des pavillons construits en style néo-classique ou moderniste Art Déco. A l’instar d’autres expositions impériales, dont bien sûr l’Exposition coloniale française de 1931 des « villages indigènes » exhibant des « primitifs, sauvages vivants» en costumes, à civiliser encore, mais dont les prestations dansées sont très appréciées du public nippo-taïwanais. Globalement, les Japonais sont le modèle auquel les Taïwanais doivent [devraient] et peuvent aspirer, pour passer du statut colonial au statut de la citoyenneté et d’appartenance à la nation impériale.
* Décembre 1941 : après Pearl Harbor, la République de Chine rejoint les Alliés occidentaux et entre en guerre contre le Japon (dont l’Empire colonial intègre Taïwan), l’Allemagne et l’Italie.
* 1942-1943 : campagnes d’appel à l’engagement volontaire dans l’armée impériale japonaise. On distingue deux catégories de Taïwanais. Au sein du Corps des volontaires formosans (Takasagozoku giyūtai, 高砂義勇隊,Formosan Volunteer Corps) se trouvaient principalement des contingents aborigènes, recrutés dès le début de la guerre, versés dans des unités de combat de jungle (Jungle Warfare Units), et envoyés essentiellement aux Philippines, en Indonésie et dans les archipels du Pacifique. Plus tard (à partir de 1942), Tokyo fera appel à la conscription volontaire des Formosans pour l’armée impériale (台籍日本兵), pour le service au combat ou non-combattant (dans les usines de guerre, la logistique, etc.). Le futur président LEE et son frère appartiennent à ce deuxième groupe de conscrits volontaires. Des liens d’anciens combattants perdureront jusqu’à nos jours, des vétérans taïwanais se rendant au sanctuaire Yasukuni de Tokyo [très critiqué en Asie pour apologie de l’impérialisme nippon et de certains criminels de guerre] pour rendre hommage aux morts taïwanais des guerres japonaises.
* Décembre 1943 : « Conférence du Caire ». Les Alliés (F.D. Roosevelt, W. Churchill et Tchang Kaï-chek) évoquent l’idée d’une rétrocession à la Chine des « territoires volés par le Japon ». La « Déclaration du Caire », régulièrement mise en avant par Pékin depuis 1950 pour exiger le retour de Taïwan dans le giron chinois n’a, en réalité, jamais existé. Sinon sous la forme d’un point de presse des porte-parole indiquant aux journalistes les thèmes des discussions. Tchang Kaï-chek avait déjà quitté le Caire pour rentrer en Chine.
* 31 mai 1945: bombardement de Taihoku (Taipei) par l’aviation américaine. Celle-ci avait commencé à bombarder des objectifs militaires et industriels depuis 1943. Mais les 3 heures et les 3800 bombes du raid du 31 mai 1945 frappent directement la capitale, laissant plus de 3000 victimes directes (plus que la totalité des raids antérieurs), et de très importants dégâts. Le Palais du Gouvernement général (devenu après 1949 le Palais présidentiel) est largement détruit, de même que le temple historique de Longshan, l’Université impériale, plusieurs écoles et lycées, la gare centrale et le Grand Hôtel du chemin de fer, la Banque de Taïwan, etc. Après la guerre, les manuels d’histoire de la République de Chine ont exclu cet épisode, qui aurait pu fragiliser sa relation étroite avec les Etats-Unis.
La « période autoritaire » : le Kuomintang seul au pouvoir (1945-1987)
De la rétrocession au « Grand exode » (1945-1949)
* 15 août 1945-24 octobre 1945: « La période sans gouvernement », un vide de pouvoir à Taïwan ? Il s’écoule 71 jours entre la proclamation par l’empereur Hirohito de la capitulation du Japon, la signature officielle de la reddition japonaise le 2 septembre, et l’arrivée à Taipei le 24 octobre du gouverneur Kuomintang CHEN Yi nommé (le 29 août) par TCHANG Kaï-chek pour accepter la reddition du gouverneur général japonais. Pendant les premières semaines, il semble que le gouvernement colonial japonais ait continué à fonctionner et à assurer l’ordre public. Le Kuomintang et les Américains ont envoyé des délégations réduites chargées de libérer d’éventuels prisonniers des Japonais. C’est dans cette période intermédiaire que certains notables taïwanais auraient envisagé (avec le soutien d’officiers japonais?) une indépendance de l’île. Une tentative brisée à la fois par une mise en garde du gouverneur japonais, l’arrivée d’officiers américains, et le débarquement du continent de petits contingents militaires chinois dans la deuxième quinzaine de septembre. Il faut cependant attendre le 2 octobre pour que le seul quotidien alors imprimé (en japonais), le Taiwan Shin Pao (台灣新報) publie son premier article en chinois. « La période sans gouvernement » dure en réalité jusqu’au 6 octobre, lorsque le Commandement avancé (前進指揮所) du Commandement de la garnison de Taïwan (台灣警備總司令部) s’installe et commence à publier des décrets en attendant l’arrivée de CHEN Yi.
* 28 février 1947 (2-28, er-er-ba) : A partir de « l’affaire de la vendeuse de cigarettes de contrebande [LIN Jiang-mai]», soulèvement général contre la brutalité du régime du Kuomintang continental, suivi d’une violente répression contre la population et les élites taïwanaises. L’épisode devient central dans les débats mémoriels, historiques et politiques de la fin du siècle: « Incident du 2-28» pour le Kuomintang, « Massacre du 2-28 » pour les indépendantistes.
* Le 28 février 1947, LIN Jiang-mai une veuve formosane vendeuse à la sauvette de cigarettes de contrebande, est violemment contrôlée et battue par la police fiscale du Bureau du Monopole du tabac de Taiwan devant un (une?) de ses enfants. Les faits ont lieu à Taipei dans le vieux quartier de Ta-Tao Cheng, au coin de Ningxia Road et de Nanjing West Road. C’est le début d’un engrenage sanglant : un passant à côté de LIN tué par un inspecteur en civil; mouvement de foule, tirs des policiers; manifestants attaquant des postes de police; répression policière et militaire qui embrase le pays. Les manifestants ayant pris le contrôle d’une bonne partie du pays, et ayant posé une liste de 32 demandes de mesures immédiates, le pouvoir central envoie en urgence des troupes du continent en renfort, qui écrasent la contestation dans un bain de sang (estimée entre 10000 et 30000 morts et disparus).
* 1947 : Constitution de Nankin, adoptée par la République de Chine en 1947 et toujours en vigueur à Taïwan. La République de Chine n’ayant pas disparu en 1949, ni sa Constitution avec elle, il y a continuité juridique entre sa période continentale et sa période insulaire. Ainsi, les députés élus sur le continent depuis les années 1930 et en 1947 continueront à siéger de manière inamovible au Yuan législatif de Taipei jusqu’en 1991. Le président LEE Teng-hui (pourtant président du Kuomintang) réussit alors à passer à des élections législatives au suffrage universel et territorialisé au seul archipel de Taïwan.
* 1949-1952-1968 : Japon-Taïwan : le « Groupe Blanc [Bai-tuan] (白團)» composé d’anciens officiers supérieurs japonais en Chine, a secrètement aidé à la formation des officiers supérieurs de l’armée de TCHANG Kaï-chek à Taïwan, malgré les réticences américaines. . C’est un volet très peu connu connu des relations « derrière le rideau » entretenues par TCHANG Kaï-shek avec le Japon. Nippophone, TCHANG a été élève de l’académie militaire Tokyo Shinbu Gakkō de 1906 à 1908, puis a servi comme artilleur dans l’armée impériale japonaise de 1909 à 1911. Il a combattu les troupes japonaises pendant 10 ans en Chine, mais partage l’anticommunisme des anciens officiers de l’armée impériale, dont il recrute certains comme conseillers dès 1945, puis en 1949. Les Américains, qui ont vu d’un mauvais œil cette présence militaire japonaise, ont demandé la fermeture du centre de Beitou abritant les Japonais à partir de l’installation à Taïwan de leur Groupe consultatif d’assistance militaire américain (MAAG-Formosa), le 1er mai 1951. TCHANG a réduit ses effectifs en 1952 (estimés à plus de 80 officiers au début, quelques dizaines ensuite) , mais le Groupe blanc a continué à fonctionner de fait jusqu’en 1968, et a donc formé des générations d’officiers supérieurs taïwanais.
* 1er octobre 1949, Proclamation de la République populaire de Chine (RPC) à Pékin. Le régime nationaliste s’effondre. Les institutions, le gouvernement et les assemblées se replient à Taipei (à partir du 8 décembre). Fin de l’ère continentale de la République de Chine (RDC).
* décembre 1949-début 1950: Tchang Kaï-chek (1887-1975) et les nationalistes du Kuomintang (KMT, Parti nationaliste chinois, fondé en 1912, entre autres par Sun Yat-sen, 1866-1925). se replient à Taïwan lors du « Grand exode ». Entre 0,9 et 2 millions de Continentaux (Waishengren), militaires et civils, de toutes origines géographiques. Ils s’imposent de manière brutale et autoritaire aux 6,5M de Taïwanais (Benshengren) considérés comme indépendantistes et/ou pro-japonais. Les Continentaux monopolisent le pouvoir politique et contrôlent largement l’économie. Des contingents de nationalistes continueront à arriver à Taïwan jusqu’au milieu des années 1950, en particulier les débris de l’armée installés au nord de la Birmanie et en Thaïlande (« l’armée perdue » du général LI Mi), transférés à Taïwan par un pont aérien américain. Le Kuomintang doit sans doute sa survie à la guerre de Corée, qui éclate en juin 1950, et permet à Formose de devenir un point d’appui américain important dans la politique de confinement du communisme en Asie.
* 1945-années 2000 : Le régime de la République de Chine à Taipei entend représenter toute la Chine. Taipei occupe le siège de la Chine à l’ONU jusqu’en 1971. Le Double-Ten Day (10/10) est la fête nationale, qui commémore la révolution de 1911. Politique des “trois refus” : de tout contact, de toute négociation, de tout compromis, avec Pékin.
« L’autoritarisme »: la Loi martiale et la Terreur blanche (1949-1971)
* 1949-1987: régime de la loi martiale à Taïwan à partir du 20 mai 1949. « Terreur blanche » dans les années 1950 : répression, arrestations, tortures, disparitions, fosses communes, procès, condamnations, pénitenciers, exécutions (tribunaux militaires) au nom de la lutte anti-communiste et contre l’espionnage au profit de Pékin. De très nombreux Continentaux en sont victimes.
* 1951 : Formose dans la « Première chaîne d’îles ». Conçue par le secrétaire d’État américain John Foster Dulles dans le contexte de la guerre de Corée, la « stratégie des trois chaînes d’îles » vise à l’endiguement maritime de l’URSS et de la Chine. La « première chaîne » comprend les Kouriles, la péninsule coréenne, l’archipel japonais, dont les Ryu Kyu, Taïwan, les Philippines et Bornéo. La « deuxième chaîne » comprend pour l’essentiel les archipels américains du Pacifique : Mariannes (avec Guam), les Carolines, etc. Dans les années 1980, l’amiral chinois LIU Huaqing donne pour objectif à la Marine chinoise de « dépasser la première chaîne d’îles », qui menace le libre accès de la Chine au Pacifique.
* 1951 : Etats-Unis-Corée-Taïwan : C’est la guerre de Corée (1950-1953) qui entraine l’intervention américaine dans le détroit de Taïwan, et l’arrivée du Groupe consultatif d’assistance militaire américain (MAAG-Formosa) le 1er mai 1951. Ce qui débouche sur la signature du traité de défense mutuelle entre les États-Unis et la République de Chine en 1954, confortant ainsi le pouvoir des nationalistes sur l’île.
* 8 septembre 1951 : Signé le même jour que le traité de paix de San Francisco, entré en vigueur en avril 1952, le traité de sécurité entre les États-Unis et le Japon (日本国とアメリカ合衆国との間の安全保障条約, parfois abrégé en ANPO, ou Anzen Hosho Joyaku) légalise la situation née de la défaite de 1945. Il fait partie d’une série de pactes de sécurité que les États-Unis signent alors avec leurs alliés de la zone Asie-Pacifique (Australie, Nouvelle-Zélande, Philippines) dans le cadre de leur stratégie d’endiguement du communisme en Asie. L’article 9 de la Constitution japonaise de 1946 disposant que le Japon ne peut entretenir que des « forces d’autodéfense », le traité de 1951 accorde aux Américains le droit de maintenir sans restriction des forces militaires au Japon – bases militaires et stationnement de troupes. Le Japon ne peut concéder de facilités militaires à un pays tiers sans consultation préalable de Washington. En contrepartie, les États-Unis s’engagent à défendre le Japon (y compris en le faisant bénéficier du « parapluie nucléaire » américain). L’île d’Okinawa est laissée en dehors de l’aire d’application du traité, et reste sous occupation américaine jusqu’en 1972. Le traité a été régulièrement reconduit, malgré de violentes manifestations ciblant, en particulier, la question nucléaire (1960, 1968). Deux nouvelles dispositions ont été introduites par le traité de coopération mutuelle et de sécurité entre les États-Unis et le Japon du 19 janvier 1960, moins déséquilibré que celui de 1951 : le Japon s’engage à accélérer son effort de réarmement ; et les États-Unis devront consulter Tokyo avant d’engager des opérations militaires extérieures à portée du territoire nippon. La question de Taïwan est absente des préoccupations sécuritaires japonaises jusqu’en 1979 : pour Tokyo, elle ressort de la seule autorité américaine.
* 1951, réforme agraire. Vente des terres publiques aux exploitants.
* 28 avril 1952 : Traité de paix de Taipei entre le Japon et la République de Chine. Il découle du traité de paix de San Francisco, signé l’année précédente entre les Etats-Unis et le Japon (8 septembre 1951). Le traité de Taipei rétrocède formellement la souveraineté de Taïwan à « la Chine », représentée légalement par la puissance signataire, la République de Chine. C’est le seul traité international définissant le statut international de Taïwan, au profit de la République de Chine – qui représente alors la totalité de la Chine, continent compris. Pékin exige et obtient l’annulation de ce traité par Tokyo lors de la signature du « Communiqué commun » sino-japonais de septembre 1972.
* 1952 : Le Grand Hôtel de Taipei est bâti à partir de 1952 sur ordre de Tchang Kaï-chek sur la colline de Yuanshan dominant Taipei, à l’emplacement du plus grand sanctuaire shinto japonais de la capitale (détruit accidentellement par la chute d’un avion militaire en 1945). Il avait pour fonction principale d’accueillir les dignitaires étrangers en visite sur l’île, et sa décoration luxueuse a été supervisée par l’épouse du généralissime, SOONG Mei-ling. Le choix a été fait d’une architecture de palais chinois classique : sa taille gigantesque pour l’époque en fait pendant longtemps le plus grand bâtiment existant de ce style en Asie. Peint en rouge vermillon, dominant la ville, visible de partout, « Le Palais du Dragon » permettait d’affirmer le rôle de conservatoire de la culture de la Grande Chine assumé par le régime.
* Décembre 1952 : décret d’interdiction de la langue japonaise dans le gouvernement, l’administration le système scolaire et la presse écrite de Taïwan.
* 1954-1958, Guerre froide dans le détroit de Taïwan : Au cours de la première crise (1954-1955) et de la deuxième crise du détroit de Taïwan (novembre 1958), Pékin bombarde les archipels taïwanais de Quemoy-Kinmen, Tachen et Matsu. Taipei, soutenu par Washington riposte en bombardant l’île chinoise de Amoy-Xiamen.
* 1954-1988 : l’affaire du pétrolier soviétique TOUAPSE. Le 23 juin 1954, parti d’Odessa et à destination de Shanghai, le pétrolier soviétique Touapse, chargé de 10000 tonnes de kérozène à livrer à l’Armée populaire de libération est arraisonné au large de Kaohsiung (version taïwanaise) ou dans les eaux internationales du détroit (et avec l’aide de la marine américaine, version soviétique) pour « violation des mesures d’embargo international contre la Chine communiste pour son intervention dans la guerre de Corée ». 49 membres d’équipage sont à bord. Les autorités du Kuomintang (dont le fils de Tchang Kaï-chek, CHIANG Ching-kuo, alors directeur du Département des opérations politiques au ministère de la Défense et en partie en charge de la police secrète, russophone puisqu’entre 1925 et 1937 étudiant à l’Université Sun Yat-sen de Moscou, puis ouvrier dans l’Oural) font pression sur les marins soviétiques pour qu’ils fassent défection, alors que, de son côté, Moscou, qui ne reconnaît pas Taipei, se plaint directement à Washington, et sollicite la Croix-Rouge internationale. En 1955, 29 marins (dont le capitaine) sont rapatriés et accueillis en héros à leur retour en URSS. La plupart des autres font défection, et 9 partent aux Etats-Unis, et y critiqueront l’URSS (ils seront condamnés à mort par contumace par Moscou). Certains d’entre eux demanderont quelques années plus tard à rentrer au pays, et y seront lourdement condamnés pour trahison. Mais quatre marins, qui avaient refusé de demander l’asile, restent retenus à Taïwan jusqu’en 1988. Ils sont alors libérés « au nom des droits de l’homme » après une campagne médiatique relayée au Yuan législatif. Dès 1958, le film soviétique « Un accident extraordinaire / Ч. П.- Чрезвычайное происшествие » du réalisateur Viktor Ivtchenko reconstitue l’épisode sous une forme totalement romancée, à la gloire des marins (civils) du Touapse, maltraités, affamés et torturés comme prisonniers de guerre et par les impérialistes américains, et par leurs laquais taïwanais.
* 3 mars 1955 : Mutual Defense Treaty Between the United States and the Republic of China. Le terme «Taïwan» inclut l’île de Taïwan (l’île principale) et les îles Pescadores. En sont exclus les autres îles ou archipels sous le contrôle de la République de Chine, Jinmen, les Matsu, les îles Wuqiu, les Pratas et Taiping.
* Des années 1960 jusqu’au début des années 1990, Taïwan connaît un « miracle économique » à marche forcée. Grâce aux infrastructures léguées par la colonisation japonaise (routes, chemins de fer, industries primaires, éducation, système de soin, etc.) et des liens étroits avec les Etats-Unis, qui soutiennent ce ‘bastion du monde libre », l’île fabrique alors des produits pour le monde entier, à l’instar des autres « dragons asiatiques » (Corée du sud, Hongkong et Singapour).
* janvier 1964-Pékin: la France de de Gaulle établit des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine
* 1965 : le Musée impérial, qui entreposait « provisoirement » les très riches collections impériales, qui avaient connu 20 ans de pérégrinations périlleuses dans les années 1930-1940, devient « Musée national du Palais », dans de vastes bâtiments de style chinois classique, plusieurs fois étendus . Son directeur a longtemps rang de ministre.
* 1965, le Président Tchang Kaï-chek pose, au centre de Taipei, la première pierre du vaste mémorial de SUN Yat-sen : il interviendra sur les plans de l’architecte pour qu’y soient renforcées les spécificités de l’architecture chinoise classique. Le bâtiment principal a été terminé le 16 mai 1972.
* 1966, le Mouvement pour la renaissance culturelle chinoise, inaugurée par Tchang Kaï-chek pour le 100ème anniversaire de la naissance de Sun Yat-sen, se veut une réponse aux destructions maoïstes de la révolution culturelle. La Renaissance culturelle recycle une partie des projets du Mouvement pour une vie nouvelle (新生活運動, New Life Movement), lancé le 19 février 1934 par Tchang Kaï-shek alors chef du gouvernement et du Kuomintang, avec une contribution active de son épouse Soong Mei-ling. Il entend promouvoir une réforme culturelle et la moralité sociale néo-confucéenne pour contrer la poussée des idées communistes, autour d’une vie guidée par quatre vertus, lǐ (禮/礼, rite approprié), yì (義/义, droiture ou justice), lián ( 廉, honnêteté et propreté) et chǐ (恥/耻, honte ; sens du bien et du mal).
* 21 novembre 1969 : La « clause de Taïwan » (The ‘Taiwan Clause’) apparaît dans le communiqué commun nippo-américain (Japan–US Joint Statement) publié après deux jours de rencontres à la Maison Blanche entre le Premier ministre SATO Eisaki et le président Richard Nixon. Pour la première fois, un tel texte mentionne la question de la sécurité de Taïwan pour Tokyo. Après que le président Nixon a rappelé que les Etats-Unis respecteront leurs obligations conventionnelles envers la République de Chine (Taïwan), le Premier ministre SATO a déclaré que le maintien de la paix et de la sécurité en Corée et dans la région de Taiwan était également un facteur très important pour la sécurité du Japon : « The Prime Minister said that the maintenance of peace and security in the Taiwan area was also a most important factor for the security of Japan » . En ajoutant la formule politiquement la moins susceptible de provoquer Pékin : « Le maintien de la paix et de la sécurité dans la région de Taïwan est un facteur important pour la sécurité du Japon ». C’est la première fois qu’un dirigeant japonais associe explicitement deux points chauds de la guerre froide à la propre sécurité du Japon. Il faudra attendre le 16 avril 2021, et la rencontre à la Maison Blanche du président Joe Biden et du Premier ministre japonais SUGA Yoshihide, pour qu’un tel lien sécuritaire Japon-Taïwan soit explicitement mentionné à nouveau par Tokyo. La « clause de Taïwan » comprise dans cette déclaration conjointe de 1969 prévoit que si un conflit survenait à propos de Taïwan, le gouvernement japonais garantirait le déploiement du personnel militaire américain stationné au Japon, en particulier à Okinawa (dont Washington a annoncé la restitution au Japon pour 1972.
De l’expulsion de l’ONU à l’accession d’un Taïwanais à la présidence (1971-1988)
* 25 octobre 1971, la République de Chine est expulsée de l’ONU et des OIG (agences onusiennes) au profit de Pékin . Par un vote de l’Assemblée générale de l’ONU (alors dirigée par l’Albanie) « les représentants de TCHANG Kaï-chek » (« des autorités illégales n’existant que par la présence permanente des forces armées américaines à Taïwan ») sont exclus de l’organisation onusienne (ONU-AG-Résolution 2758). Le recours à l’AG, où les pays socialistes appuyés par de nombreux pays décolonisés du Tiers Monde (en théorie « non-alignés »), ont peu à peu obtenu la majorité des voix, permet de contourner un Conseil de sécurité où Washington et la RDC disposent du droit de veto. En réalité, les représentants de Taipei se sont retirés juste avant le vote. Du point de vue du droit international, et quoique Pékin défende la thèse contraire, la République de Chine ne disparaît pas en droit, et continue d’être reconnue par des Etats (en nombre décroissant: 14 au 1er janvier 2022). A noter que Taïwan n’est nulle part mentionnée dans la résolution, mais bien la « République de Chine ». En application du principe « Une seule Chine » imposé par Pékin, les ambassades à Taipei sont transférées à Pékin (sauf la Nonciature apostolique), les puissances laissant, ou installant, à Taipei des « Instituts culturels » ayant quasi rang d’ambassade.
– En application du principe « Une seule Chine » imposé par Pékin, les ambassades à Taipei sont transférées à Pékin (sauf la Nonciature apostolique), les puissances laissant, ou installant, à Taipei des « Instituts culturels » ayant quasi rang d’ambassade. Taïwan a donc tous les attributs d’un Etat (territoire, frontières, peuple-nation, symboles, drapeau, passeport, armée, etc.) Sauf la reconnaissance internationale. Il ne reste plus à Taipei que les ambassades d’une douzaine de micro-Etats – 14 au 1er janvier 2023, malgré la « politique du chéquier » menée par Taipei. Toutefois, au XXIe s., le passeport de la République de Chine-Taïwan (et dont la nouvelle couverture est depuis 2020 intitulée: « TAIWAN-République de Chine ») est reconnu sans visas par de plus en plus de pays.
* 21-28 février 1972, visite officielle historique du président Richard Nixon en Chine, et « Communiqué de Shanghai ». L’annonce-surprise en avait été faite en juillet 1971. Elle a été longuement préparée par le secrétaire d’État Henry Kissinger (dont Pékin chante depuis les louanges). Les rencontres bilatérales pendant le voyage de Nixon débouchent sur un communiqué commun, le « Communiqué de Shanghai» (ou: « Premier communiqué ») , dont les 16 articles actent les positions respectives de Pékin et de Washington, dont plusieurs points d’accord, sur les tensions en Asie (Vietnam, Laos, Cambodge, Corée, Japon). La question de Taïwan fait l’objet d’un point spécifique. « Les États-Unis d’Amérique reconnaissent que les Chinois de part et d’autre du détroit de Taïwan considèrent qu’il n’y a qu’une seule Chine, dont Taïwan fait partie ». Les Etats-Unis notent, plutôt qu’ils n’approuvent, l’affirmation de Pékin selon laquelle Taïwan fait partie de la République populaire de Chine (La République de Chine tenant, à Taïwan, le même discours inversé). Pour Washington, la question de Taïwan doit trouver « un règlement pacifique par les Chinois eux-mêmes« . Dans cette perspective est affirmé l’objectif du retrait des forces et installations militaires américaines de Taïwan.
* 1972-1979-1982 : Les Trois communiqués Etats-Unis-Chine. Les Trois communiqués conjoints (Three Joint Communiqués, 三个联合公报) sont trois déclarations conjointes entre les États-Unis et la République populaire de Chine. Elles fondent l’établissement des relations bilatérales, et sont toujours un élément essentiel du dialogue entre les deux États, avec les Six assurances de 1982.
1) Le premier communiqué (28 février 1972), ou « Communiqué de Shanghai », résume le dialogue historique entre le président Richard Nixon et le premier ministre Zhou Enlai . Les deux parties ont convenu de respecter leur souveraineté nationale et leur intégrité territoriale respective. Concernant Taïwan, « Les États-Unis d’Amérique reconnaissent [et non « acceptent »] que les Chinois de part et d’autre du détroit de Taïwan considèrent qu’il n’y a qu’une seule Chine, dont Taïwan fait partie ».
2) Le deuxième communiqué (1er janvier 1979), ou « Communiqué conjoint sur l’établissement de relations diplomatiques », annonce formellement le début de relations normales entre les États-Unis et la République populaire de Chine. Washington reconnaît que le gouvernement de la RPC est le seul gouvernement légal de la Chine ; et met fin aux relations politiques formelles avec la République de Chine (« Taïwan ») tout en préservant les liens économiques et culturels.
3) Le troisième communiqué (17 août 1982), ou « Communiqué conjoint du 17 août », réaffirme la volonté des deux parties de renforcer leurs liens économiques, culturels, éducatifs, scientifiques et technologiques. Et confirme les déclarations du Deuxième communiqué sur la question de Taïwan. Il est concomitant, à Washington, des Six assurances à Taïwan.
* 15 mai 1972: La souveraineté sur l’archipel d’Okinawa est rétrocédée par les Américains au Japon. En 1973, la première année après la réversion, il y avait 18 bases des Forces japonaises d’auto-défense (JSDF) dans la préfecture. Le nombre a atteint le milieu des années 30 en 1989, oscillant autour de là jusqu’en 2010, date à laquelle une augmentation progressive a porté le total à 47 une décennie plus tard. Selon le gouvernement préfectoral, Okinawa héberge en 2022 47 installations des JSDF et environ 8 200 personnels. Et 74% des forces américaines stationnées au Japon, avec 25000 militaires.
* 29 septembre 1972: « Communiqué conjoint » Chine-Japon. Invité par le Premier ministre chinois CHOU En-lai, le Premier ministre japonais TANAKA Kakuei (1972-1974, PLD) se rend en visite officielle à Pékin du 25 au 30 septembre 1972. TANAKA rencontre MAO Tse-toung, président du Parti communiste (1943-1976), le 27 septembre. A l’issue de la visite est publié un «communiqué conjoint», qui (malgré les contentieux historiques: cf. le préambule) normalise la relation bilatérale (cf.préambule), et acte la reconnaissance par Tokyo de la République populaire de Chine selon le principe «d’une seule Chine» (cf. paragraphe 2) , et «l’appartenance inaliénable de Taïwan» à celle-ci (paragraphe 3). Répondant à une exigence de Pékin, le Japon annule le traité de paix de Taipei de 1952. Un traité de paix et d’amitié entre le Japon et la Chine sera signé le 12 août 1978. Tokyo reconnaît le principe « d’une seule Chine » ; le texte dispose que «Taïwan est une partie inaliénable du territoire de la République populaire de Chine.» La sémantique est importante : « Le gouvernement japonais comprend et respecte pleinement cette position », sans, pour autant, « [l’]accepter » ; et souhaite « une réconciliation pacifique entre Pékin et Taipei .» Dès lors, le Japon interrompt de jure et de facto ses relations avec Taïwan, qui n’est plus reconnu comme Etat souverain. S’ouvre ce qu’il est convenu d’appeler « le régime de 1972 » : Tokyo entretient avec Taipei « des relations de travail sur une base non gouvernementale » ou « non officielle ». Des « structures associatives privées » sans références géographiques remplacent les ambassades fermées: Tokyo installe à Taipei l’Interchange Association (elle ne deviendra la Japan-Taiwan Exchange Association qu’en 2017); et Taipei installe à Tokyo l’East Asian Relations Association (qui devient en 1992 le Taipei Economic and Cultural Representative Office in Japan).
* février 1973-Pékin: la République Populaire de Chine et les Etats-Unis ouvrent des bureaux de liaison, préalable à l’établissement des relations diplomatiques en 1979 sous la présidence de Jimmy Carter.
* 5 avril 1975: mort de TCHANG Kaï-chek. Son fils CHIANG Ching-kuo pose la première pierre de son mémorial. D’abord premier ministre, CHIANG succède à son père à la présidence de la République en 1978, jusqu’en 1988. Le décès de Tchang Kaï-chek (le 5/4/1975) ne précède que de peu celui de Mao Tse-toung (le 9/9/1976). La première pierre du mausolée de Mao est posée le 24 novembre 1976 (sur le modèle du mausolée de Lénine et Staline sur la place Rouge à Moscou) ; celle du mémorial de Tchang Kaï-chek, est posée le 31 octobre 1976 (un bâtiment inspiré du temple du Ciel de Pékin, mais avec une statue du généralissime qui est très proche de celle de Lincoln au Lincoln Memorial de Washington).
* 1975 : émergence d’une opposition organisée, le « Dangwai » (ou Tangwai, littéralement « Hors du parti [Kuomintang]». Création du magazine Taiwan Political Review par KANG Ning-hsiang, tribune des opposants du Dangwai . La revue est interdite en 1976, mais le Dangwai remporte quelques sièges lors des législatives de 1977, matrice du futur parti d’opposition PDP (DPP), créé en 1986. Le Dangwai s’appuie sur le concept d’une identité taïwanaise culturelle et politique spécifique. Au même moment, CHIANG Ching-kuo (premier ministre, puis président) procède à une « taïwanisation » progressive du Kuomintang, des institutions et des administrations, ce qui est l’une des matrices de la démocratisation politique ultérieure. Des candidats « hors parti » sont élus à lAssemblée provinciale de Taïwan en 1977, avant d’entrer ultérieurement au Yuan législatif (national).
* 1er janvier 1979 Le deuxième communiqué américano-chinois , ou « Communiqué conjoint sur l’établissement de relations diplomatiques », annonce formellement le début de relations normales entre les États-Unis et la République populaire de Chine. Washington reconnaît que le gouvernement de la RPC est le seul gouvernement légal de la Chine ; et met fin aux relations politiques formelles avec la République de Chine (« Taïwan ») tout en préservant les liens économiques et culturels.
* 1er mars 1979 : ouverture de l’ambassade américaine à Pékin. Elle fait suite à un communiqué commun du 15 décembre 1978 officialisant leur reconnaissance mutuelle : , «Les États-Unis d’Amérique reconnaissent le gouvernement de la République populaire de Chine comme le seul gouvernement légal de la Chine. Dans ce contexte, le peuple des États-Unis maintiendra des relations culturelles, commerciales et non officielles avec le peuple de Taïwan. (…) Le gouvernement des États-Unis d’Amérique reconnaît la position chinoise selon laquelle il n’y a qu’une seule Chine et Taïwan fait partie de la Chine. » Le 1er janvier 1979, les États-Unis rompent leurs relations diplomatiques avec Taipei et reconnaissent officiellement Pékin. Suite à la décision américaine, le président CHIANG Ching-kuo (Kuomintang) reporte immédiatement toutes les élections sans échéance de rétablissement.
* 1979 : Etats-Unis-Taïwan: Le Congrès américain vote le Taiwan Relations Act qui fait obligation aux Etats-Unis de défendre l’île en cas d’attaque chinoise (mais pas en cas de changement d’appellation ou de régime constitutionnel à Taipei, qui équivaudrait à une forme de « déclaration d’indépendance » refusée par Pékin). Le Taiwan Relations Act entre en vigueur le 10 avril 1979 et remplace le Mutual Defense Treaty du 3 mars 1955. Il définit les relations qu’entretiennent les États-Unis et Taïwan, et limite l’assistance militaire américaine aux seules armes défensives. Géographiquement, le terme «Taïwan» inclut l’île de Taïwan (l’île principale) et les îles Pescadores. En sont exclus les autres îles ou archipels sous le contrôle de la République de Chine, Jinmen, les Matsu, les îles Wuqiu, les Pratas et Taiping. Pékin appelle Taïwan (« les autorités de Taipei ») à revenir « au sein de la mère patrie ».
* 10 décembre 1979 : « Incident de Kaohsiung » (ou « incident de Meilidao »): répression d’une manifestation pour la démocratie et les droits de l’homme dans le port de Kaohsiung (sud), à l’appel de la revue d’opposition Meilidao (ou : Formosa Magazine, créée en mai 1979) et du mouvement Tangwai. L’arrestation de 152 manifestants, la mort de plusieurs opposants, et le procès des « Huit de Kaohsiung » (dont la future vice-présidente PDP, Annette LU, et le futur président de la République CHEN Shui-pien), lourdement condamnés au printemps 1980, ont un effet de stimulation des mouvements pour la démocratisation, tolérés par CHIANG Ching-kuo depuis que son père l’a désigné comme premier ministre, puis qu’il lui a succédé en 1978 à la présidence.
* 1981: Pékin lance la campagne « Un pays, deux systèmes » pour Hong Kong, Macao et Taïwan. Pékin propose à Taipei « les trois liens » (commerce, poste, voyages), ainsi que « les quatre échanges » (universitaires, culturels, économiques et sportifs). Taipei répond peu après aux « autorités communistes chinoises » par « les trois non » (non aux contacts, non aux négociations et non aux compromis).
* 17 août 1982: Le troisième communiqué américano-chinois, ou « Communiqué conjoint du 17 août », réaffirme la volonté des deux parties de renforcer leurs liens économiques, culturels, éducatifs, scientifiques et technologiques. Et confirme les déclarations du Deuxième communiqué sur la question de Taïwan. Il est concomitant, à Washington, des Six assurances à Taïwan.
* 1982 : Les « Six assurances » américaines à Taipei. Les « Six assurances » fixent six principes-clés de la politique américaine concernant Taïwan. Proposés par le gouvernement de Taipei (président CHIANG, Kuomintang), ils ont été acceptés par l’administration Reagan qui en a informé le Congrès en juillet 1982. Ils précisent le « Troisième communiqué » de 1982 entre Pékin et Washington, aux fins de rassurer et Taipei, et le Congrès. Elles sont régulièrement réaffirmées par les administrations américaines successives. 1) Pas de date de fin des livraisons d’armes à Taipei ; 2) Pas de consultation de la RPC concernant les livraisons d’armes ; 3) Pas de médiation américaine entre Pékin et Taipei ; 4) Pas de pressions sur Taipei pour des négociations avec Pékin ; 5) Pas de modification du Taiwan Relations Act ; 6) Pas de changement de la position américaine sur la souveraineté de Taïwan.
* Septembre 1986 : création du Parti démocrate progressiste (PDP, DPP, ou parti Vert), d’opposition au Kuomintang et favorable à l’autonomie voire à l’indépendance. Il est né à la fois du mouvement indépendantiste apparu en 1945 (et étouffé dans le sang en 1947), et des « hors parti » du Danwai apparu en 1975. Les formations d’opposition sont légalisées en octobre. Elles s’appuient largement sur un nationalisme identitaire qui leur permet de se distinguer d’un Kuomintang qui reste accroché à la reconquête du continent par la République de Chine.
* 1987: fondation de la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) par Morris Chang, ancien employé de Texas Instruments aux Etats-Unis. En 2021, TSMC est la plus importante fonderie de semi-conducteurs au monde, capitalisée en novembre à plus de 610 milliards de dollars US, avec un chiffre d’affaires d’environ 50 milliards, et environ 60000 salariés. Cette entreprise est devenue hautement stratégique à la fois par la qualité de ses productions, indispensable à l’économie mondiale, et dans le cadre de la rivalité économique et politique entre les Etats-Unis et la Chine.
* Février 1987, 40e anniversaire du massacre du 2-28. Des comités pour la Justice et la Paix exigent la vérité sur les événements, leur commémoration, et installent les premiers lieux de mémoire du 228 (le premier en 1989 à Chiayi City).
* Mars 1987 : Massacre de Lieyu (ou : Massacre de Donggang, Incident de Donggang, Incident du 7 mars) Dans la nuit du 7 au 8 mars 1987 au moins 19 réfugiés vietnamiens non armés, sur un bateau dérivant dans le brouillard, sont massacrés sur ordre par l’armée taïwanaise sur une plage de la baie de Donggang, sur l’île de Lieyu, dépendant de Kinmen-Qemoy. La chaîne de commandement a ensuite tout fait pour dissimuler le crime, qui ne sera révélé par la presse qu’en mai-juin. Les sanctions prononcées plus tard par la justice militaire seront symboliques.
Démocratisation et « taïwanisation« : depuis 1988
* 15 juillet 1987 : levée de la Loi martiale par le président CHIANG Ching-kuo. Cette date marque symboliquement l’entrée de Taïwan en démocratie. La liberté de la presse et le développement de partis politiques légaux explique l’émergence d’importants mouvements sociaux: protestations contre le nucléaire ou contre le barrage Mei-Nong ; mouvements politiques, comme le sit-in étudiant du «Lys sauvage » ; mouvements paysans ; mouvement en faveur de la langue maternelle hakka ; mouvement du « Retour des terres» , impulsé par les Aborigènes, etc.
La présidence de LEE Teng-hui (Kuomintang) (1988-2000)
* 1988-2000 : le vice-président LEE Teng-hui succède à CHIANG, mort le 13 janvier. Il est élu président par l’Assemblée en 1990, et réélu – mais cette fois au suffrage universel direct, une première – en 1996. Taïwanais de souche, nippophone de formation, engagé volontaire dans l’armée japonaise en 1943, proche des communistes avant de rejoindre tardivement le Kuomintang (1971), il mène d’abord une carrière d’enseignant et de technocrate spécialiste d’aménagement rural et agricole. Il monte ensuite les degrés de responsabilité au sein du Kuomintang, maire de Taipei, gouverneur de Taïwan, ministre de l’aménagement rural, vice-président de CHIANG. Président, LEE engage une courageuse série de mesures de libéralisation politique, en particulier pendant son deuxième mandat. Il met fin à la « mobilisation contre la rébellion communiste ». Il lève les « Dispositions temporaires » de 1948 qui établissaient une législation d’exception. Des « Articles additionnels à la Constitution de la République de Chine » permettent à partir de 1991 des élections législatives dont l’assise est désormais le seul territoire de l’archipel taïwanais. Les élus continentaux de 1947, qui siégeaient à vie, perdent leur siège. Le pluripartisme devient effectif, avec deux partis principaux, le Kuomintang (le parti bleu / pan blue) et le Parti démocratique progressiste (PDP/DPP, le parti vert / pan green), et plusieurs autres partis de moindre importance mais qui forment des coalitions électorales avec les bleus ou les verts . Le Kuomintang, qu’il avait présidé, se divise. Lee quittera le Kuomintang après 2000, et deviendra indépendantiste, partisan d’une République de Taïwan. Il avait exposé son programme et ses objectifs dans un célèbre discours en 1995 devant l’Université Cornell (New York), où il avait obtenu son doctorat d’économie agricole en 1968. Son bilan le fait désormais considérer comme « le père de la démocratie » taïwanaise.
* 1988-2000-2020: Taïwan-Japon. Taïwanais de souche, volontaire dans l’Armée japonaise, formé à l’Université de Kyoto avec une bourse gouvernementale, parfait nippophone et nippophile, mais longtemps contraint à la discrétion sur ce sujet, le président LEE Teng-hui, cherche pendant sa présidence à améliorer les relations avec Tokyo. Après son mandat, à l’occasion de nombreuses visites au Japon il exprimera librement son admiration pour le Japon et les « valeurs japonaises ». Certaines de ses visites et déclarations ont fait polémique : sa visite au sanctuaire de Yasukuni (où est inscrit le nom de son frère, marin de l’Armée impériale) en 2007; l’appartenance des îles Senkaku (Diaoyutai) au Japon. Il lève l’interdiction de diffusion à la télévision des dessins animés japonais. La culture japonaise (mangas, mode, jeux vidéos) est largement intégrée par la jeunesse taïwanaise.
* 4 juin 1989, à Pékin, massacre de la place Tienanmen. Strictement interdit d’évocation (dans l’espace public, sur internet et par les réseaux sociaux) par le régime communiste, il sera commémoré à Hong Kong jusqu’à la « normalisation » par la loi de sécurité nationale de 2020. Fin 2021: destruction des quelques statues à Tienanmen érigées dans des universités hong-kongaises. Taïwan devient le seul espace « chinois » où la commémoration de Tienanmen reste possible.
* 16 au 22 mars 1990, sit-in étudiant du « Lys sauvage » (Wild Lily student movement, 野百合學運 ) à Taipei. A la veille de l’entrée en fonction du président LEE (21 mars) juste réélu par l’Assemblée (par 671 députés, un parti unique, un seul candidat), six jours de manifestation et de sit-in d’étudiants de l’Université nationale de Taïwan (NTU), sur la place du Mémorial de Tchang Kaï-chek (future place de la Liberté), à proximité de l’immeuble du Kuomintang. Ils réclament des réformes politiques, dont l’élection au suffrage universel direct du président, du vice-président et des députés au Yuan législatif. Le 21 mars, LEE entame un dialogue direct, et promet d’organiser une conférence nationale pour discuter de la mise en œuvre rapide de leurs demandes. Le contraste est évidemment spectaculaire avec l’écrasement dans le sang du mouvement démocratique de la place Tienanmen à Pékin quelques mois auparavant, le 4 juin 1989. Le 21 mars est régulièrement commémoré chaque année sur la place de la Liberté.
* 1991 : Taïwan admis au sein de l’APEC, Asia-Pacific Economic Cooperation (1989, 21 membres).
* 1991: Amendement à la Constitution de 1947: désormais la juridiction de la République de Chine ne s’étend qu’à Taïwan et aux îles qui en dépendent. Et non plus à la totalité de la Chine continentale.
* Août 1991, France-Taïwan, les frégates et « l’Affaire des frégates » : Signature d’un contrat prévoyant la vente par la France de F.Mitterrand & E.Balladur (Thomson-CSF devenu Thales ; DCN devenu Naval Group) de six frégates à la Marine taïwanaise. Très forte tension entre Paris et Pékin. Les six frégates sont livrées à Taïwan entre 1996 et 1998. En 2020, Taïwan signe un contrat de modernisation de certains systèmes d’armes des frégates, d’où protestation de Pékin. « L’affaire des frégates de Taïwan » est liée aux commissions versées aux autorités chinoises (Pékin) et taïwanaises, évaluées à cinq cents millions de dollars, et dont une partie serait revenue en France sous la forme de rétrocommissions (impliqués : Roland Dumas, Christine Deviers-Joncour, Alfred Sirven, etc.). L’enquête est ralentie par le secret défense opposé aux juges (Eva Joly) par les gouvernements de droite et de gauche, d’où plus de 15 ans de procédure. La France (Etat et entreprises) a du, au final, verser à l’État taïwanais près de 630M d’euros. Plusieurs acteurs français et taïwanais, civils et militaires, meurent dans des conditions anormales non expliquées.
* 1992-1994 : Adoption à Taipei des « Lignes directrices pour la réunification nationale », puis du « Livre blanc sur les relations entre les deux rives du détroit ». Théorie de la « souveraineté en commun, gouvernance séparée ».
* avril 1993-juin 1995: négociations entre la RPC et Taïwan à Singapour, sans résultats
* 1994 (présidence LEE Teng-hui, Kuomintang) nouvelle dénomination « d’Aborigènes » (Yuanzhumin). Les 14, puis 16, tribus officiellement reconnues par l’État sont constitutionnellement distinguées entre «aborigènes des plaines » (pingdi yuanzhumin) et « aborigènes des montagnes » (shandi yuanzhumin). Ils bénéficient en 1996 de la création d’un ministère des Affaires aborigènes, qui doit s’occuper de la restitution d’une partie de leurs terres. Ils sont intégrés au processus de justice transitionnelle. Depuis les années 2000, et surtout depuis une loi de 2019, les efforts de l’État pour protéger et revitaliser « les langues nationales » concernent aussi les langues autochtones austronésiennes, l’Université et des sociétés linguistiques travaillant à une écriture unifiée de langues jusque-là presque exclusivement orales (les missionnaires chrétiens en avaient transcrit certaines en alphabet latin à des fins d’évangélisation). Elles sont désormais utilisées dans les écoles primaires des zones aborigènes. Des musées ethnographiques aborigènes se sont multipliés dans les deux dernières décennies, parfois sous forme de villages reconstitués (au risque parfois de la folklorisation des « réserves indigènes ») . La mémorialisation des révoltes indigènes des années 1930 passe par l’érection de statues, la pose de plaques commémoratives dans les régions concernées.
* 1995: les Trois principes de SUN. Suppression, par le Yuan des examens (et non sans réticences des conservateurs), de l’épreuve jusque-là obligatoire aux examens d’Etat sur « Les Trois principes du Peuple » de SUN Yat-sen (1866-1925). Mis en forme par celui-ci au début des années 1920, ces Trois principes (« nationalisme, démocratie, bien-être du peuple ») étaient jusque-là obligatoirement enseignés à la plupart des niveaux scolaires, car considérés comme des piliers idéologiques du Kumintang et du régime de la République de Chine.
* 9 juin 1995: long discours du président LEE Teng-hui à l’Université Cornell (Ithaca, New York, Ivy League), où il avait obtenu son doctorat d’économie agricole en 1968. LEE y présente ses objectifs de démocratisation et d’évolution du statut de Taïwan. Il parle de “la République de Chine à Taïwan”: c’est la première fois qu’un officiel taïwanais utilise cette formule. Des centaines de journalistes ont couvert l’événement, et le discours a été largement diffusé sur les radios d’Asie. LEE a effectué une deuxième visite à Cornell en 2001, après son retrait de la vie publique officielle.
* Juillet 1995-mars 1996: “Troisième crise du détroit de Taïwan” . Ulcérée par la décision de Bill CLINTON d’autoriser la venue de LEE aux États-Unis, la Chine lance des missiles à proximité de Taïwan, ce qui entraîne l’envoi par Washington de deux groupements tactiques de porte-avions nucléaires dans la région, ouvrant ainsi la “Troisième crise du détroit de Taïwan”.
* 23 mars 1996: Première élection présidentielle au suffrage universel à Taïwan. LEE Teng-hui est réélu par 54% des onze millions de suffrages exprimés. Comme à chaque épisode politique important à Taïwan, Pékin manifeste son mécontentement – et son impuissance à peser sur l’événement- par des manœuvres militaires et le tir de missiles dans le détroit de Taïwan.
* milieu des années 1990, installation d’un processus de justice transitionnelle par le président LEE Teng-hui (1988-2000, KMT). C’est le fruit d’un compromis entre le Kuomintang, le principal parti d’opposition PDP et les associations de la société civile. Sur le modèle d’exemples étrangers, cette justice transitionnelle doit travailler sur les événements de 1947 mais aussi sur la période de la Terreur blanche, pour établir et chiffrer les faits de violations des droits humains, et en réhabiliter les victimes par la distribution de certificats de réhabilitation à leurs familles. La présidente TSAI Ing-wen (depuis mai 2016, PDP) a complété le processus par l’installation d’une Commission de vérité et de réconciliation inspirée du modèle sud-africain.
* 1997 : inauguration du « Musée du Mémorial du 2-28 » (228 Memorial Museum) construit sous la municipalité Taipei de CHEN Shui-bian (1994-1998, parti démocrate progressiste, PDP), inauguré par le premier ministre LIEN Chan (Kuomintang). C’est chronologiquement la première institution à Taiwan dédiée aux droits de l’homme. Le Nouveau parc, qui abrite également un Mémorial du 2-28 depuis 1995, est rebaptisé parc du Mémorial de la paix. Des musées ou mémoriaux sont ensuite inaugurés dans les autres grandes villes du pays, rappelant que la répression de 1947, puis la Terreur blanche, ont frappé tout l’archipel.
* 1997 : début de la controverse sur les manuels scolaires, qui dure jusqu’à aujourd’hui, avec une intensité variable liée à l’instrumentalisation du débat par certains candidats, et aux alternances politiques. Elle concerne les manuels d’histoire-géographie-sociologie à l’usage des collèges de la collection « Connaître Taïwan » [Renshi Taiwan / Knowing Taiwan]. Le premier volume inverse, en effet, la logique officielle en vigueur jusqu’alors, qui consacrait la quasi totalité du texte à la Chine, et reléguait Taïwan dans les « études provinciales » : désormais, les questions concernant Taïwan précèdent les chapitres sur la Chine (de la Chine impériale à la République de Chine), et sur le reste du monde. Ces cercles concentriques Taïwan-Chine-Monde sont une forme révolution copernicienne idéologique.
* 1997, Création d’un centre « Centre de transbordement hors douane » dans le port de Kaohsiung (sud). Il permet aux navires chinois d’effectuer un voyage direct légal entre les deux rives, pour des marchandises chinoises qui ne peuvent être que réexportées vers un pays tiers, et non entrées à Taïwan.
* 1er juillet 1997: rétrocession de Hong Kong à la Chine, en 1999 de Macao.
* 1998, sous la présidence de LEE Teng-hui (1988-2000, KMT) est décidée la création d’un Musée national de l’histoire de Taïwan (MNHT), traduisant un glissement de la vision nationaliste officielle (la Grande Chine) vers un discours plus « nativiste ». Le MNHT est, au départ, une émanation du Conseil des affaires culturelles du Gouvernement provincial de Taïwan, distinct du Gouvernement national de la République de Chine (et dont LEE avait été le gouverneur. Le processus traînera, lié aux alternances de majorités politiques: il faut attendre 1998 pour qu’un comité préparatoire soit installé, et 2011 pour l’inauguration du musée, dans un bâtiment ultra-moderne de verre et d’acier (une architecture de rupture qui fait sens) près du fort hollandais Zeelandia de l’ancienne capitale Taïnan (sud-ouest) . Le MNHT a été conçu, à l’image des musées de Singapour ou de Hong Kong, comme un musée post-colonial et multiculturaliste. Il présente une vision du passé de l’île très éloignée du récit historique traditionnel du Kuomintang. Le terme neutre de « période » (shidai) est appliqué à égalité à chacune des grandes phases de l’histoire de l’île : la période hollandaise, de Koxinga, des Qing, des Japonais, du Kuomintang. La société et la culture taïwanaises sont présentées comme le produit d’un patrimoine diversifié composé d’éléments indigènes (polynésiens), européens, chinois et japonais. Un Musée national de la littérature taïwanaise a également été installé à Taïnan dans une bâtisse coloniale japonaise réhabilitée, et inauguré en 2003.
* 26 novembre 1998 : le Japon et la RPC signent une « Déclaration conjointe Japon-Chine sur la construction d’un partenariat d’amitié et de coopération pour la paix et le développement », reprenant les dispositions du traité de 1978 sur « le principe d’une seule Chine » et la question de Taïwan. Le Japon y confirme qu’il maintiendra ses échanges avec Taïwan sous des formes privées et régionales.
* 1999, Taipei proclame que « les deux rives constituent deux États séparés ». Une formule catégoriquement rejetée par Pékin, qui s’en tient à la formule non discutable « Un pays, deux systèmes ».
* La « Résolution de 1999 sur l’avenir de Taïwan » (台灣前途決議文) du PDP/DPP ouvre en fait la perspective d’un dialogue en recommandant que « Taïwan et la Chine s’engagent dans un dialogue global pour rechercher la compréhension mutuelle et la coopération économique. Les deux parties doivent construire un cadre pour la stabilité et la paix à long terme. » De plus, la résolution réaffirme l’engagement envers le «statu quo» et fixe une barre juridique élevée pour un éventuel changement, déclarant que: «Taïwan, bien qu’appelée la République de Chine en vertu de sa constitution actuelle, n’est pas soumise à la juridiction de la République populaire de Chine. Toute modification du statu quo indépendant doit être décidée par tous les résidents de Taïwan par voie de plébiscite » . La Résolution note que « Taiwan devrait renoncer à la position » Une seule Chine « pour éviter la confusion internationale et empêcher l’utilisation de la position par la Chine comme prétexte à une annexion par la force. »
* 21 septembre 1999 : Le Japon envoie des sauveteurs et de l’aide à Taïwan frappée par un violent séisme.
La présidence de CHEN Shui-bian (PDP, indépendantiste) (2000-2008)
* 18 mars 2000: CHEN Shui-bian, ancien maire de Taipei, candidat de l’opposition indépendantiste (PDP/DPP) est élu président de la République (2000-2008). C’est la première alternance politique de l’histoire de Taiwan, et donc une étape importante dans le processus de démocratisation. La vice-présidente est indépendantiste. Nouvelle tension avec la RPC. Réélu en 2004, CHEN finira son deuxième mandat dans une ambiance de corruption et de népotisme, et sera lourdement condamné par le justice taïwanaise.
* avril 2001 : Important contrat d’armements entre les Etats-Unis et Taiwan
* 2001, création d’un Comité des affaires hakka, qui va multiplier les musées locaux dans les régions à peuplement hakka, et promouvoir la langue hakka dans l’enseignement et dans les médias (dont les radios et télévisions publiques).
* 1er décembre 2001, élections législatives au Yuan législatif, le Kuomintang perd la majorité pour la première fois depuis 1949, au profit des indépendantistes du DDP-PDP, Parti démocrate progressiste (les Verts).
* 2002, apparition du « Mouvement pour la rectification du nom [de Taïwan]» qui a sillonné Taipei le 11 mai [Journée des mères, en référence à la Mère-Patrie), demandant que « la République de Chine » devienne « la République de Taïwan ». Et que le vocable « Chine » disparaisse de toutes les appellations officielles (agences gouvernementales, entreprises, ambassades, etc.) ou privées, au profit de Taïwan. L’ex-président LEE Teng-hui (1988-2000), qui avait passé l’essentiel de sa carrière politique au sein du Kuomintang, sera un des porte-voix les plus remarqués du Mouvement pour le rectification, en particulier en 2003.
* 2002 : Taïwan (sous l’appellation de « Chinese Taipei ») entre à l’Organisation mondiale du commerce (OMC, WTO) comme «territoire douanier souverain », trois semaines après la Chine de Pékin.
* 28 février 2004, à 2.28PM (2-28) une chaîne humaine (« 2-28 Hand-in-Hand Rally ») rassemble environ 2 millions de personnes sur 550 km du nord au sud de l’île. Elle se veut transpartidaire, et manifester la solidarité et l’unité des Taïwanais autour de l’événement du 2-28 1947. Avec environ 2 millions de personnes (sur 23 millions : c’est le plus important rassemblement de l’histoire de l’île) entre les deux extrémités nord (l’île de Hoping [soit l’idéogramme « Paix »] à Keelung, où ont débarqué les troupes continentales envoyées réprimer le soulèvement) et sud de l’île (Changlung [« Prospérité »] à Pintung), pour construire symboliquement le lien entre tous les Taïwanais autour de l’événement traumatique. Avec, à l’heure dite (2-28PM) les slogans : « Mains jointes pour réunir tous les groupes ethniques / pour protéger Taïwan » : donc autour des idées d’intégration, d’unité, de collaboration. Le logo était une main dont les 5 doigts représentaient les Hakka, les Minnan, les Continentaux, les Aborigènes et leurs épouses étrangères. Avec la représentation de tous les groupes, de toutes les Eglises et confessions. La tonalité générale était donc une commémoration du 2-28 moins agressive que recherche de réconciliation et de consensus, susceptible de renforcer la quête de souveraineté de Taïwan. L’orientation méridienne de la chaîne se voulait peut-être aussi un rejet symbolique d’une orientation est-ouest, qui aurait ainsi affirmé le lien entre Taïwan et la Grande Chine, revendiqué par les nationalistes des deux rives, Kuomintang ou communistes.
* 2004 : avec 508m de hauteur et ses 101 étages, en forme de tige de bambou, la tour « 1-0-1 [One-O-One]» de Taipei devient le plus haut édifice du monde, jusqu’en 2010.
* mars 2004 : élection présidentielle, dont les débats tournent une fois de plus sur autonomie ou indépendance, et référendum sur les achats d’armements. Réélection du président CHEN avec une marge infime.
* 14 mars 2005-Pékin : Loi anti-sécession à Pékin, votée par l’Assemblée Populaire Nationale autorisant une action par la force (« recourir à des « moyens non pacifiques » ») contre Taïwan si l’île s’engageait sur la voie d’une indépendance formelle. Elle provoque une manifestation de dénonciation de 1,6 million de personnes à Taipei. Sans cesse rappelée par Pékin, cette loi est de plus en plus violemment mise en avant contre les « vagabonds de Taïwan » (décembre 2021) par le président XI Jinping.
* 28 février 2006, le Conseil pour l’unification nationale, consultatif et depuis longtemps symbolique, est « suspendu ». Les « Lignes directrices pour l’unification nationale » sont abolies par CHEN Shui-bian.
* 2006 : TGV. La « Ligne à grande vitesse de Taïwan » entre en service entre Taipei et Kaohsiung
.* été 2006 : campagne du KMT pour la démission du président CHEN (pour corruption personnelle et de son entourage, et népotisme). Déclarations menaçantes de Pékin sur l’avenir politique de l’île. CHEN sera lourdement condamné pour corruption après son mandat en 1988 (d’abord prison à vie, ramené à 19 ans).
* 2007, le président CHEN Shui-bian (2000-2008, PDP), après avoir souligné que « les documents historiques et les archives officielles attestent que Tchang Kaï-chek est le principal coupable de l’incident du 2-28 [1947] », déclare vouloir une évolution du statut du Mémorial de Tchang Kaï-chek à Taipei, et le transforme en « Mémorial de la démocratie de Taiwan », sur une esplanade rebaptisée place de la Liberté, au pied donc de l’immense siège du Kuomintang. Dès son arrivée au pouvoir en 2008, appuyé par sa majorité Kuomintang au Yuan législatif, le président MA Ying-jeou (2008-2016), rétablit l’appellation première du Mémorial.
* février-printemps 2007 : après celle de 2003, nouvelle campagne de « taïwanisation », et de « rectification des noms« . « Taïwan » remplace « République de Chine » sur les timbres, les enseignes. « L’aéroport international Tchang Kaï-chek » est rebaptisé « Aéroport international Taoyuan de Taïwan ». Le « Mémorial Tchang Kaï-chek » est brièvement rebaptisé « Mémorial national de la démocratie à Taïwan »
* été 2007 : manifestations à Taïwan, communes transpartisanes pour la reconnaissance par l’ONU, mais séparées pour l’indépendance (PDP) ou contre (KMT). Le président CHEN agite l’idée d’un référendum sur l’indépendance, ce qui entraîne de vives réactions à Pékin et de la part des Etats-Unis lors du sommet de l’APEC. 15e échec à l’ONU. Mini-sommet Taïwan-Afrique (douze participants contre 48 à Pékin en novembre 2006).
* 10 octobre 2007, « Double-Dix » : pour la 1e fois depuis 16 ans, défilé militaire à Taipei à l’occasion de la fête nationale (célébrée le « Double-Dix« , qui commémore le soulèvement de 1911 qui a conduit à l’effondrement de la dernière dynastie chinoise, et la proclamation de la République).
La présidence de MA Ying-jeou (Kuomintang) (2008-2016)
* 12 janvier 2008 : triomphe du Kuomintang aux législatives. Le « parti bleu » d’opposition favorable à un rapprochement avec Pékin obtient 81 des 113 sièges au Yuan législatif (le nombre de sièges a été réduit de moitié « pour plus d’efficacité »). Le « parti vert », Parti démocratique progressiste (PDP/DPP) du président CHEN Shui-bian, subit un grave revers en remportant seulement 27 sièges – les accusations de corruption et de népotisme contre CHEN ayant lourdement pesé sur les résultats. Les petites formations alliées du Kuomintang (KMT) obtiennent 5 sièges.
* mars 2008: élection présidentielle. Le président MA Ying-jeou (KMT) l’emporte largement (58,45 % des suffrages exprimés). « Candidat de l’ouverture et de l’accélération des échanges avec la Chine populaire », parlant même de la perspective d’un « marché commun » et de jeter « les fondations d’un siècle de paix et de prospérité », il inaugure, élu, une politique de rapprochement avec Pékin, illustrée symboliquement par les premiers vols directs réguliers. Mais la rhétorique nationaliste ne faiblit pas du côté du continent, par exemple pour la participation au JO de Pékin. Du coup, on reproche à MA d’avoir beaucoup cédé symboliquement à Pékin, sans rien avoir obtenu en échange.
* Juillet 2008 : premier vol direct du Continent vers Taïwan depuis 60 ans
* 2008 : inauguration d’un monument national dédié aux victimes de la Terreur blanche, où se tiennent chaque 15 juillet, date anniversaire de la levée de la loi martiale, des cérémonies gouvernementales en mémoire des persécutions de l’ère autoritaire. Depuis 2011, le Musée national des droits de l’homme regroupe plusieurs sites de détention (Île Verte, prison de Jingmei) et a entrepris une collecte de mémoires d’anciens détenus.
* 8 août 2008 : Le typhon Morakot fait près de 700 morts, principalement dans des glissements de terrains et coulées de boue.
* 2009 et 2010, du fait de la politique pro-Pékin de MA, le KMT perd de nombreux sièges dans des élections partielles ou locales, au profit du DPP, surtout dans le sud du pays. En 2009, Taïwan est admis comme observateur à l’OMS, et le reste jusqu’en 2016 avec l’autorisation de Pékin. L’opposition invite le Dalaï Lama après le typhon Morakot.
* 2011 : le centenaire de la République de Chine est largement célébré à Taïwan.
* Printemps 2011 : les Taïwanais aident les Japonais après la catastrophe de Fukushima. Après la catastrophe dite de Fukushima de mars 2011 (tremblement de terre de Tōhoku, suivi du tsunami et de la catastrophe nucléaire), d’importantes collectes de soutien ont lieu à Taïwan, pour apporter des secours et de l’aide à la reconstruction de la région de Sendaï. Faute de possibilités de remerciements officiels, des citoyens japonais ont pris des initiatives de remerciements publics dans les médias (ありがとう台湾, Arigato Taiwan). A toutefois surgi à l’époque (sous le président MA, KMT, nettement plus pro-chinois que pro-japonais) un contentieux persistant, Taipei maintenant pendant plusieurs années une interdiction d’importer des aliments produits dans les préfectures exposées aux radiations de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Le contentieux ne sera réglé qu’en février 2022.
* Mars 2012 : le président MA est réélu de justesse pour un 2e mandat. Il multiplie les signes d’ouverture à la Chine. Dont un accord de libre-échange (ECPA) signé en 2010, très favorable à Pékin, et qui exaspère les autonomistes et les indépendantistes.
* Début 2014 : le volet Services de l’ECPA doit être ratifié par le Yuan législatif. Le président MA essaie de le faire voter en bloc. Les contestataires demandent un vote article par article, pour en modifier des dispositions jugées beaucoup trop favorables à Pékin. Du 18 mars au 10 avril, le « Mouvement des tournesols » (ou : Mouvement Tournesol des Étudiants, ou « 3-18 ») mobilise de nombreux jeunes (étudiants) dans des manifestations de rue, des sit-in, des occupations d’édifices publics (dont le Yuan législatif). MA échoue à faire voter son texte.
* 2013 : Accord (non-gouvernemental) taïwano-japonais sur les zones de pêche autour de l’archipel contesté des Senkaku/Diaoyutai. La souveraineté disputée sur les Senkaku (Japon) ou Diaoyutai (Taïwan) ou Diaoyu (Chine) est un problème de longue date. Ce groupe d’îles et îlots est inhabité, mais ses eaux sont poissonneuses, avec des ressources en hydrocarbures, et il est stratégiquement localisé. Le Japon, qui a englobé les Senkaku dans ses possessions en 1895, les défend comme composante du territoire national. Mais Taipei lui oppose la souveraineté historique de la République de Chine sur les Diaoyutai. Avant que la République populaire ne cherche, à partir des années 1970, à faire valoir ses « droits inaliénables » sur les Diaoyu, en multipliant les envois de flottes de pêche et de garde-côtes. Les tensions sur zone entre garde-côtes sont permanentes. La délimitation des zones de pêche et des zones économiques exclusives (ZEE) entre le Japon et Taïwan fait également contentieux. Des dizaines de réunions bilatérales « non-officielles » voient les parties argüer de textes de droit international différents – droit de la mer contre droit des pêches. Après plusieurs incidents en 2012 (sous la présidence MA), les deux parties concluent en 2013 un accord qui définit les zones de pêche sans pour autant résoudre la question de la souveraineté territoriale. Puis elles ont ouvert en 2016 un « dialogue de coopération maritime », traitant du sauvetage en mer, de la recherche scientifique, de dossiers halieutiques et de la collaboration entre garde-côtes.
* 2013: il est décidé que l’expression « occupation japonaise » sera dorénavant remplacée par celle « d’administration japonaise» dans tous les documents officiels. Le débat sémantique sur la qualification de la période japonaise permet de cerner les positionnements et les évolutions à la fin du siècle. La période coloniale est alors qualifiée par les différents protagonistes de « période de l’occupation japonaise » (riju) ; « période du régime colonial japonais » ; « période d’administration japonaise » (rizhi). Finalement, on a privilégié la formule encore plus neutre de « période japonaise » (riben shidai). Par exemple pour les salles du Musée national d’histoire de Taïwan, inauguré à Taïnan en 2011. La section permanente du Musée national d’histoire de Taïwan consacrée à la période 1895-1945, intitulée « La grande transformation et l’ordre nouveau » valorise clairement « la période japonaise », matrice de la modernité et de la prospérité actuelles de Taïwan, et qui a façonné une identité taïwanaise ensuite niée et réprimée par le Kuomintang.
* 2014: résurgence, à la Diète de Tokyo, de l’idée d’une version japonaise du Taiwan Relations Act américain de 1979, portée par l‘Association des jeunes parlementaires Japon-Taïwan. Cette idée, apparue dans le débat public dans la décennie 2000 est combattue par la faction Kōchikai, majoritaire au sein du PLD, pro-chinoise. Elle réapparaît en 2014, alors que Shinzo ABE est Premier ministre (2012-2020) mais y est hostile. Depuis lors, plusieurs structures politiques et associatives militent pour un TRA japonais, en arguant de l’évolution d’un contexte géopolitique régional de plus en plus menaçant pour Taïwan. Les échanges interparlementaires avec Taipei sur ce point sont récurrents.
* 2015 : ouverture du premier « Mémorial des femmes de réconfort de Taïwan » par une ONG locale, la « Taiwan Women’s Assistance Foundation ». Les prostituées taïwanaises des bordels de l’armée japonaise sont reconnues comme des victimes, à l’image de ce qui s’est produit en Corée du sud; et contre le négationnisme des ultra-nationalistes japonais, en partie relayés au sein des gouvernements du parti libéral.
* Novembre 2015 : rencontre entre MA et XI Jin-ping à Singapour, une première entre les deux parties en 66 ans.
* 2016 : Disant vouloir défendre une « diplomatie des valeurs » (a « Value-based diplomacy »: liberté, démocratie, droits humains), le Premier ministre japonais Shinzo ABE (2012-2020) lance la stratégie « Une zone Indo-Pacifique libre et ouverte (自由で開かれたインド太平洋, Free and Open Indo-Pacific, FOIP) », pour renforcer les liens entre le Etats partageant des valeurs communes comme la démocratie et les marchés ouverts. Sous cet angle, Taïwan et le Japon partagent des valeurs communes et un intérêt mutuel à maintenir le statu quo et à résister à l’agressivité croissante de la Chine de Pékin.
La présidence de TSAI Ing-wen (PDP, indépendantiste) (depuis 2016)
* 2016: le « drapeau au tigre jaune » de la République de Formose (1895) est classé « trésor national de Taïwan ».
* 16 janvier 2016 : TSAI Ing-wen (PDP, DPP, indépendantiste) est élue présidente de la République (pour une entrée en fonction le 20 mai), à la colère de Pékin, qui multiplie les gesticulations militaires dans le détroit. C’est la première femme à présider une démocratie en Asie sans succéder à son père ou à son mari. Pour la première fois, le PDP (DPP, Vert, opposition) obtient une majorité parlementaire au Yuan législatif (68 sièges sur 113). Depuis cette date, Pékin a suspendu tout dialogue politique avec Taipei, et entretenu un discours de plus en plus virulent contre les « vagabonds [indépendantistes] de Taïwan » (décembre 2021) .
* 1er août 2016, reconnaissance des Aborigènes: La présidente TSAI Ing-wen présente de la part du gouvernement des excuses officielles aux Aborigènes « pour les souffrances et l’injustice qu’ils ont subies ces 400 dernières années ». Le grand-père paternel de la présidente TSAI est issu de la minorité Hakka et sa grand-mère paternelle était une aborigène Paiwan, deux ethnies dont la langue n’est ni le mandarin ni le taïwanais.
* 2016: Taïwan exclue de l’OMS sous la pression de Pékin, pour sanctionner le résultat de l’élection présidentielle (élection de Mme TSAI). L’île avait jusque-là le statut d’obervateur. L’exclusion posera problème à Taipei pendant a pandémie de covid-19 (Pékin bloque l’envoi de vaccins Pfizer à Taïwan- qu’il a, par ailleurs, interdit sur son propre sol). Et alors que Taïwan a fourni ab initio à l’OMS des analyses sur le covid-19 dès les premières semaines, en sonnant l’alarme.
* 5 septembre 2016 : lancement par la présidente TSAI de la « Nouvelle politique en direction du sud (New Southbound Policy, NSP, 新南向政策) ». La NSP vise à renforcer la coopération et les échanges entre Taïwan et 18 pays d’Asie du Sud-Est, d’Asie du Sud et d’Australasie, dans l’objectif d’une moindre dépendance politique et économique de Taïwan à la Chine continentale. Elle s’inscrit dans le projet du Premier ministre japonais Shinzo ABE « d’Indo-Pacifique libre et ouvert » (Free and Open Indo-Pacific, FOIP), annoncé en août 2016, et rapidement adopté par le président Trump.
* 2017: le président Trump débloque des livraisons d’armes qui avaient été suspendues par Barack Obama: 66 avions F16, des missiles sol-air et de croisière, des systèmes anti-navires Harpoon, etc. Depuis cette époque, les Etats-Unis ont renforcé leur activité de visibilisé dans le détroit de Taïwan.
* 28 février 2018 : le Congrès américain vote sans opposition le Taiwan Travel Act (TTA), qui vise à faciliter les rencontres entre responsables politiques des deux pays, aux Etats-Unis et à Taïwan. Il est ratifié peu après par Donald Trump. Une règle non formelle et non publique voulait depuis 1979 que ne pouvaient pas se rendre à Washington D.C. pour affaires officielles les cinq plus hauts responsables de Taïwan – le président, le vice-président, le premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Défense. A la fin du mandat de D.Trump, le secrétaire d’État Mike Pompeo supprime les directives bureaucratiques limitant l’activité diplomatique américaine avec Taïwan (lieu des réunions, affichage du drapeau taïwanais, etc.), mesure reconduite par l’administration Biden. Pékin a déployé une activité de lobbying pour empêcher le vote de cette loi, puis l’a fermement condamnée après son adoption, dénonçant « une ingérence inadmissible dans les affaires intérieures ressortant de la souveraineté chinoise », et donc une violation par Washington du « One-China principle » reconnu par les Américains en 1979.
* 2018: L’Asia Reassurance Initiative Act encourage les visites d’officiels américains à Taïwan, défend la participation de Taïwan à toutes les organisations internationales ou, à défaut, le statut d’observateur (en particulier à l’OMS).
* 24 mai 2019: Loi autorisant le mariage pour tous, après des débats animés et une validation par le Conseil constitutionnel. C’est une exception taïwanaise dans une Asie conservatrice en matière de droits pour les LGBT. Dès 2013, Audrey TANG, personnalité transgenre revendiquée et militante LGBT, était nommée ministre sans portefeuille, puis en 2016 ministre du Numérique.
* 2020: Hong Kong-Taïwan: La reprise en main autoritaire d’Hong Kong par Pékin via la répression et la loi de sécurité nationale, achève de convaincre les Taïwanais que la formule « un pays, deux systèmes » n’était qu’un leurre, et n’a plus aucune réalité. Certains dirigeants du mouvement démocratique à Hong Kong arrivent à se réfugier à Taïwan, transitant parfois par Pratas, un atoll occupé par l’armée taïwanaise, situé entre Taïwan et Hongkong. Taïwan devient le seul espace « chinois » où le massacre de Tienanmen le 4 juin 1989 à Pékin peut être librement commémoré.
* 2020 : réélection de la présidente TSAI pour un second mandat.
* 27 mars 2020, Etats-Unis-Taïwan : le président Trump paraphe le Taipei Act, une loi sur l’initiative de protection internationale et de renforcement des alliés de Taïwan qui autorise les États-Unis à accroître leur aide économique, diplomatique et militaire aux pays qui revalorisent leurs relations avec Taïwan et à la diminuer dans le cas inverse. Le 28 octobre 2020, l’administration américaine autorise la vente de nombreuses armes, dont 400 missiles antinavires Harpoon. Le 28 décembre, Donald Trump signe le Taiwan Assurance Act, qui renforce les liens entre les deux pays, vise à fournir des armes défensives plus modernes et nombreuses à Taipei et à soutenir sa candidature au sein des organismes internationaux.
* 2020, pandémie de covid-19: mensonges chinois, alerte et exemplarité taïwanaises. Taïwan est le premier pays à lancer l’alerte auprès de l’OMS sur l’apparition d’une maladie inconnue en Chine dès le 31 décembre 2019. Et le premier pays à prendre des mesures restrictives d’entrée sur son territoire dès l’annonce d’une épidémie suspecte en Chine le 20 janvier 2020 – l’OMS restant muette jusqu’à cette date. Ces mesures extrêmement contraignantes se traduisent par un nombre très réduit de contaminations et de décès (en 2020: 600 cas et 7 morts pour 23 millions d’habitants). Au contraire de la politique du secret, du mensonge et de la répression des lanceurs d’alerte par Pékin, la gouvernance ouverte et démocratique de Taïwan et son efficacité font un contraste violent. Taipei lance une campagne internationale pour être réadmis au moins comme observateur à l’OMS, ce que refuse Pékin, qui entend ainsi sanctionner depuis la présidente indépendantiste TSAI, bête noire du régime chinois. L’hypothèse a été formulée que les multiples survols de la zone aérienne taïwanaise par l’aviation chinoise pouvaient avoir pour objectif de détourner l’attention internationale de l’ampleur de l’épidémie de covid en Chine (crise de Wuhan)
* 2021 : L’armée de l’air chinoise multiplie les incursions dans la zone d ‘identification de défense aérienne (ADIZ) de Taïwan. Le président XI multiplie les déclarations considérées comme belliqueuses sur le futur de Taïwan. Dans la revue Foreign Affairs du 5 octobre 2021, la présidente TSAI Ing-wen rappelle aux démocraties occidentales l’enjeu d’un scénario d’attaque militaire de Taïwan : « Les conséquences seraient catastrophiques pour la paix régionale et le système d’alliances démocratiques. Ce serait le signe que, dans la compétition mondiale des valeurs, l’autocratie l’emporterait sur la démocratie. »
* 2021 : La campagne des « Ananas de la liberté ». Lorsque la Chine impose des sanctions sur l’importation d’ananas de Taïwan, le ministre taïwanais des Affaires étrangères, Joseph WU, lance une campagne internationale « Freedom Pineapples / « Les ananas de la liberté » ». Taïwan a été soutenu dans l’opinion publique japonaise, le Fuji News Network (FNN) lançant une campagne « Let’s Eat Taiwan Pineapples / Mangeons des ananas de Taiwan» et : « Résistez à la Chine, aidez Taïwan !» Les consommateurs japonais ont réagi en achetant volontairement des ananas taïwanais : le plus connu d’entre eux a été l’ancien Premier ministre Shinzo ABE.
* 16 mars 2021 : Rencontre 2+2 entre le secrétaire d’État américain Antony Blinken, le secrétaire à la Défense Lloyd Austin, le ministre japonais des Affaires étrangères MOTEGI Toshimitsu (茂木 敏充) et le ministre japonais de la Défense KISHI Nobuo (岸 信夫) ; le communiqué conjoint qui s’ensuit souligne : « l’importance de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taiwan.» Austin avertissant que « la situation dans le détroit de Taiwan [a] un impact direct sur la sécurité nationale du Japon. » Et KISHI confirmant que si la Chine devait utiliser la force militaire contre Taïwan, les États-Unis et le Japon répondraient en étroite collaboration dans le cadre du Traité de sécurité américano-japonais. [« [The ministers] discussed the United States’ unwavering commitment to the defense of Japan under Article V of our security treaty, which includes the Senkaku Islands. The United States and Japan remain opposed to any unilateral action that seeks to change the status quo or to undermine Japan’s administration of these islands. The Ministers underscored the importance of peace and stability in the Taiwan Strait (…). »
* Avril 2021 : Un groupe naval chinois, formé autour du porte-avions Liaoning (遼寧), traverse le détroit de Miyako (宮古海峡) entre l’île d’Okinawa et l’île de Miyako et y mène des manoeuvres dans les eaux proches de Taïwan, observé par la marine japonaise.
* 16 avril 2021 : déclaration conjointe à la Maison Blanche du président américain Joe Biden et du Premier ministre japonais Yoshihide SUGA (菅 義偉): « Nous soulignons l’importance de la paix et de la stabilité à travers le détroit de Taiwan et encourageons la résolution pacifique des problèmes inter-détroit. » [« We also recognize the importance of deterrence to maintain peace and stability in the region. We oppose any unilateral attempts to change the status quo in the East China Sea. »] C’est la première mention de Taïwan dans une déclaration conjointe américano-japonaise depuis 1969. Une déclaration révélatrice d’évolutions significatives dans la coopération trilatérale Washington-Tokyo-Taipei. Lors d’un débat organisé par l’Institut Hudson (Washington DC) le 28 juin 2021, le vice-ministre japonais de la Défense Yasuhida NAKAYAMA (中山 泰秀) déclare qu’il est temps de « se réveiller » face à la menace croissante de la Chine dans la région et «pour protéger Taiwan en tant que pays démocratique frère.».
* Juillet 2021 : publication du Livre Blanc sur la Défense du Japon qui, pour la première fois, aborde frontalement la question de Taïwan et le lien entre la sécurité de Taipei et celle du Japon.
* 2020-2023 : le Japon remilitarise plusieurs îles de l’archipel des Ryu Kyu, compte tenu de leur proximité avec Taïwan. Pour Tokyo, la souveraineté et l’intégrité territoriale de Taïwan ne peuvent plus être disjoints de la protection du sud du Japon, et des détroits qui permettent d’accéder au Pacifique. Dans le cadre des révisions stratégiques auxquelles procèdent le Japon, la sécurisation de l’archipel Nansei (Ryu Kyu), qui s’étire entre Kyūshū et Taïwan, passe actuellement par la militarisation par le Japon de plusieurs îles (Yonaguni, Miyako, Amami Oshima, Ishigashi) : installation de batteries de missiles anti-navires et anti-aériens, d’unités avancées de surveillance et de guerre électronique ; prépositionnement de dépôts de munitions et de carburants ; constitution d’une brigade amphibie de déploiement rapide. A partir de 2021, les Japonais installent une base de missiles sol-air et sol-mer sur l’île d’Ishigaki, au nord-est de Taïwan, qui abrite déjà l’une des principales bases des gardes-côtes, chargés de patrouiller dans les îles Senkaku. Abritant les bases américaines les plus proches de Taïwan, sécurisant le détroit de Miyako, Okinawa présente un caractère de centralité stratégique dans le dispositif de sécurité américano-nippon. Washington a annoncé en janvier 2023 la réorganisation et le renforcement de ses forces de Marines sur l’île d’ici 2026, en les équipant de missiles et de drones. Tokyo renforce également ses contingents à Okinawa, qui seraient vraisemblablement amenés à soutenir les Américains dans l’archipel Nansei en cas de conflit.
* 5 juillet 2021, le vice-Premier ministre japonais Tarō ASŌ (麻生 太郎, PLD) déclare: « Si un problème majeur se produisait à Taïwan, ce ne serait pas trop dire que ce pourrait être lié à une situation menaçant la survie [du Japon] (…) Le Japon et les États-Unis doivent défendre Taïwan ensemble.» En cas d’invasion chinoise de Taïwan, qui serait « une menace existentielle », le Japon exercerait son droit de « légitime défense collective .» Cette déclaration a eu un très important écho médiatique. Aso a évoqué la «menace existentielle» pour la sécurité du Japon: «Si Taïwan tombe, Okinawa est la prochaine étape.». Mais certains analystes estiment que cette déclaration qui a fait grand bruit a été mal interprétée : ASO s’exprimait dans une réunion PLD de levée de fonds, comme politicien donc et non comme ministre. Il a sans doute été mal traduit quand on lui fait dire que si Taïwan était attaqué « le Japon le défendrait » (« would defend ») , alors qu’il aurait plutôt signifié le « Japon pourrait être amené à défendre » (« could defend ») Taïwan .
* Juillet 2021, renforcement de l’identité nationale taïwanaise: Selon l’édition 2021 de l’étude annuelle du Centre d’étude des élections de l’Université nationale Chengchi , 63 % des Taïwanais ne s’identifient que comme Taïwanais; 31 % s’identifient à la fois comme Taïwanais et Chinois; 2,7 % comme uniquement Chinois. Et moins de 8 % des Taïwanais se déclarent pour l’unification avec la Chine, l’immense majorité soutenant le maintien du statu quo. Autant d’éléments d’un nouveau paradigme identitaire qui fait de Taïwan, pour reprendre une formule du chercheur Stéphane Corcuff, un véritable « laboratoire d’identités.» (L’évolution de la perception de l’appartenance identitaire, Taïwan 1992-2021, National Chengchi University’s Election Study Center in Taiwan, 20 juillet 2021 )
* Août 2021, Afghanistan : le départ précipité des Américains et l’abandon du régime de Kaboul donne des munitions à la propagande de Pékin : « une leçon pour Taïwan », qui « ferait mieux d’en tirer les conséquences », car, comme l’Afghanistan, Taïwan risque bien d’être « abandonné à son tour » : « Si une guerre éclate dans le détroit, la défense de l’île s’effondrera en quelques heures, et l’armée américaine ne viendra pas les aider. En conséquence, les autorités du PDP se rendront rapidement, et certains de leurs hauts responsables pourraient avoir à fuir en avion. »
* 18 août 2021, Etats-Unis-Taïwan, quelle « ambiguïté stratégique »? : Joe Biden déclare lors d’une conférence de presse que les Etats-Unis défendront militairement Taïwan en cas d’agression extérieure : « Si d’aventure l’Armée populaire de libération (APL) devait lancer l’assaut contre Taïwan, les États-Unis répondraient à une telle agression ». Il semble ainsi lever « l’ambiguïté stratégique » jusque-là entretenue par les Etats-Unis, et comprise comme devant laisser Pékin dans l’incertitude sur ce que serait la réponse américaine à une opération militaire. Protestations réitérées de Pékin pour atteinte au principe sacré « Une seule Chine ».
* Septembre 2021: Taïwan demande à intégrer le futur QUAD+. Le Dialogue de sécurité quadrilatéral (Quadrilateral Security Dialogue, QUAD) a pris forme en 2007 en marge d’une réunion régionale de l’ASEAN. Il regroupe quatre pays (Etats-Unis, Australie, Japon, Inde) pour des coopérations initialement surtout économiques, mais qui se sont ensuite renforcées en matière de diplomatie et de défense, au fur et à mesure de la montée en puissance militaire de la Chine. Ayant entériné le concept d’« Indo-Pacifique libre et ouvert » (initialement d’origine japonaise) qui avait marqué le discours stratégique de la présidence Trump, le président Biden cherche à renforcer le volet multi-dimensionnelle de la sécurité régionale. Le QUAD est encore assez loin de constituer une alliance formelle, ce qui n’empêche pas Pékin d’y voir l’amorce d’une version indo-pacifique de l’OTAN, et donc une menace directe à son encontre. Alors que des propositions d’élargissement à d’autres pays ont émergé (Corée du Sud, Singapour, Royaume-Uni) pour former un QUAD+, Taïwan demande en septembre 2021 à intégrer le QUAD, sans obtenir à ce jour de réponse.
* Septembre-décembre 2021 : au nom du caractère démocratique de Taïwan, la Lituanie accepte l’ouverture d’un « Bureau de représentation de Taïwan » – et non pas de « Chinese Taipei« , comme le veut l’usage imposé par Pékin. Qui rappelle son ambassadeur et dégrade son niveau de représentation à Vilnius. Pékin mène une campagne internationale contre Vilnius, interdit les importations lituaniennes en Chine, sanctionne les entreprises européennes dont la chaîne de valeur comprend la Lituanie. Rupture des relations diplomatiques. Taïwan rachète une cargaison de rhum lituanien initialement destinée à la Chine, et échange du chocolat lituanien contre des puces de micro-processeurs. La prise de position lituanienne divise l’UE, plusieurs pays d’Europe centrale se rapprochant plutôt de la position de Vilnius (Prague, Bratislava, Ljubljana), d’autres soutenant Pékin (Budapest, Belgrade); alors que les grands pays évitent de se prononcer clairement (France, Allemagne). La Lituanie avait été précédé par le Somaliland (Etat lui aussi non reconnu…).
* Début octobre 2021, France-UE-Taïwan : un groupe de sénateurs français préparés par Antoine Bondaz (FRS) se rend à Taïwan, passant outre les menaces de l’ambassade de Chine à Paris, tandis qu’une délégation d’hommes d’affaires taïwanais, et le ministre taïwanais des Affaires étrangères, Joseph WU , se rendent en République tchèque, en Lituanie et en Slovaquie. Le 29 octobre, en marge du G20 réuni à Rome, l’Alliance interparlementaire sur la Chine (IPAC), créée le 4 juin 2020 (anniversaire de Tiananmen), se réunit pour la première fois à Rome et dénonce les répressions chinoises (Ouïghours, Hong Kong, Tibet, menaces sur Taïwan). Protestations du ministre chinois des Affaires étrangères WANG Yi en tournée dans les Balkans et en Italie.
* 21 octobre 2021: « l’ambiguïté stratégique » américaine remise en question ? . Interrogé à Baltimore, lors d’un échange avec des électeurs retransmis sur CNN, sur la possibilité d’une intervention militaire américaine pour défendre Taïwan en cas d’attaque de la Chine,le président Biden, a répondu par l’affirmative : « Oui, nous avons un engagement en ce sens .» Une déclaration qui vient en contradiction avec la politique tenue de longue date par les États-Unis, dite « d’ambiguïté stratégique », Washington aidant Taïwan à construire et renforcer ses défenses sans promettre de manière explicite de venir à son aide si une attaque avait lieu. Dans une interview antérieure sur la chaîne ABC, le président américain avait fait une promesse similaire, parlant «d’engagement sacré » à défendre les alliés de l’Otan au Canada et en Europe, et « de même avec le Japon, la Corée du Sud, et Taïwan ».
* 26 octobre 2021, Taïwan-Etats-Unis-ONU : Le secrétaire d’État américain Antony Blinken appelle les États membres de l’ONU à soutenir une participation « robuste » de Taïwan à l’organisation internationale. La présidente taïwanaise TSAI Ing-wen reconnaît sur CNN que des troupes américaines (quelques dizaines de soldats) se trouvaient depuis plus d’un an sur le sol de Taïwan afin d’apporter une formation à l’armée taïwanaise.
* 29 octobre 2021 : l’Alliance interparlementaire sur la Chine (IPAC) se réunit pour la première fois, à Rome. Ce réseau de quelque 200 députés et sénateurs de tous bords (anti-communistes) et de nombreux pays est né en le 4 juin 2020, date anniversaire de la répression de Tiananmen en 1989. L’IPAC traiter des sujets qui déclenchent les foudres de Pékin : les libertés bafouées à Hong Kong ; le Tibet occupé ; la persécution des musulmans ouïghours en Chine ; et les menaces contre la démocratique Taïwan…
* 12 novembre 2021 : « Déclaration de Kobé » appelant à une «Loi fondamentale sur les relations Japon-Taïwan», et à soutenir l’intégration de Taïwan dans les organisations internationales multilatérales. Elle est issue des travaux de l’Assemblée pour la promotion de l’amitié Japon-Taïwan (créée en 2015), qui organise des sommets réunissant des élus japonais et taïwanais de tous partis et de tous niveaux. Cette déclaration s’inscrit dans le courant favorable au vote d’une version japonaise du Taiwan Relations Act américain de 1979.
* Novembre 2021: sommet de l’APEC en Nouvelle-Zélande. Comme les années précédentes, le fondateur de l’entreprise TSMC, Morris CHANG (90 ans) est chargé par la présidente TSAI d’y promouvoir la candidature de Taïwan auprès des 11 membres du CPTPP, le « Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership », pacte de libre-échange régional. Car Pékin et Taipei ont simultanément déposé leur candidature officielle – mais la Chine a immédiatement fait valoir qu’elle ne tolérerait pas une adhésion de Taïwan, qui est soutenue directement par le Japon.
* Novembre-décembre 2021, visites d’amitié à Taipei : visite à Taïwan d’une délégation d’élus du parlement européen conduite par Raphaël Glucksmann, autre bête noire du gouvernement chinois. Visites à Taipei de personnalités ou délégations parlementaires tchèques, slovaques. Différentes motions parlementaires de soutien à la démocratie taïwanaise (Parlement européen, Bundestag allemand). Visite d’une délégation de députés français (conduite par François de Rugy). Visites de deux délégations parlementaires américaines: de Républicains à la mi-novembre, bipartisane début décembre.
* 9 & 10 décembre 2021, Taïwan au Sommet de la démocratie de Washington: les Etats-Unis organisent un sommet (virtuel) des démocraties qui réunit plus d’une centaine de pays. Taïwan est invité, malgré les vitupérations de Pékin. Les Américains censurent toutefois la carte du powerpoint de la déléguée taïwanaise (Audrey TANG, ministre en charge du numérique depuis 2016), sur laquelle Taïwan était représentée d’une couleur différente (verte) de celle la Chine continentale (rouge) en matière de liberté de communication et d’expression sur l’internet dans le contexte de la crise pandémique du covid-19. En mars 2022, un texte législatif impose au Département d’Etat américain de représenter cartographiquement Taïwan de manière distincte de la Chine, puis de modifier la page Taïwan de son site internet.
* Décembre 2021 : Le ministère japonais des Affaires étrangères annonce la création en son sein d’un poste de haut-fonctionnaire chargé du suivi des « affaires taïwanaises », dont la mission inclue les Senkaku et la mer de Chine orientale. Une première depuis le communiqué sino-japonais de 1972…
* 2021-2022 : le Japon révise drastiquement ses options sécuritaires (Japan National Security Strategy). Ses principaux textes d’orientation stratégiques et diplomatiques sont modifiés: le Livre blanc de la défense; la Stratégie de sécurité nationale ; les Lignes directrices du programme de défense nationale ; le Programme de défense de moyen terme ; le Livre bleu diplomatique. Première évolution : désormais, la Chine, « représente le plus grand défi stratégique que le Japon ait jamais connu [depuis 1945]» – même s’il n’est à aucun moment fait mention d’une « menace chinoise » dans ces différents documents. Deuxième évolution : « la sécurité de Taïwan [est explicitement liée] à la sécurité du Japon ». L’hypothèse d’une prise de contrôle de Taïwan par la Chine serait celle d’un basculement stratégique majeur pour le Japon, et d’une remise en cause de l’ordre international. « Protéger Taïwan en tant que pays démocratique » est donc une nécessité pour protéger les intérêts vitaux du Japon sur la première chaîne d’îles et, au-delà, dans tout l’Indo-Pacifique. Amorcée en 2015 par Shinzo ABE, l’augmentation du budget militaire s’est accélérée depuis 2020-2021. Légèrement supérieur à 1% du PIB nippon en 2021, il doit atteindre rapidement les 2 % du PIB, complété par une importante dotation de 320 milliards de dollars pour répondre « au changement rapide de l’environnement sécuritaire autour du Japon », en amplifiant les « capacités de contre-attaque » et de frappe d’un ennemi éventuel.
* Décembre 2021, le Nicaragua se tourne vers Pékin: le sandiniste Daniel Ortega, fraîchement réélu à la présidence du Nicaragua, rompt ses relations diplomatiques avec Taïwan, au profit de Pékin (auquel il transfert immédiatement le bâtiment diplomatique taïwanais, alors que Taipei voulait le céder à la Nonciature du Vatican). Ses motivations sont à la fois géopolitiques (il risque un train de sanctions des Etats-Unis et de l’Organisation des Etats américains pour ses violations aggravées de la démocratie) et économiques (recherche d’investissements chinois, relance du projet de canal du Nicaragua). En janvier 2022, Ortega adhère au projet des « Routes de la soie » (Belt and Roads Initiative, BRI), et signe plusieurs accords de coopération économique.
* Début 2022, Taïwan n’a plus que 14 partenaires diplomatiques officiels. En 2016, Taïwan a perdu Sao Tomé-et-Principe. En 2017, le Panama. En 2018: la République Dominicaine, le Burkina Faso et le Salvador. En 2019: les Îles Salomon et le Kiribati. Et le Nicaragua en 2021. La « diplomatie du chéquier » de Pékin est plus efficace que celle de Taipei. Il ne reste donc plus que 14 Etats reconnaissant Taïwan. Mais au même moment, multiplication des délégations occidentales à Taipei et amorce (à Washington, Tokyo, Canberra, etc. ) d’un renforcement des politiques officielles de soutien à Taïwan face à l’agressivité de Pékin.
* 1er janvier 2022 : la présidente TSAI Ing-wen (蔡英文) rappelle dans son message de Nouvel An que « les deux rives du détroit de Taïwan partagent la responsabilité du maintien de la paix et de la stabilité dans la région. ». Dans un discours à forte tonalité sanitaire et sociale, elle appelle la Chine à s’abstenir de toute coercition militaire, et à recourir à des moyens pacifiques pour apaiser les tensions régionales. « Nous maintiendrons fermement notre souveraineté, défendrons les valeurs de liberté et de démocratie, défendrons la souveraineté territoriale et la sécurité nationale, et maintiendrons la paix et la stabilité dans la région indo-pacifique. » En réponse, à Pékin, la porte-parole du Bureau chinois des affaires de Taïwan, ZHU Fenglian (朱鳳蓮) accuse le Parti démocrate progressiste (DPP) de TSAI de rechercher l’indépendance de Taïwan, de « continuer à forger des mensonges, et à intensifier les hostilités et le trafic de haine pour en tirer des bénéfices politiques. » La veille, dans son propre discours du Nouvel An, le président chinois XI Jin-ping avait répété que « l’unification complète de la patrie [chinoise] [est] une aspiration partagée par les peuples des deux rives du détroit de Taïwan. » Le Kuomintang, quant à lui, déclare que le gouvernement TSAI ferait mieux de rechercher surtout « un équilibre trilatéral [a trilateral balance] » dans les relations entre Taïwan, la Chine et les États-Unis.
* 22 janvier 2022: inauguration à Taipei du Parc culturel CHIANG Ching-kuo par la présidente TSAI. Le Parc ouvre au public la résidence de l’ancien président (1978-1988) et fils de TCHANG Kaï-chek. Il comprend également la Bibliothèque CHIANG, qui abritera ses archives. La présidente TSAI a souligné que CHIANG, fermement anticommuniste, avait su résister à la pression militaire et politique permanente de Pékin, et reste à ce titre une « référence importante » pour Taïwan, qui a contribué au développement économique de l’île. Toutefois la dénomination du Parc et de la Bibliothèque a entraîné des protestations de la Commission de justice transitionnelle (TJC), et d’élus du New Power Party (NPP) . En soulignant que CHIANG avait été un acteur important de la répression antidémocratique pendant la période autoritaire, de 1947 à la Terreur blanche, du Mouvement de la renaissance de la culture chinoise dans les années 1960 à « l’incident de Kaohsiung » en 1979, et ce, jusqu’à la levée de la Loi martiale à la fin de son mandat (« sous la pression sociétale et de l’environnement international« ). Et que le Parc et la Bibliothèque seront gérés par la Chiang Ching-kuo Foundation for International Scholarly Exchange, qu’ils estiment trop proches de Pékin. L’ancien président MA Ying-jeou (Kuomintang) a assisté à l’inauguration de la Bibliothèque. Les déclarations de Mme TSAI sont critiquées par plusieurs associations de victimes de la répression de la « période autoritaire », mais aussi par des historiens universitaires.
* 25 janvier 2022: Corruption. Taïwan gagne 3 places, passant du 28e au 25e rang dans le classement anti-corruption annuel de Transparency International. Singapour est 4e, le Japon 18e, la France 22e, la Corée du sud 32e, la Chine populaire 66e.
* 4 février 2022: ouverture des Jeux olympiques d’hiver à Pékin. Comme lors de compétitions comparables, les sportifs & sportives taïwanais participent sous le label « Chinese Taipei », seul autorisé par Pékin.
* Février 2022 : Taïwan-Japon : Taïwan lève ses restrictions sur les importations de productions agricoles et alimentaires japonaises en provenance des cinq préfectures touchées par la contamination radioactive de la centrale de Fukushima Dai-ichi, en mars 2011. Ces restrictions avaient été instaurées par le président MA Ying-jeou (Kuomintang) – qui y avait aussi vu un moyen de contenter Pékin et de distancier de Tokyo. Le Japon avait renouvelé sa demande de levée des restrictions taïwanaises en janvier 2022, d’autant plus que la communauté internationale avait déjà largement levé les restrictions appliquées au Japon sur cette question de Fukushima. Il ne reste plus que la Chine et la Corée du sud à les maintenir désormais. Leur maintien par Taïwan obérait le soutien japonais à la candidature à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (CPTPP) déposée par Taipei en septembre 2021.
* 18 février 2022 : Taïwan et les Jeux olympiques d’hiver de Pékin. Taipei proteste contre les déclarations « de propagande politique inappropriée violant la neutralité olympique » de YAN Jiarong, porte-parole du Comité [chinois] d’organisation des Jeux Olympiques de Pékin (Beijing Organizing Committee for the Olympic Games, BOCOG) : « Je tiens à dire qu’il n’y a qu’une seule Chine dans le monde. Taïwan est une partie inaliénable de la Chine. C’est un principe largement reconnu des relations internationales et un consensus dans la société internationale. » Elle ajoute, à propos des Ouïghours du Xinjiang : « les rapports sur les camps de travaux forcés dans la région du Xinjiang sont des mensonges fabriqués par des groupes aux intentions malveillantes. ». Selon la Charte olympique, « aucune forme de manifestation ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée sur les sites, lieux ou autres zones olympiques. » Le Comité olympique international (CIO) a ensuite mollement rappelé « l’exigence de neutralité politique de la Charte olympique. »
* 10 février 2022: Taïwan classée 8e démocratie du monde. L’Economist Intelligence Unit rend public son « Indice de démocratie » annuel . Dans la catégorie des « démocraties à part entière » en Asie et en Océanie, outre la Nouvelle-Zélande 2e (avec une note de 9,37/10), on trouve Taïwan 8e , (avec 8,99), ainsi que l’Australie 9e (8,90) , la Corée du Sud 16e (8,16), le Japon 17e (8,15). Taïwan a donc progressé de trois places par rapport au classement 2020. La Chine, classée « régime autoritaire », est 148e, avec un score de 2,21/10. C’est indubitablement l’un des facteurs qui contribuent à la piètre image qu’a la Chine à Taïwan et au Japon, le taux de popularité de Pékin ne cessant de décliner depuis l’arrivée de XI Jinping au pouvoir il y a une décennie.
* 24 février 2022 : Ukraine-Taïwan. Le parallèle Russie-Ukraine et Chine-Taïwan, aussi imparfait soit-il, s’est immédiatement imposé après l’agression russe. Car, à l’instar de la Russie, et surtout depuis la Loi anti-sécession de 2005, la Chine est de plus en plus susceptible de changer le statu quo par la force à Taïwan. La question n’étant désormais plus de savoir si la Chine va envahir Taïwan, mais quand ? Dès lors s’ouvrent de multiples questions : scénarios d’agression de Taïwan par la Chine ; capacité militaire de Taïwan à résister ; esprit de défense des Taïwanais ; types d’armements dont Taïwan a besoin ; nature du soutien américain à Taïwan ; positionnement du Japon, etc.
* 1er-5 mars 2022: délégations américaines à Taïwan. Visite officielle d’une délégation bipartisane envoyée par le président Joe Biden les 1er et 2 mars. Elle est conduite par Mike Mullen, ancien chef d’état-major des armées, et comprend quatre anciens conseillers des présidents George W. Bush et Barack Obama. Puis visite de Mike Pompeo, ancien secrétaire d’Etat de Donald Trump, du 2 au 5 mars. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les Etats-Unis cherchent à rassurer Taïwan. Les Taïwanais s’inquiètent depuis des mois de la nature du soutien américain à l’Ukraine, et plus encore après l’agression militaire russe. Alors que se tient le 3 mars une réunion des dirigeants de l’alliance QUAD (Etats-Unis, Japon, Australie, Inde), ces visites américaines à Taïwan sont qualifiées de « provocations » par Pékin, qui annonce le 5 mars une augmentation de son budget militaire de plus de 7 % en 2022. Plus de trois fois supérieur au budget russe, il restera toutefois plus de trois fois inférieur à celui des Etats-Unis,
* Juin 2022: Selon le sondage annuel sur « l’identité revendiquée », réalisé depuis 1992 par l’Université Chengchi: 60,8% des personnes interrogées se disent Taïwanaises ; 32,9% se sentent à la fois Taïwanaises et Chinoises; seules 2,7% s’estiment être avant tout Chinoises.
* Juin 2022: Selon le sondage annuel sur « Le statut de l’île et l’indépendance », réalisé depuis 1994 par l’Université Chengchi: 28,7% des personnes interrogées se disent pour le maintien du statu quo, avec une décision plus tard ; 28,5% pour le maintien du statu quo, indéfiniment ; 25,4% pour le maintien du statu quo, avec une évolution vers l’indépendance ; 5,6% pour la proclamation immédiate de l’indépendance ; 1,2% pour l’unification dès que possible avec la Chine.
* 8 juillet 2022 : assassinat près de Nara de Shinzo ABE, Premier ministre japonais (PLD) en 2006-2007, puis de 2012 à 2020. Au lendemain de sa disparition, il est célébré à Taipei comme « le meilleur ami japonais de Taïwan», une qualification qui mérite d’être précisée. Deux axes de l’action d’ABE, nationaliste conservateur, anticommuniste et pro-américain, ont concerné la sécurité régionale et donc Taïwan. Le premier concerne le rôle des forces armées, les Japan Self-Defense Forces (JSDF). ABE n’a pas voulu modifier l’article 9 « pacifiste » de la Constitution de 1946. Mais il a fait adopter la Loi du 19 septembre 2015 sur les JSDF les autorisant, « dans certaines circonstances », à venir en aide d’alliés attaqués, dans le cadre d’une «autodéfense collective». Le second est le lancement en 2016 de la stratégie pour « un Indo-Pacifique libre et ouvert » (Free and Open Indo-Pacific, FOIP), ayant vocation à réunir les pays attachés aux valeurs de la démocratie et du marché, face aux nouveaux défis posés par la Chine. La loi de 2015 est parfois présentée comme pouvant légitimer une aide militaire de Tokyo à Taïwan. Il n’en est rien. Lors des débats à la Diète, ni la Chine, ni Taïwan n’ont jamais été nommées. Soucieux de ne pas braquer la Chine, ABE a soigneusement défendu le statu quo de 1972 concernant les relations avec Pékin et les non-relations avec Taipei. Bien qu’appartenant à une dynastie familiale historiquement liée à Formose, « le meilleur ami japonais» n’a pas fait bouger les lignes quand il était Premier ministre. Il attendra d’avoir quitté ses fonctions pour exprimer librement ses affinités taïwanaises, comme l’ex-président LEE laissera libre cours à son indépendantisme. Tous deux se trouvant alors en phase avec leurs opinions publiques.
* 2 et 3 août 2022 : visite à Taipei de Nancy Pelosi, présidente démocrate de la Chambre des représentants. Et violente réaction de Pékin. Cette visite avait été initialement déconseillée par la Maison Blanche. Reçue par la présidente TSAI et au Yuan législatif, Nancy Pelosi s’en est tenue au rappel des positions américaines classiques sur les relations avec la Chine et avec Taïwan (tout en y ajoutant une série de signaux en « défense des démocraties face aux autocraties »). Mais cette visite a provoqué la fureur de Pékin et déclenché la « quatrième crise du détroit de Taïwan ». « L’ingérence américaine inadmissible dans les affaires intérieures chinoises » est donc sanctionnée par d’importantes manœuvres militaires tout autour de Taïwan, avec le tir de onze missiles balistiques pour « encadrer » l’île. Pékin s’est félicité que cinq « missiles balistiques de précision [aient] atteint leurs cibles » … dans les eaux de la zone économique exclusive japonaise qui jouxte Taïwan.Les Japonais sont beaucoup plus fermes qu’auparavant : Tokyo a publiquement condamné la Chine, demandant à Pékin de cesser ses exercices militaires ; une ferme protestation a été élevé pour les missiles tombés dans la ZEE japonaise.
* 1954-1958-1995-2022 : Les 4 « crises du détroit de Taïwan« : 1)- Première crise 1954-1955 autour des îles Qemoy, Matsu et Tachen (affrontements militaires) 2) – Deuxième crise 1958 autour de Qemoy et Matsu (affrontements militaires) 3) – Troisième crise en 1995-1996 : tirs de missiles chinois et manœuvres maritimes après une visite du président LEE Teng-hui aux Etats-Unis et dans la perspective des élections présidentielles taïwanaises de 1996 4) – Quatrième crise à l’été 2022 : une semaine de manœuvres chinoises et tirs de missiles autour de Taïwan pour punir Taipei d’avoir reçu la speaker démocrate Nancy Pelosi le 3 août.
* 28 septembre 2022 : une commission du Sénat américain adopte un projet de loi intitulé « Taiwan Policy Act of 2022 ». Le texte prévoit un renforcement notable de l’aide militaire américaine à Taïwan ainsi qu’une révision significative de l’approche de Washington sur ce dossier. Selon ce projet de loi, « Taïwan sera traité comme s’il était un allié non membre de l’OTAN » en ce qui concerne les aides militaires américaines.
* 29 septembre 2022 : 50e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre le Japon et la Chine. XI Jinping échange au téléphone des messages de félicitations avec le Premier ministre japonais KISHIDA Fumio, au nom de « la grande importance desrelations entre [les] deux pays ». Et ce, alors même que la Chine venait à peine de terminer des manœuvres inter-armes autour de Taïwan, avec, en particulier, cinq « tirs de missiles balistiques de précision ayant atteint leurs cibles » … dans les eaux de la zone économique exclusive japonaise ! Le même jour, des navires de guerre chinois franchissent le détroit d’Osumi (entre l’île méridionale de Kyushu, et le nord de l’archipel d’Okinawa, où sont basées 74% des forces américaines au Japon), dans le cadre de manœuvres avec des navires russes – une nouvelle démonstration, en pleine guerre en Ukraine, du rapprochement militaire entre Moscou et Pékin.
* 22 janvier 2023 : Lors de son discours du Nouvel an lunaire, XI Jinping répète l’antienne déjà formulée en octobre 2022 lors du 20e Congrès national du parti : la « province de Taïwan » doit revenir, de gré ou de force, dans le giron de la mère-patrie ; « Nous sommes résolument engagé dans la lutte contre le séparatisme et l’ingérence étrangère ».
* 2 et 8 février 2023: les deux câbles sous-marins reliant Matsu à Taïwan sont « malencontreusement » coupés par deux navires chinois. C’est la 30e fois depuis 2017. L’opération s’inscrit vraisemblablement dans la « zone grise » des pressions de Pékin sur Taipei. Elle démontre en tous cas l’extrême vulnérabilité de Taïwan sur ce plan, 14 câbles reliant l’île au reste du monde.
* 21 février 2023 : Taïwan et les États-Unis tiennent leur dialogue annuel bilatéral sur la sécurité au siège de l’Institut américain de Taïwan (AIT, l’ambassade taïwanaise de facto) à Washington D.C., auquel ont participé : le ministre taïwanais des Affaires étrangères Joseph Wu et le secrétaire général du Conseil de sécurité nationale Wellington Koo, et la sous-secrétaire d’État américaine Wendy Sherman et le conseiller principal adjoint à la sécurité nationale Jon Finer, et de nombreux autres. Les éditions précédentes de ces réunions s’étaient tenues dans la discrétion hors de la capitale américaine.
* 26 mars 2023 : Après le Nicaragua du sandiniste Daniel Ortega en décembre 2021, le Honduras cède à son tour aux sirènes financières de Pékin, et rompt ses relations diplomatiques avec Taïwan après 80 ans. Depuis l’élection de la présidente TSAI en 2016, c’est le 9e pays qui rompt ainsi avec Taipei, pour rejoindre Pékin. Il ne reste donc que 13 Etats entretenant des relations diplomatiques avec Taïwan.
* 29 mars-6 avril 2023 : Visite officielle de la présidente TSAi au Guatemala puis au Belize, et escales aux Etats-Unis. La présidente fait deux escales aux Etats-Unis, à New York à l’aller, en Californie au retour. En Californie, elle rencontre le 5 avril le président républicain de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy . C’est la première visite de la présidente aux Etats-Unis depuis 4 ans, et la première rencontre sur le sol américain d’un président taïwanais avec le speaker de la Chambre. Comme d’habitude, cette rencontre entraîne une réponse véhémente de la part de Pékin, qui engage de nouvelles manœuvres militaires autour de Taïwan, avec tirs de munitions réelles. Baptisées «Épée tranchante unie » ( 联合利剑 » 演习), ces manœuvres sont, selon le communiqué du Commandement du théâtre d’opérations de la zone Est, « un exercice obligé et une sérieuse mise en garde contre les forces séparatistes taïwanaises qui, en collusion avec les forces étrangères, menacent l’intégrité territoriale de la Chine. »
* 27 mars-7 avril 2023 : MA (KMT) en Chine. Alors que la présidente TSAI est en voyage officiel en Amérique, l’ancien président taïwanais MA Ying-jeou (2008-2016), qui fut aussi à deux reprises le président du KMT (2005-2007 et 2009-2014), effectue un « voyage privé » d’une semaine en Chine continentale, pour honorer la mémoire de SUN Yat-sen (孙中山- SUN Zhong Shan – un des fondateurs du KMT et premier Président de la République de Chine en 1912), et partir sur les traces de sa propre famille. A son arrivée, MA précise sa position et celle du KMT : attachement au « Consensus de 1992 » ; « Les peuples des deux rives sont Chinois et descendants de l’Empereur Jaune ». Une rencontre avec XI Jinping n’était pas prévue (ils s’étaient rencontré à Singapour en novembre 2015).
* 4 juin 2023: Commémoration à Taipei du massacre de la place Tienanmen à Pékin en juin 1989: rassemblement nocturne sur la place de la Liberté (devant le mausolée de Tchang Kaïchek), prises de parole, témoignages, films, musique…
De Formose à Taïwan : une chronologie détaillée, du XVe siècle à 2024