Les îlots et rochers Senkaku / Diaoyutai
Deux contentieux maritimes pèsent, avec une intensité variable, sur la qualité des relations bilatérales (et non officielles depuis 1972) entre Tokyo et Taipei1.
Le dossier des îles Senkaku / Diaoyutai


Au nord de Taïwan, la souveraineté sur les Senkaku (尖閣諸島, pour le Japon) ou Diaoyutai (釣魚台列嶼, pour Taïwan) ou Diaoyu (釣魚島, pour la Chine) est un problème de longue date 2. C’est un ensemble d’îles, îlots et rochers inhabités, mais aux eaux poissonneuses, avec des ressources potentielles en hydrocarbures, et stratégiquement situées. Le Japon les a officiellement englobées dans ses possessions maritimes en 1895, et a acquis certaines des îles auprès d’un propriétaire foncier japonais privé en 2012. Pour Tokyo c’est un territoire japonais, ce que conteste Taipei au nom de la République de Chine. Taïwan soutient que sa souveraineté sur les Diaoyutai est indiscutable sur la base de leur emplacement, de preuves historiques, de la composition géologique du socle marin, et du droit international.
Depuis les années 1970, la Chine populaire ne cesse de faire monter la pression sur les îles Diaoyu. Pékin multiplie ces dernières années les envois de bateaux de pêche3 accompagnés de garde-côtes de plus en plus imposants4. Si la tension principale actuelle est donc bien entre les Japonais et les Chinois, au risque croissant d’un affrontement armé, les Taïwanais se rappellent épisodiquement auprès de Tokyo, quand le Japon dénonce les incursions de Pékin : « Il est incontestable que les îles Diaoyutai font partie intégrante du territoire de la République de Chine (Taïwan). Toute action unilatérale prise par d’autres parties ne changera pas le fait. »

Les garde-côtes japonais affectés à la surveillance des Senkaku, sur l’île d’Ishigashi (2021)

Le dossier des zones de pêche
Pour partie seulement liée à la question des Senkaku/Diaoyutai, la délimitation des zones de pêche et des zones économiques exclusives (ZEE) entre le Japon et Taïwan fait l’objet d’un long contentieux, qui a alimenté pendant des années des dizaines de réunions bilatérales5. Tokyo se réfère à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM, ou UNCLOS – United Nations Convention on the Law of the Sea, dite Convention de Montego Bay, Jamaïque, 1992) pour arguer d’une priorité japonaise dans la délimitation. Taipei se réfère à l’Accord des Nations Unies sur les stocks de poisson (United Nations Fish Stocks Agreement), et à sa participation à l’Organisation régionale de gestion des pêches (Regional Fisheries Management Organisation) qui leur seraient plus favorables.

Les îles habitées taïwanaises les plus septentrionales sont très proches des îles japonaises (Senkaku, Yonaguni, etc.). S’y croisent donc sans cesse chalutiers et gardes-côtes respectifs. Le Japon entend affirmer sa souveraineté sur une zone économique exclusive (ZEE) de 400 000 km2 autour de l’atoll d’Okinotori-shima. Taïwan n’en revendique pas la souveraineté, mais prétend pouvoir pêcher autour de l’atoll. Après plusieurs incidents6, les deux parties ont réussi à conclure en 2013 un accord historique sur les droits de pêche, qui définit les zones de pêche sans pour autant résoudre la question de la souveraineté territoriale 7. En 2016, les deux parties ont ouvert un « dialogue de coopération maritime », traitant du sauvetage en mer, de la recherche scientifique8, de dossiers halieutiques et de la collaboration entre garde-côtes. Il a été rouvert, par exemple, en 2023.
NOTES
1 On se reportera à plusieurs articles du dossier : « Japon. Vers un réveil de la puissance nippone ? », dans : Diplomatie no 78, janvier-février 2016.
2 Comme pour tous les contentieux maritimes comparables dans le monde (Ormuz, Caspienne, Egée, Méditerranée orientale, mer de Chine du Sud, etc.), la bibliographie en défense de chacune des parties intéressées est innombrable. Pour le point de vue officiel japonais, cf. https://www.mofa.go.jp/a_o/c_m1/senkaku/page1we_000010.html . Pour une approche académique, cf.. MATSUOKA Misato, THIM Michal, Taiwan-Japan relations as a complementary counter-balance to Cross-Strait relations: the case of Diaoyutai/Senkaku dispute, paper, 11/ 2015. URL : https://www.amo.cz/wp-content/uploads/2015/11/Taiwan-Japan_relations_as_a_complementar.pdf.
3 En mer de Chine du Sud et en mer de Chine orientale, certaines flottilles de pêche chinoises sont organisées depuis 1974 en « milice maritime chinoise » (haishang minbing), d’apparence civile, mais en réalité agissant comme flottes paramilitaires compactes, adossées en première ligne aux garde-côtes, et en deuxième ligne à la Marine de guerre. Ces milices maritimes harcèlent les pêcheurs locaux; coupent la route des navires de guerre étrangers; stationnent en groupes compacts autour des récifs, îlots et îles que la Chine revendique, et sur lesquels elle a entrepris d’édifier des installations militaires pour y affirmer la souveraîneté de Pékin. Cf., p.ex., GUIBERT Nathalie, « Comment Pékin organise ses milices maritimes », Le Monde, 18/11/2021. URL: https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/18/comment-pekin-organise-ses-milices-maritimes_6102566_3210.html
4 La loi chinoise sur les garde-côtes (海警法), entrée en vigueur le 1er février 2021, et dénoncée par le Japon et les Etats-Unis, stipule que les garde-côtes chinois peuvent utiliser leurs armes contre des navires étrangers considérés comme enfreignant illégalement la juridiction et les droits souverains chinois. Or les intrusions chinoises dans les îles Senkaku/Diaoyu ont spectaculairement augmenté, et les risques d’affrontements entre gardes-côtes japonais et chinois se sont multipliés. Fin décembre 2022, Tokyo a déclaré que les navires chinois (garde-côtes, garde-pêche, sans compter d’innombrables navires de pêche, dont certains servent de paravent à des opérations militaires) avaient été repérés autour des Senkaku pendant 334 jours dans l’année.
5 En l’absence de relations diplomatiques entre Tokyo et Taipei, les réunions afférentes se tiennent en alternance entre l’East Asian Relations Association, puis Taipei Economic and Cultural Representative Office in Japan (pour Taipei à Tokyo), et l’Interchange Association, puis Japan–Taiwan Exchange Association (pour Tokyo à Taipei).
6 L’incident le plus notable a opposé Taïwanais et Japonais le 25 septembre 2012. Sur ordre du président MA Yin-jeou (2008-2016, Kuomintang), qui venait de présenter une initiative de paix en mer de Chine orientale (cf. http://www.taipeitimes.com/News/front/archives/2012/08/06/2003539558), 81 chalutiers taïwanais accompagnés d’une dizaine de garde-côtes se sont regroupés autour des îles Diaoyutai pour y affirmer la souveraineté de Taïwan, et les droits de pêche afférents. Pendant l’accrochage qui a suivi, les garde-côtes japonais ont fait usage de canons à eau. Les deux parties ont cependant décidé de faire baisser la tension : le Premier ministre Shinzo ABE craignait que le contentieux nippo-taïwanais ne fasse le jeu de Pékin ; et MA s’est vu critiqué par l’opposition en interne.
7 L’accord est officiellement signé le 10 avril 2013 par l’Association japonaise pour les échanges (Kōryū kyōkai) et l’Association taïwanaise pour les relations en Asie de l’Est. Il définit les droits respectifs du Japon et de Taïwan en matière de pêche dans une zone de 74 000 km2 située au sud du 27e parallèle nord, autour des Senkaku/Diaoyutai, à l’exclusion des eaux territoriales entourant lesdites îles dans un rayon de 12 milles marins. Plus précisément, il définit les zones où les Japonais et les Taïwanais sont autorisés à pêcher en toute liberté et met en place une zone spéciale où les bateaux taïwanais ne seront plus contrôlés par les autorités japonaises. Pour toutes les négociations futures, l’accord crée également une Commission commune des pêches du Japon et de Taïwan. L’accord a mécontenté les pêcheurs japonais, en particulier ceux de l’archipel d’Okinawa.
8 Fin septembre 2022, on a encore relevé un accrochage entre un garde-côtes taïwanais exigeant d’un garde-côtes japonais qu’il cesse de harceler un navire de recherche de la National Taiwan University travaillant à l’est des côtes taïwanaises dans des eaux revendiquées par Tokyo comme ressortant de sa souveraineté (photo ci-dessous) . Cf. https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3194916/10-hour-stand-between-taiwanese-coastguard-and-japanese-patrol
