MAAG, « Military Assistance Advisory Group » est une désignation générique pour les groupes de conseillers militaires américains envoyés dans nombre de pays pour y former les forces armées conventionnelles, et y coordonner l’aide militaire fournie par les Etats-Unis. Succédant à des groupes d’assistance technique militaire qui ont fonctionné pendant la Deuxième guerre (par exemple en Chine, en soutien aux forces nationalistes combattant les Japonais), des MAAG ont été envoyés dans le monde entier entre la fin de la Deuxième guerre et les années 1970, dans le contexte de la Guerre froide : de l’Europe occidentale (France incluse) aux Balkans (Yougoslavie), de la Turquie à l’Iran, de l’Ethiopie au Japon, etc. Les plus importants en volumes et en missions ont été positionnés en Asie du Sud-Est avant et pendant la guerre du Vietnam : Indochine française, Vietnam, Laos, Cambodge, etc. Rattachés aux ambassades américaines, les MAAG doivent en principe être distingués des corps expéditionnaires américains qui peuvent être déployés sous commandement militaire dans les mêmes pays. Cette distinction n’est pas toujours facile, certaines activités croisant les ressources de l’armée, des MAAG et de la CIA.
Du MAAG-Formosa au MAAG-Taiwan (1951-1979)
Entre 1951 (installation des premiers conseillers au titre du MAAG, alors que la guerre en Corée prend de l’ampleur) et 1979 (interruption des relations diplomatiques avec Taipei au profit de Pékin), le Groupe consultatif d’assistance militaire des États-Unis « à Formose »(MAAG-Formosa), puis « à Taïwan » (MAAG-Taiwan), a été l’organisme central de planification, de coordination et d’exécution des initiatives de coopération américaines auprès des forces armées taïwanaises de TCHANG Kaïchek, alors sous le contrôle idéologique étroit des commissaires du Kuomintang.

Le MAAG-Formosa créé en 1951 était une réincarnation de l’organisation du même nom qui avait opéré en Chine continentale de 1947 à 1949, jusqu’à ce que les nationalistes de TCHANG soit vaincus par MAO, et se replient à Taïwan en 1949. De 1951 à 1955, ce MAAG-Formosa était en charge de toutes les questions de défense américano-taïwanaises. Au départ, le MAAG-Formosa avait ses bureaux dans le bâtiment même du ministère taïwanais de la Défense nationale, et était présent dans toutes les principales unités taïwanaises. En 1955, après la ratification du Traité de défense mutuelle sino-américain, a été créé un Commandement de la défense des États-Unis à Taïwan (United States Taiwan Defence Command), qui a absorbé une partie des personnels, des ressources et des responsabilités du MAAG. Le MAAG a évidemment fortement influencé les concepts de défense de Taïwan, en traduisant en chinois de très nombreux manuels de formation militaire américains. L’objectif étant de passer d’un concept de défense au concept de posture offensive, en développant également les formations à la sécurité régionale dans le contexte de l’endiguement (containment) et du refoulement (rollback) du communisme en Asie.
On notera, en matière de formation, que des tensions sont apparues à Taïwan entre le MAAG et le gouvernement nationaliste autour de la présence sur l’île d’anciens officiers supérieurs japonais, le Groupe blanc ou Beituan (1945-1968), chargés par TCHANG Kaï-chek d’entraîner « à la japonaise » une partie des forces armées taïwanaises.

1959: la marine américaine dans le port de Keelung

Vers 1970, la base d’écoute et de communications de l’Air Force à Shu Linku (ouest de Taipei)
Faut-il recréer un MAAG contemporain à Taïwan ?
A l’heure actuelle, certains analystes américains, qui tirent la sonnette d’alarme sur les risques d’une prochaine, voire imminente, agression chinoise, estiment que Washington ferait mieux de renforcer ouvertement la présence de ses conseillers militaires sur l’île, plutôt que de devoir regretter trop tard de n’avoir pas été suffisamment présent avant l’attaque chinoise.
« Pour aider à dissuader l’agression chinoise, les États-Unis devraient établir une version du 21e siècle de ce groupe consultatif souvent oublié [le MAAG] pour fournir la capacité du personnel, la synchronisation et l’intégration interinstitutions nécessaires pour faciliter une collaboration militaire américano-taïwanaise de plus en plus robuste, renforcer les défenses de Taiwan et renforcer sa volonté de se battre. Malgré la contre-pression inévitable du gouvernement chinois, le rétablissement de cette organisation ne déclencherait probablement pas de conflit militaire et serait conforme à l’engagement des États-Unis envers la politique d’une seule Chine, guidée par le Taiwan Relations Act, les Trois communiqués conjoints et les Six assurances. » YEAGER & GERICHTEN, 7/1/2022
Sur la base des orientations nouvelles données par la présidente TSAI depuis 2016, (guerre asymétrique, « stratégie du porc-épic », etc.), l’armée taïwanaise est en train d’évoluer, mais les réformes se heurtent à des habitudes anciennes et intéressées (l’acquisition d’armements lourds et de prestige, le projet idéologique nationaliste de reconquête du continent, etc.) et à de fortes inerties bureaucratiques. Les lobbyistes d’un nouveau MAAG-Taiwan estiment que celui-ci pourrait contribuer à faire pencher plus nettement la balance en faveur des réformateurs tenants de la guerre asymétrique reposant sur une nouvelle doctrine, et de nouveaux équipements.
« Tirant parti de sa compréhension et de son influence, cette organisation [un nouveau MAAG] pourrait éclairer la planification de guerre américano-taïwanaise. Bien que ce ne soit pas son objectif, il pourrait également former le noyau d’un commandement américain en temps de guerre […] » Les États-Unis peuvent conserver leur politique « d’ambiguïté stratégique »e tout en établissant cette organisation. Le président américain et les hauts responsables américains ont signalé à plusieurs reprises l’intention américaine de défendre Taïwan – en obtenant les avantages dissuasifs de la clarté stratégique, tout en conservant astucieusement l’autonomie stratégique inhérente à la politique d’ambiguïté. Les dirigeants japonais et australiens ont emboîté le pas. L’existence de cette organisation signalerait l’intention des États-Unis d’aider à défendre Taïwan, mais cela n’engagerait pas les États-Unis à le faire. Le rétablissement de cette organisation symboliserait un engagement tangible des États-Unis dans la défense de Taiwan. La nouvelle organisation américaine montrerait également à Taïwan qu’elle n’est pas seule.» YEAGER & GERICHTEN, 7/1/2022
En 2022-2023, quelques dizaines de conseillers militaires américains sont à l’oeuvre à Taïwan – 200 environ au printemps 2023. Ils sont chargés de l’entraînement de forces taïwanaises aux « armements d’autodéfense » livrés par Washington dans le cadre du Taiwan Relations Act de 1979. Pékin dénonce leur présence ; Taipei la minimise ; Washington rappelle que cette présence très réduite est exclusivement d’entraînement à l’utilisation de nouveaux armements. Selon les analystes et lobbyistes pro-Taïwan américains, un nouveau MAAG-Taiwan crédibiliserait le soutien à Taipei, sans pour autant mettre à mal la doctrine officielle américaine « d’ambiguïté stratégique » . Laquelle a déjà été bien écornée à 4 reprises par le président Biden, qui a répété que « bien évidemment » les Etats-Unis interviendraient si Taïwan était directement menacé…
Jean-Paul Burdy
SOURCES PRINCIPALES
« MAAG- Saga of Service », Taiwan Review, June 01, 1966. URL: https://taiwantoday.tw/news.php?unit=4&post=6910
WEBER Nathaniel R., United States Military Assistance Advisory Groups during the Cold War, 1945-1965, PhD. Dissertation, Texas; A&M University, 2016, 231p. pdf: https://core.ac.uk/download/pdf/79652741.pdf
YEAGER Jake, GERICHTEN William, « Reestablish the U.S. Military Assistance Advisory Group-Taiwan », warontherocks.com, January 7, 2022. URL: https://warontherocks.com/2022/01/reestablish-the-u-s-military-assistance-advisory-group-taiwan/
https://www.taipeiairstation.com/index_files/Page427.htm : Un site créé par d’anciens militaires américains en poste à Taïwan entre 1951 et 1979, dont certains au MAAG, d’autres dans l’Air Force ou les Marines. Le site fournit de nombreuses photographies militaires ou off duty, qui permettent une approche sociologique de la vie des boys américains à Taipei.


Souvenirs du mess des officiers du MAAG, Taipei, années 1960-1970
