Tensions dans le détroit de Taïwan en 2022: Tokyo révise sa doctrine de défense, et augmente ses dépenses militaires.


Les Livres blancs de la défense, 2021 et 2022. La couverture de celui de 2021 a fait polémique.


La Chine, désormais rivale systémique des Etats-Unis, ambitionne de devenir en 2049 la première puissance mondiale. Cette ambition a amené le président Barack Obama à annoncer en 2011 un « pivot vers l’Asie » des Etats-Unis1. De son côté, le Japon est directement confronté à une pression croissante de la Chine en mer de Chine orientale et dans la zone indo-pacifique. Ce qu’ont concrétisé les tirs de missiles balistiques chinois à l’occasion de la « quatrième crise du détroit de Taïwan », en août 2022, consécutive à la visite à Taipei de la présidente démocrate de la Chambre des représentants Nancy Pelosi : 5 de ces missiles ont terminé leur course dans les eaux de la zone économique exclusive japonaise… Depuis l’établissement de relations diplomatiques avec Pékin en 1972, au détriment de Taipei, le Japon a entretenu avec Taïwan une relation très prudente, qui apparaissait presque figée par le Communiqué conjoint sino-japonais de 19722 . C’était particulièrement vrai en matière de sécurité régionale,Tokyo se plaçant derrière la protection américaine. Les choses évoluent sous la contrainte géopolitique : pour partie depuis 2015, mais plus encore depuis 2022 et la guerre en Ukraine3. La « question de Taïwan » est désormais centrale dans les approches sécuritaires de Tokyo -sans pour autant que la nature des non-relations entretenues avec Taipei ne changent juridiquement. Le Japon révise sa doctrine de défense, et augmente ses dépenses militaires.


Le quotidien ultra-nationaliste chinois Global Times ré-interprète la couverture du Livre blanc japonais en juillet 2021


1) Pour Tokyo, les questions sécuritaires autour de Taïwan sont longtemps restées hors-champ, parce que déléguées aux Américains

Pendant longtemps, Tokyo ne s’est pas posé la question de Formose, et de son impact sécuritaire éventuel sur le Japon . D’une part parce que la Chine de Pékin était trop faible militairement pour menacer la sécurité du détroit de Taïwan – et réciproquement, l’armée nationaliste de TCHANG Kaï-chek n’avait pas les forces nécessaires à la reconquête (toujours repoussée) du Continent. D’autre part et surtout, parce que les Etats-Unis étaient militairement présents à Taïwan, et assuraient donc conjointement la sécurité du Japon et de Taïwan. La question sécuritaire aurait pu se poser à Tokyo à partir du moment où Washington « lâche » Taipei en établissant des relations diplomatiques avec la Chine populaire le 1er janvier 1979. Mais le Congrès américain vote alors le Taiwan Relations Act (TRA) qui prévoit, en particulier, la possibilité de vendre des armes défensives à Taïwan, contre une éventuelle invasion. Les Etats-Unis restent donc considérés à Tokyo comme la puissance militaire en charge de Taïwan, au titre du Traité de sécurité entre les États-Unis et le Japon (Security Treaty Between the United States and Japan, TS-1951) signé le 8 septembre 1951 à San Francisco, remplacé le 19 janvier 1960 par le Traité de coopération mutuelle et de sécurité entre les États-Unis et le Japon (Treaty of Mutual Cooperation and Security between the United States and Japan, TMCS-1960).

En 1969, dans une déclaration conjointe américano-nipponne, la sécurité de Taïwan est, pour la première fois, explicitement liée à la sécurité du Japon par le Premier ministre SATO Esaki4 ; cette déclaration est parfois qualifiée de « Clause de Taïwan / The Taiwan Clause ». Mais elle reste vague et ambiguë. Car, en cas de « situations dans les zones entourant le Japon [« situations in areas surrounding Japan »]qui ont une influence importante sur la sécurité japonaise », il est entendu que c’est aux Etats-Unis d’assurer cette sécurité. Il faudra attendre le 16 avril 2021, et la rencontre à la Maison Blanche du président Joe Biden et du Premier ministre japonais SUGA Yoshihide, pour que le lien sécuritaire Japon-Taïwan soit explicitement mentionné à nouveau par Tokyo…

2) Avec le Premier ministre Shinzo Abe, une première inflexion de la politique de défense japonaise (2015)

Shinzo Abe a été Premier ministre (PLD) en 2006-2007, puis de décembre 2012 à septembre 2020. Pendant les huit ans de ce deuxième mandat, ce nationaliste conservateur, anticommuniste et pro-américain a cherché à faire du Japon « un pays normal ». L’article 9 de la Constitution de 1946 est qualifié de « pacifiste »5. Il dispose que « le peuple japonais renonce à jamais à la guerre » ou à « l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux ». Les Forces japonaises d’autodéfense (FJA ; Japan Self-Defense Forces, JSDF) doivent assurer la sécurité de l’archipel, encadrées par les accords signés avec les Etats-Unis. Les textes ont été régulièrement révisés pour s’adapter aux évolutions de la conjoncture sécuritaire régionale6. Avec, par exemple, la création par Tokyo, le 15 décembre 2006, d’un ministère de la Défense (qui remplace les trois Agences de défense antérieures), les Forces d’autodéfense se sont progressivement rapprochées d’une armée classique, et leurs zones géographiques d’opération ont été élargies.

Bien que disposant presque toujours de la majorité requise pour une réforme constitutionnelle, Shinzo Abe n’a pas voulu modifier l’article 9 de la Constitution. Mais, dans le contexte des menaces nord-coréennes et chinoises, il a fait adopter la Loi du 19 septembre 2015 sur les Forces d’autodéfense, les autorisant en particulier à venir en aide d’unités alliées attaquées dans certaines circonstances, dans le cadre d’une «autodéfense collective» – une disposition qui a suscité de vives critiques de ses opposants, des médias et d’une partie de l’opinion publique, certains dénonçant un retour du militarisme japonais – pour ne pas parler des vitupérations de Pékin via le Global Times. En 2018, des moyens budgétaires sont votés pour un renforcement des moyens de l’armée de l’air et de la marine, et de leurs capacités de projection. Pour autant, soucieux de ne surtout pas braquer la Chine, Abe a soigneusement maintenu le statu quo des non-relations avec Taipei ; et une « ambiguïté stratégique » absolue en cas d’attaque chinoise contre Taïwan. En revanche, on relèvera que la stratégie lancée par Abe en 2016 pour « Une zone Indo-Pacifique libre et ouverte (自由で開かれたインド太平洋, Free and Open Indo-Pacific, FOIP) 7», et qui a été reprise à son compte par le président Donald Trump dès 2017, concerne de facto la « question de Taïwan .»Laquelle prend une importance croissante, curieusement plus d’ailleurs que les tensions avec la Corée du nord8.

3) La révision des options de défense de Tokyo face à un « défi stratégique chinois majeur », 2020-2023 

Confronté au durcissement du discours de Pékin sur Taïwan9 ; aux gesticulations militaires croissantes dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine méridionale10 qui l’accompagnent ; à l’étouffement des libertés à Hong Kong en 2019-2020 (qui a eu un impact important dans l’opinion publique japonaise) ; à la gestion de la crise du covid-19 par Pékin11 ; et aux premières leçons de la guerre en Ukraine12, le Japon révise ses priorités de défense, et les moyens qu’il y consacre.

Le Japon a mis à jour en 2021, puis en 2022, son Livre blanc de la défense. Ce sont de volumineux documents qui listent les enjeux de sécurité pour le Japon (menaces, alliances, rapports de force), et les moyens d’y répondre (stratégies, alliances, budgets, matériels, déploiements, etc.). Par rapport aux éditions antérieures, les versions 2021 puis 2022 témoignent d’évolutions significatives, qui correspondent à de multiples déclarations concomitantes de responsables du PLD, et à différents documents diplomatiques récents. Tokyo a également révisé en 2022 trois documents concernant sa sécurité : sa Stratégie de sécurité nationale  (National Security Strategy13); les Lignes directrices du programme de défense nationale (National Defense Program Guideline) ; le Programme de défense de moyen terme ( Medium Term Defense Program) . La stratégie diplomatique a également été actualisée14.

La Chine est un défi stratégique, et la sécurité de Taïwan est importante pour le Japon

Première évolution : désormais, la Chine, « représente le plus grand défi stratégique que le Japon ait jamais connu  [depuis 1945]». Pendant des années, les rapports se contentaient de relever la montée en puissance militaire (surtout maritime) de la Chine, et le déséquilibre croissant du rapport des forces avec Taïwan, sans en tirer, sur ce volet spécifique, une quelconque conclusion pour la sécurité du Japon. Ils soulignaient prioritairement le rythme de plus en plus élevé des opérations des garde-côtes chinois (CCG), et des flottes de pêche qu’ils encadraient en mer de Chine orientale, tout particulièrement autour des îles Senkaku/Diaoyu contestées. A partir de 2021, et surtout après le vote de la loi chinoise sur les garde-côtes, la tonalité est beaucoup plus vigoureuse – même s’il n’est à aucun moment fait mention d’une « menace chinoise » dans ces différents documents.

Deuxième évolution : Taïwan est désormais présentée comme un enjeu japonais majeur. Alors que les versions antérieures restaient floues par omission sur la « question de Taïwan », celle-ci est désormais abordée frontalement. Pour la première fois, le texte de 2021 lie explicitement « la sécurité de Taïwan à la sécurité du Japon »: « La stabilisation de la situation autour de Taïwan est importante (…). Par conséquent, il est nécessaire d’y accorder une attention particulière avec un sentiment de crise (a sense of crisis).» Le Livre blanc 2021 y consacre 4 pages, dans le chapitre sur la Chine : Taïwan est mentionnée 185 fois dans le volume. L’édition 2022 consacre 10 pages à Taïwan, et cette fois dans le chapitre sur les relations entre les États-Unis et la Chine : la nécessité et la volonté de « protéger Taïwan en tant que pays démocratique » y sont exposées, et elles sont reprises dans le « Livre bleu diplomatique 2022 » concomitant. Désormais, soutenir Taïwan n’est pas seulement une démonstration de bonne volonté envers un voisin démocratique, mais aussi une nécessité pour protéger les intérêts directs du Japon – en particulier les routes du commerce maritime qui approvisionne l’archipel en hydrocarbures, pétrole et gaz du Moyen-Orient, et en matières premières.

Révision de la doctrine et des budgets militaires japonais

Le Japon révise sa doctrine militaire. Une nouvelle stratégie de défense (Japan National Security Strategy, JNSS) a été adoptée le 16 décembre 2022. Elle rompt progressivement avec le principe de posture défensive maintenu depuis 194615. Et le Japon s’éloigne de la « doctrine Yoshida », du nom du premier ministre conservateur YOSHIDA Shigeru (1946-1947, puis 1948-195416). Appliquée depuis 1945, elle permettait à l’archipel de se concentrer sur sa reconstruction, puis sur sa croissance économique, la charge de sa sécurité étant déléguée aux Etats-Unis. L’une des preuves du changement de pied en cours du Japon est la forte augmentation des budgets militaires, amorcée en 2014-2015 par Shinzo Abe, mais qui s’est donc accélérée depuis 2020-2021. Elle n’est pas seulement imputable à l’héritage d’Abe en la matière, aux « faucons » du ministère de la Défense ou aux pressions de Washington (sous Trump comme sous Biden), mais bien au changement de la conjoncture régionale et internationale, avec de nouvelles menaces.

Dépassant légèrement 1% du PIB, le budget militaire japonais a représenté 53,2 milliards de dollars US en 2021. Soit une hausse de 15% par rapport à 2020. Tokyo a décidé de le faire passer de 1 % à 2 % du PIB le plus rapidement possible, ce qui est la barre demandée par les Américains à ses alliés de l’OTAN dans le cadre du « partage du fardeau (burden sharing) »17.  Enfin, le Premier ministre KISHIDA a annoncé le 16 décembre 2022 un programme d’équipement militaire de 320 milliards de dollars pour répondre « au changement rapide de l’environnement sécuritaire autour du Japon »18. Un état-major interarmées a été créé, dont le chef est aussi chargé de conseiller le Premier ministre et le ministre de la Défense, et d’améliorer la coordination avec les forces américaines. Proches de Taïwan, les îles de l’archipel Nansei sont remilitarisées.


Le quotidien ultra-nationaliste chinois Global Times stigmatise le retour du militarisme japonais en mars 2022


Au plan de la défense, le Japon se « normalise » : c’est une vraie rupture dans le pays de l’article 9 « pacifiste », et des Forces d’autodéfense. L’opinion publique japonaise étant historiquement attachée au « pacifisme constitutionnel », l’acquisition de « capacités de frappes » contre des objectifs étrangers avait suscité depuis 2015 de vives critiques contre ABE. Mais les inflexions récentes, qui auraient provoqué un tollé il y a quelques années, font semble-t-il consensus, sauf exceptions19. Car il est désormais compris qu’un conflit à Taïwan déborderait inéluctablement sur le Japon. Le mot d’ordre « «Résistez à la Chine, aidez Taïwan !» semble largement admis. A l’inverse, toutes ces évolutions et mesures ont suscité en retour immédiat des réactions virulentes de Pékin, stigmatisant le « retour aux errances du militarisme japonais agressif », formule prisée du quotidien nationaliste Global Times, qui s’est particulièrement déchaîné contre Shinzo Abe après qu’il n’était plus Premier ministre20 ».

NOTES

1 « US strategic pivot (rebalancing) to Asia » : Le « pivot » est un rééquilibrage à la fois militaire et politique vers l’Asie, et le « siècle du Pacifique ». Le terme est utilisé à partir du voyage d’Obama en Asie-Pacifique en novembre 2011. Et il figure dans un article concomitant de la secrétaire d’Etat: CLINTON Hillary, «America’s Pacific Century », Foreign Policy, novembre 2011. L’article entend souligner le poids économique et stratégique d’une vaste région d’avenir, à la fois sur le plan mondial, et pour les Etats-Unis. La diplomatie américaine doit donc mobiliser ses forces dans cette région prioritaire, face à la montée en puissance de la Chine comme rival systémique. L’adjoint de Clinton chargé de l’Asie, développera le propos : CAMPBELL Kurt, The Pivot. The Future of American Statecraft in Asia, New York, 2016. Le «pivot» est parfois aussi qualifié de « rééquilibrage » (rebalancing).

2 THIM Michal, MATSUOKA Misato, « The Odd Couple: Japan & Taiwan’s Unlikely Friendship », thediplomat.com, May 15, 2014. URL: https://thediplomat.com/2014/05/the-odd-couple-japan-taiwans-unlikely-friendship/ Après 1972 (ou : « sous le régime de 1972 »), Tokyo n’entretient plus avec Taipei que « des relations de travail sur une base non gouvernementale » ou « non officielle ». Les conséquences ne sont pas négligeables en matière de (non-) relations avec Taipei. Il faut attendre décembre 2021 pour que le ministère japonais des Affaires étrangères annonce la création d’un poste de haut fonctionnaire chargé du suivi des « Affaires taïwanaises », mission qui n’existait pas jusqu’alors… Le Japon n’a pas non plus d’attaché de défense en service actif à Taipei. Avant 2023, au ministère de la Défense à Tokyo, il n’y a pas de section, ni même un seul fonctionnaire, qui soit formellement chargé de gérer les relations avec Taïwan. En juin 2022, le Japon a décidé d’envoyer un ou plusieurs officiers d’active auprès de la Japan-Taiwan Exchange Association à Taipei, « pour faciliter et accélérer les échanges d’information ». Jusque-là, seuls des officiers supérieurs de rang intermédiaire, mais retraités, étaient missionnés à Taipei.

3 SCHREER Benjamin, TAN Andrew T.H., « New dynamics in Taiwan-Japan relations », in : SCHREER B. & TAN A.T.H. (eds), The Taiwan Issue. Problems and Prospects, Routledge, 2020, 250p., Chapter 9, p.123-137 (avec une copieuse bibliographie) ; WAIDELICH Brian, BARRETT Elizabeth, « Japan’s New Defense White Paper Elevates Security Concerns Over Taiwan Strait », Taipei, CNA In Depth, July 23, 2021. URL: https://www.cna.org/news/InDepth/2021/07/japans-defense-white-paper-security-concerns-taiwan-strait .

4 La rencontre Nixon-Sato à la Maison Blanche est suivie le 21 novembre d’un communiqué commun (Joint Statement). Pour la première fois, un texte mentionne la question de la sécurité de Taïwan pour Tokyo. Après que le président Nixon a rappelé que les Etats-Unis respecteront leurs obligations conventionnelles envers la République de Chine (Taïwan), le Premier ministre SATO a déclaré que le maintien de la paix et de la sécurité en Corée et dans la région de Taiwan était également un facteur très important pour la sécurité du Japon : « The Prime Minister said that the maintenance of peace and security in the Taiwan area was also a most important factor for the security of Japan » . C’est la première fois qu’un dirigeant japonais associe explicitement deux points chauds de la guerre froide à la propre sécurité du Japon. Cf. BURDY Jean-Paul, «Document 1969 – Le Communiqué commun Nixon-Sato, dans lequel la sécurité de Taïwan est pour la première fois associée à celle du Japon (21 septembre 1969)», post du blog « Les Mots de Taïwan », 5 février 2010. URL : https://lesmotsdetaiwan.com/2010/02/05/document-1969-le-communique-commun-nixon-sato-dans-lequel-la-securite-de-taiwan-est-pour-la-premiere-fois-associee-a-celle-du-japon-21-septembre-1969/

5 Constitution de 1946 – Chapitre II – Renonciation à la guerre – Article 9 : «Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l’ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ainsi qu’à la menace ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux. Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l’État ne sera pas reconnu. ». Cf. https://mjp.univ-perp.fr/constit/jp1946.htm

6 WEINSTEIN Kenneth R. & NAKAYAMA Yasuhide (ministre japonais de la Défense), Transcript: The Transformation of Japan’s Security Strategy, Washington D.C., Hudson Institute, June 30, 2021. Online: https://www.hudson.org/research/17059-transcript-the-transformation-of-japan-s-security-strategy . En pdf : https://s3.amazonaws.com/media.hudson.org/Transcript

7 Cf.Japan Ministry of Defense, Free and Open Indo-Pacific, 9/2021. URL: https://www.mod.go.jp/en/d_act/exc/india_pacific/.html

8 Les inquiétudes concernant la Chine semblent désormais résonner plus profondément chez les citoyens japonais que les craintes concernant les missiles et l’arme nucléaire nord-coréens. En 2015, le PLD avait beaucoup mis en avant la menace nord-coréenne pour renforcer le soutien aux réformes de sécurité. Huit ans plus tard, alors que les provocations nord-coréennes se sont multipliées en nombre et aggravées en menace, c’est la Chine qui est perçue comme la menace sécuritaire principale – peut-être parce qu’une riposte militaire américaine-sud-coréenne est garantie en cas d’attaque nord-coréenne sur l’un de ses voisins, dont le Japon (qui riposterait lui aussi au titre de l’auto-défense et de la « légitime défense collective ».

9 INOUE Masaya, « The Taiwan Crisis and the Role of Japanese Diplomacy », Japan Foreign Policy Forum (JFPF), JFPF-Diplomacyno 74, December 28, 2022. URL : https://www.japanpolicyforum.jp/diplomacy/pt2022122817590712829.html

10 La Loi chinoise sur les garde-côtes (海警法), entrée en vigueur le 1er février 2021, dispose que les garde-côtes chinois peuvent utiliser leurs armes contre des navires étrangers considérés comme enfreignant la juridiction et les droits souverains chinois – ce qui concerne donc directement les navires de pêche et patrouilleurs japonais, par exemple dans l’archipel contesté des Senkaku. Ce qui vaut également en mer de Chine méridionale : Cf. KODA Yōji, « Making Waves: Chinese Response to the South China Sea Case », nippon.com, July 26, 2016. URL : https://www.nippon.com/en/currents/d00226/ . Le jour même du 50ème anniversaire du Communiqué conjoint sino-japonais de 1972, des navires de guerre chinois et russes franchissaient le détroit d’Osumi (entre l’île méridionale de Kyushu, et le nord de l’archipel d’Okinawa, où sont basées l’essentiel des forces américaines au Japon), dans le cadre de manœuvres régionales conjointes.

11 Les Japonais, dont la culture hygiéniste est forte (ils l’ont prouvé à Taïwan dans la « période coloniale ») ont été profondément heurtés par la gestion par la Chine de l’épidémie, puis pandémie, de covid-19: dissimulation, puis déni de l’émergence de l’épidémie fin 2019; dissimulation persistante des origines géographiques et sociales du virus; agressivité des politiques sanitaires de zéro-covid avec de forts relents de xénophobie – le sentiment anti-japonais en Chine s’est encore accru; fermeture totale de la Chine, alors que les Japonais y ont de très gros intérêts supposant une circulation bilatérale des individus, et que le tourisme chinois était important dans l’archipel, etc.

12 Lors d’une conférence de presse le 5 mai 2022, le Premier ministre KISHIDA déclare : « L’Ukraine d’aujourd’hui pourrait être l’Asie de l’Est de demain ». Alors qu’à Taipei le soutien officiel et citoyen à l’Ukraine a été immédiat, le Japon a voté à l’ONU la condamnation de l’agression russe, puis les sanctions contre la Russie- celle-ci ayant à Pékin un allié prêt à « changer le statu quo par la force », à Taïwan.

13 Le National Security Strategy (NSS) est un organe du gouvernement japonais chargé de définir les grandes orientations du pays en matière militaire, économique et technologique. Il souligne dans son rapport 2022 que, « tandis que le centre de gravité du monde  se déplace vers l’Asie-Pacifique », l’environnement sécuritaire du Japon est devenu « le plus critique depuis la fin de la guerre », confronté qu’il est à la nucléarisation et aux missiles de la Corée du Nord, mais aussi aux pressions de la Chine.

14 1) Japan Ministry of Defense, Defense of Japan 2021, Tokyo, MOD, 7/2021, 512p. URL : https://www.mod.go.jp/en/publ/w_paper/wp2021/DOJ2021_EN_Full.pdf

2) Japan Ministry of Defense, Defense of Japan 2022. Tokyo, MOD, 7/2022, 543p. URL: https://www.mod.go.jp/en/publ/w_paper/wp2022/DOJ2022_EN_Full_02.pdf

3) Japan Ministry of Foreign Affairs,Japan Diplomatic Blue Book 2022, Tokyo, MOFA, 2022, 395p. URL : https://www.mofa.go.jp/policy/other/bluebook/2022/pdf/pdfs/2022_all.pdf

15 PONS Philippe, « Le Japon face aux dilemmes de sa puissance militaire », Le Monde, 9/1/2023. URL : https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/09/le-japon-face-aux-dilemmes-de-sa-puissance-militaire_6157200_3210.html ; & ASHLEY Ryan, «Japan’s New National Security Strategy Is Making Waves», Japan Foreign Policy Forum (JFPF), JFPF-Asia Programme , January 4, 2023. URL : https://www.fpri.org/article/2023/01/japans-new-national-security-strategy-is-making-waves/

16 DOWER John W. , Empire and Aftermath : Yoshida Shigeru and the Japanese Experience, 1878-1954, Council on East Asian Studies Monographs, Harvard University Press, 1988, 618 p. ; HOSOYA Yuichi, « “On Prime Minister Abe Shinzo”. Creating a new foreign policy to replace the Yoshida Doctrine », Japan Foreign Policy Forum (JFPF), JFPF-Politicsno 73, November 16, 2022. URL : https://www.japanpolicyforum.jp/politics/pt2022111610350112684.html

17 En 2022, avec environ 300 milliards de dollars, le budget militaire annuel officiel de la Chine, en constante augmentation, représente cinq fois celui du Japon (soit le huitième budget militaire le plus important au monde), et douze fois celui de Taïwan. Le budget militaire américain est de 813 milliards ; le budget russe évalué à 91 milliards ; le budget français à 53 milliards. Les FAJ sont actuellement classées au quatrième rang des forces armées les plus puissantes au monde. Avec la guerre en Ukraine, la tendance mondiale (des Etats et des alliances) est à de fortes augmentations des dépenses militaires.

18 Déployés en particulier sur les îles de l’archipel Nansei, des moyens de lutte antinavires, antimissiles et anti-drones, mais aussi l’acquisition de nouveaux F-16 et de F-35 furtifs américains, amplifieront les « capacités de contre-attaque » et de frappe contre un ennemi éventuel, et d’intervenir « au profit d’un allié menacé. » Cette notion de « contre-attaque » est censée respecter l’esprit et la lettre de l’article 9 « pacifiste » de la Constitution japonaise de 1946, soit une politique « exclusivement basée sur la défense » (« senshu boei , 千秋防衛 »), dans trois cas : si une attaque contre le Japon ou un pays étranger entretenant des liens étroits avec Tokyo menace la sécurité du pays ; s’il n’existe aucun autre moyen d’éliminer la menace ; si l’usage de la force est considéré comme nécessaire.

19 Une prise de parole a fait grand bruit dans l’été 2021, mais ne doit sans doute pas être surinterprétée. Le 5 juillet 2021, le vice-Premier ministre ASŌ Tarō (麻生 太郎, PLD) déclare: « Si un problème majeur se produisait à Taïwan, ce ne serait pas trop dire que ce pourrait être lié à une situation menaçant la survie [du Japon] (…) Le Japon et les États-Unis doivent défendre Taïwan ensemble«Si Taïwan tombe, Okinawa est la prochaine étape.» En cas d’invasion chinoise de Taïwan, qui serait « une menace existentielle  pour la sécurité du Japon », le Japon exercerait son droit de « légitime défense collective .» Cette déclaration a eu un très important écho médiatique. Mais certains analystes estiment qu’elle a été mal interprêtée : ASO s’exprimait dans une réunion PLD de levée de fonds dans un hôtel de Tokyo, comme politicien donc et non comme ministre. Il a sans doute été mal traduit quand on lui fait dire que si Taïwan était attaqué « le Japon le défendrait » (« would defend ») , alors qu’il aurait plutôt signifié au conditionnel que le « Japon pourrait être amené à défendre » (« could defend ») Taïwan. ASO a une sérieuse réputation de nationaliste révisionniste provocateur et gaffeur, coutumier des déclarations tonitruantes : en général, les médias évoquent par euphémisme son « franc-parler ». Cf. Kyodo News, 6/7/2021: https://english.kyodonews.net/news/2021/07/4303060a680b-deputy-pm-aso-says-japan-would-defend-taiwan-with-us-irking-china.html . LIFF Adam P., HASS Ryan, Japan-Taiwan relations: A look back on 2021 and look ahead to 2022, Washington DC, Brookings, January 20, 2022. URL : https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2022/01/20/japan-taiwan-relations-/; MESSMER Philippe, Japon : l’impossible M. Aso, vice-premier ministre provocateur et nationaliste, L’Express, 29/07/2020. URL : https://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/japon-l-impossible-m-aso .

20 Associated Press, « China Lashes Out at Japan’s Former PM Abe Over Taiwan Warning », AP, December 02, 2021. URL : https://thediplomat.com/2021/12/china-lashes-out-at-japans-former-pm-abe


Deux garde-côtes japonais encadrent un bateau de pêche chinois dans une zone contestée (2012)


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