2006-2022 : Un Taiwan Relations Act japonais : serpent de mer ou perspective envisageable?


12 novembre 2021: Proclamation de la Déclaration de Kobé au terme du 7e sommet nippo-taïwanais


L’idée d’un Taiwan Relations Act japonais a discrètement émergé dans le débat public japonais au milieu de la décennie 2000. Elle ne l’a jamais vraiment quitté depuis. Conservateur et libéral, nationaliste et anticommuniste, le Parti libéral-démocrate (PLD) exerce le pouvoir à Tokyo depuis 1955, pratiquement sans interruption. Organisée en 1957, sa faction Kōchikai (宏池会) y très souvent majoritaire1. Représentant les grandes entreprises et les milieux d’affaires, elle est très favorable au développement des échanges avec une Chine qui s’ouvre au monde, et est avide des capitaux et des technologies japonais : le marché continental est incomparablement plus prometteur que celui de Taïwan, qui n’est alors encore qu’un « petit dragon » émergent. Après 1972, pendant plus de quatre décennies, les gouvernements PLD successifs veilleront donc à étouffer dans leurs rangs toute déclaration publique de soutien à Taïwan qui pourrait indisposer Pékin. Et le Japon s’en tient à une application très stricte du Communiqué commun sino-japonais de 1972. Le Japon se repose sur les Etats-Unis pour tout ce qui concerne les relations politiques et sécuritaires avec Taïwan, y compris après que Washington a reconnu Pékin, en 1979.

L’idée d’une version japonaise du Taiwan Relations Act américain (1979) a émergé dans le débat public au milieu de la décennie 20002. La première occurrence de la formule est taïwanaise, et date de 2006, quand le président taïwanais CHEN Shui-bian (PDP, indépendantiste) soutient qu’un « mécanisme de dialogue stratégique entre les deux pays [pourrait] apporter une contribution importante à la sécurité et à la stabilité régionales. 3» A l’époque il n’y a d’autres réactions qu’à Pékin, pour dénoncer « une provocation ». Car, sous la pression de la faction Kōchikai du PLD, anticommuniste mais pro-chinoise, les dirigeants japonais, y compris Shinzo ABE (2012-2020), s’en tiennent à une position de grande prudence: aucune déclaration publique de soutien à Taïwan ; ne pas provoquer Pékin, pour ne pas risquer d’affaiblir des échanges commerciaux essentiels à l’économie japonaise.

L’approche du PLD évolue ensuite, avec la politique de puissance de la Chine, militairement agressive (mers de Chine du Sud, mer de Chine orientale) et politiquement répressive  (Hong Kong); avec des menaces contre Taïwan considérées comme engageant désormais la sécurité de l’archipel japonais. La ligne de fracture initiale s’est nettement atténuée, avec la mise en place au sein du PLD d’un groupe de travail sur la politique à mener à l’égard de Taïwan, la sécurité de Taïwan étant désormais considérée comme une extension/composante de la propre politique de sécurité du Japon. De nouvelles instances regroupant principalement des parlementaires nippons traduisent l’émergence d’une forme de lobby pro-taïwanais: le Groupe de projet du PLD sur les relations Japon-Taïwan; le Conseil consultatif des députés de la Diète sur les relations Japon-Taïwan ; l’Association des jeunes parlementaires Japon-Taïwan4.

L’idée d’un Taiwan Relations Act japonais réapparaît en 20145, avec une hypothèse de proposition de loi de l’Association des jeunes parlementaires pour le renforcement les liens économiques et culturels avec Taipei. On notera que ce groupe est présidé par Nobuo KISHI, le frère cadet du Premier ministre Shinzo ABE, très nettement marqué à droite6.En réalité le projet d’alors était moins ambitieux que le Taiwan Relations Act américain, qui prévoit la possibilité de fournir des armes défensives à Taïwan en cas de menaces extérieures. Le projet de loi japonais se limiterait à renforcer les liens économiques et culturels, en évitant la question brûlante des partenariats de défense avec l’île.

En 2020, un groupe transpartisan de députés à la Diète reprend la formule d’ABE d’une « région Indo-Pacifique libre et ouverte ». Il fait la synthèse de versions précédentes amendées par des députés et autres élus, des ex-fonctionnaires et des universitaires. 7. On soulignera les points suivants dans cette proposition de loi fondamentale (Basic Law):

– L’article 1 reprend la formule d’une « région Indo-Pacifique libre et ouverte », qui est la définition de la stratégie officielle de sécurité nationale du Japon depuis ABE Shinzo.

– L’article 2 propose de renommer « l’Association d’échange Japon-Taïwan »  en « Association Japon-Taïwan», pour se rapprocher de l’intitulé de relations quasi diplomatiques ; elle aura comme pendant à Taipei « l’Association Taïwan-Japon » ; elle aura une personnalité juridique et ses personnels auront des privilèges équivalents aux privilèges diplomatiques. 

Le sous-comité des affaires étrangères du Parti libéral démocrate du Japon a tenu la première réunion de «l’équipe du projet de Taiwan» le 10 février 2021.

L’idée de TRA japonais revient en février 2021, lors de réunions du Groupe de projet sur Taïwan, sous-comité des Affaires étrangères du PLD. En août 2021, le PLD échange (en virtuel) avec le PDP taïwanais sur « les questions de sécurité communes », et les activités de Pékin en mer de Chine orientale. L’Assemblée pour la promotion de l’amitié Japon-Taïwan (2015) organise des sommets réunissant des élus japonais et taïwanais de tous partis et de tous niveaux. Le 12 novembre 2021 s’est tenu dans le port japonais de Kobé le 7e sommet d’échange Japon-Taïwan. Par rapport aux éditions précédentes, et malgré le covid-19, le 7e sommet a réuni plus de 500 participants dont, côté japonais, 365 représentants de 70 assemblées de préfectures, de villes et de villages8. La « Déclaration de Kobé » du 12 novembre 2021 appelle à une «Loi fondamentale sur les relations Japon-Taïwan», et à soutenir l’intégration de Taïwan dans les organisations internationales multilatérales 9.

Le point 2 de la Déclaration de Kobé appelle à «  Promulguer rapidement une « loi fondamentale sur les relations Japon-Taïwan » pour renforcer les politiques étrangère et de sécurité du Japon et de Taïwan. » « Le Japon devrait renforcer ses efforts pour concrétiser la participation de Taïwan aux organisations internationales, aux cadres internationaux et au système des Nations Unies tels que l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et l’Organisation internationale de police criminelle (OIPC). Le Japon devrait redoubler d’efforts pour aider Taïwan à adhérer à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (CPTPP) […] »


Manifestation d’amitié taïwano-nippone à Taipei, 10 octobre 2022


NOTES

1 Kōchikai, « La société de la grande mare», est une expression tirée d’un poème chinois du Ier siècle.

2 TAKAHATA Akio, « A Japanese “Taiwan Relations Act”: Lessons from the United States», nippon.com, Politics, December 14, 2022. URL : https://www.nippon.com/en/japan-topics/c11405/

3 Cf. KO Shu-ling, Chen urges Japanese `Taiwan Relations Act’, Taipei Times, October 31, 2016. Online: http://www.taipeitimes.com/News/front/archives/2006/10/31/2003334112

4 Depuis quelques années, l’absence de relations diplomatiques avec Taïwan est pour partie contrebalancée par une multiplication des visites à Taipei de délégations parlementaires transpartisanes de nombreux pays.

5 Cf. TIEZZI Shannon, To Counter Beijing, Japan Moves Closer to Taiwan, The Diplomat, 20 February 2014 : https://thediplomat.com/2014/02/to-counter-beijing-japan-moves-closer-to-taiwan/

6 KISHI appartient à la faction la plus droitière du PLD. Il est membre de la Nippon Kaigi (日本会議, « Conférence du Japon »), organisation politique et religieuse proche de l’extrême-droite impérialiste révisionniste et négationniste (contre la qualification et la reconnaissance des crimes de guerre ou crimes contre l’humanité commis par l’armée impériale entre 1931 et 1945 ; contre les jugements du Tribunal de Tokyo après-guerre ; pour les commémorations officielles au sanctuaire Yasukuni.

7 On notera que KISHI Nobuo est devenu ministre de la Défense dans le cabinet SUGA. Robert D.ELDRIDGE propose une traduction du « draft » japonais en anglais dans son article du 1/12/2021 : ELDRIDGE Robert D., Toward a Japanese Version of the “Taiwan Relations Act”: The 7th Japan-Taiwan Exchange Summit and the Kobe Declaration, Washington, Global Taiwan Institute,Global Taiwan Brief, December 1, 2021, Vol. 6, Issue 23. Online:https://globaltaiwan.org/2021/12/vol-6-issue-23/.

8 Les frontières japonaises étant fermées, les seuls représentants taïwanais étaient des résidents au Japon, dont le représentant officieux de Taïwan à Tokyo. On notera que Pékin a fait de multiples démarches pour empêcher e sommet en amont, et que le centre de conférences a reçu plusieurs appels téléphoniques et tweets malveillants ou menaçants.

9 ELDRIDGE Robert D., « Toward a Japanese Version of the “Taiwan Relations Act”: The 7th Japan-Taiwan Exchange Summit and the Kobe Declaration», Washington, Global Taiwan Institute, Global Taiwan Brief, December 1, 2021, Vol. 6, Issue 23. URL : https://globaltaiwan.org/2021/12/vol-6-issue-23/


Fil tweeter en japonais de la présidente TSAI, sur l’amitié nippo-taïwanaise


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