Pourquoi l’ancien président LEE Teng-hui (李登輝, 1923-2020) est-il considéré comme « le père de la démocratie » taïwanaise?


Résumé : LEE Teng-hui (李登輝, 1923-2020) a présidé la République de Chine de 1988 à 2000, et le parti Kuomintang à la même période. Vice-président, il succède à CHIANG Ching-kuo (1978-1988) pour terminer le mandat de celui-ci, puis sera élu à deux reprises, en 1990 (par le Yuan législatif) et en 1996 (au suffrage universel direct). LEE présente deux originalités dans l’histoire politique taïwanaise: il est le premier président né à Taïwan colonie japonaise, et a été profondément marqué par la culture japonaise ; et c’est le premier président élu au suffrage universel direct. Alors qu’il a été au coeur du système Kuomintang, on retient surtout de lui l’ensemble des mesures de démocratisation qu’il a encouragées ou prises pendant ses mandats ; et son positionnement publiquement indépendantiste à la fin de sa vie. A son décès, le 30 juillet 2020, la quasi-totalité des commentateurs le qualifient de « père de la démocratie » à Taïwan. Sauf, évidemment, au sein du Kuomintang, et plus encore à Pékin.

Abstract : LEE Teng-hui (李登輝, 1923-2020) presided over the Republic of China from 1988 to 2000, and the Kuomintang party during the same period. Vice-president, he first completed CHIANG Ching-kuo’mandate for two years, and then is elected twice: in 1990 (by the Legislative Yuan) and in 1996 (by direct universal suffrage). LEE offers two originalities in Taiwanese political history: he is the first president born in Taiwan’s Japanese colony, and was deeply influenced by Japanese culture; and he was the first president elected by direct universal suffrage. While he was at the heart of the Kuomintang system, he is especially remembered because of all the democratization measures he encouraged or took during his terms of office; and his publicly independentist positioning at the end of his life. When he passed on July 30, 2020, almost all commentators called him the “father of democracy” in Taiwan. Except, of course, within the Kuomintang, and even more so in Beijing.


Une enfance taïwano-japonaise

LEE Teng-hui est né le 15 janvier 1923 dans le village de Sanchih, près de Tamsui (préfecture de Taihoku, au nord de Taipei), dans une famille rurale aisée d’origine hakka, et dans laquelle la langue d’usage était le holo – la langue scolaire étant le japonais #1. Les liens de sa famille avec la domination coloniale et avec le Japon sont importants. Son père est auxiliaire de la police japonaise. Son frère aîné Teng-chin a rejoint l’Académie de police, puis s’est porté volontaire pour la Marine impériale japonaise – il est mort lors de la bataille de Manille en 1945. Adolescent, pratiquant les arts martiaux, Teng-hui s’est initié au bushido (le code des principes moraux des samuraïs), et on le voit sur une photographie d’époque en tenue de kendo #2. Il est l’un des quelques élèves chinois de son lycée à poursuivre des études supérieures, et l’un des quelques lycéens taïwanais à partir au Japon après avoir reçu une bourse de l’Université impériale de Kyoto. Sur place, il est influencé, dira-t-il, par des penseurs japonais comme NITOBE Inazō (1862-1933 #3) et NISHIDA Kitaro (1945- #4), mais aussi par les courants intellectuels européens, ou la musique classique occidentale, qui circulent au Japon depuis l’ère Meiji, et que les années 1930 du militarisme et des « valeurs japonaises » n’ont pas fait disparaître #5.


LEE Teng-hui (à droite), avec son frère aîné Teng-chin en 1929 (Archives Academia Sinica). LEE lycéen à Taihoku, en tenue de kendo


LEE en uniforme d’étudiant en 1943 à Kyoto . LEE et son frère, volontaires dans l’armée impériale en 1943


En 1944, comme plus de 200000 Taïwanais, LEE se porte volontaire pour servir dans l’armée impériale japonaise, et affecté comme sous-lieutenant de DCA à Taïwan #6. Rappelé au Japon, il participe au déblaiement des ruines de Tokyo après le grand bombardement incendiaire de mars 1945. Après la capitulation, il retourne à l’Université de Kyoto et en sort diplômé en 1946. Il rentre alors à Taïwan. Au vu de ce parcours japonais, et des affinités avec le Japon qu’il ne rendra publiques que sur le tard, on comprend pourquoi, quand il accèdera à la présidence, ses adversaires politiques à Taïwan même (donc pas seulement à Pékin) ne manqueront pas de l’attaquer sur le fait « qu’il parle mieux le japonais que le mandarin…  #7», du fait de cet itinéraire taïwano-japonais.


Après 1945, une carrière de technocrate spécialiste des questions agricoles. Et brièvement membre du parti communiste…

LEE rentre à Taïwan en 1946. A l’Université nationale, il se spécialise en économie agricole. A cette époque, il a d’abord été proche du Parti communiste via une association étudiante marxiste #8. Il en a ensuite sans doute été brièvement membre entre 1946 et 1948, bien qu’il ait maintenu l’ambiguïté sur une appartenance, qui lui sera évidemment reprochée quand sa carrière politique prendra son essor. Il est donc sur place lors de événements de février-mars 1947. Sa proximité familiale et personnelle avec le Japon le font vraisemblablement surveiller par la police politique, mais il semble n’avoir alors aucun engagement politique. Il participe comme technicien à la Sino-American Joint Commission on Rural Reconstruction (JCRR), un programme de réforme agraire parrainé par Washington pour promouvoir la modernisation du secteur agricole de Taïwan, et qui contribuera à la réussite économique du pays #9. Ce qui lui permet d’obtenir des bourses d’études pour les Etats-Unis. En 1952, il part aux États-Unis, à l’Université d’Etat d’Iowa (ISU), où il obtient un MA en économie agricole. Il soutiendra un doctorat dans cette discipline à l’Université Cornell (New York) en 1968. A son retour des Etats-Unis, il fait l’objet d’une enquête de la justice militaire pour appartenance possible au Parti communiste, et reste une semaine en garde à vue. Dans les décennies 1950-1960, il est enseignant-chercheur à l’Université nationale de Taïwan, et spécialiste d’économie rurale dans différentes structures étatiques, bancaires ou consultant en aménagement, souvent en relation avec des commissions mixtes américano-taïwanaises.


L’ascension dans l’appareil du Kuomintang à partir de 1971, jusqu’au mandat présidentiel hérité en 1988

LEE adhère au Kuomintang en 1971 –tardivement donc (il a plus de 50 ans), après son retour des Etats-Unis, ce qui lui ouvre une carrière politique. Dans ses Mémoires publiées en 2016, il écrira qu’il n’avait en adhérant au Kuomintang aucun projet de carrière, mais qu’il pensait que c’était la seule opportunité possible de « changer Taïwan de l’intérieur. » Toujours est-il que, repéré par CHIANG Ching-kuo (fils de Tchang Kaï-chek, d’abord premier ministre, puis président de la République à partir de 1978), pour son efficacité de technocrate, LEE devient de 1972 à 1978, ministre sans portefeuille dans le Yuan exécutif (Cabinet), en charge des questions agricoles. De la part de CHIANG, c’est une rupture audacieuse avec la tradition rigoureuse du Kuomintang depuis 1949 qui voulait que les cadres du parti soient tous originaires du continent #10. On retiendra de ce recrutement que la promotion politique de LEE doit tout au propre fils de Tchang Kaï-chek, donc du coeur même du système. Pour reprendre une formule du journaliste Francis Déron « LEE Teng-hui est le produit syncrétique d’une histoire locale faite d’ingrédients totalement différents des parcours dans lesquels se reconnaissent les hommes qui dirigent le continent », mais aussi des leaders historiques du Kuomintang #11.

LEE est nommé maire de Taipei en 1978, et le reste jusqu’en 1981. Adepte d’une gestion rigoureuse, il entreprend de moderniser les infrastructures de la capitale : adduction d’eau et traitement des eaux usées ; autoroutes urbaines ; délocalisation en périphérie d’usines polluantes ; planification d’une ville-satellite dans l’est de la capitale, etc. Puis il est nommé Gouverneur de la Province de Taïwan (1981-1984) par le Yuan exécutif de la République de Chine, dont le siège est à Nantou (centre), il s’emploie, là encore, à améliorer l’aménagement du territoire : construction de systèmes de réseaux d’irrigation et d’égouts ; rénovation des villages, etc. LEE prend ainsi sa part, discrète, à ce qui sera qualifié de « miracle économique » d’un « petit dragon taïwanais » qui y avait été notoirement préparé par un demi siècle de présence japonaise.

En 1984, il est promu vice-président de CHIANG Ching-kuo, au moment où les réformes politiques que celui-ci a mises en œuvre ont permis d’amorcer une démocratisation minimale du régime #12. Très peu connu, loin des caciques historiques du parti, il garde résolument un profil bas et transparent derrière CHIANG, lequel s’appuie à la fois sur les continentaux nationalistes conservateurs qui contrôlent les forces armées et la police politique, et entrouvre la porte à la démocratisation. L’une des mesures prises par CHIANG a ainsi été beaucoup moins anodine qu’il y paraît : l’autorisation donnée aux Taïwanais de se rendre en Chine continentale – et d’y faire des comparaisons, ce qui a permis d’apprécier, au-delà des dogmes de l’unité et de la réunification, les différences entre l’île et le continent # #13. La levée de la Loi martiale le 15 juillet 1987 permettra ainsi l’émergence de nombreux mouvements sociaux: protestations contre le nucléaire ou contre le barrage Mei-Nong ; mouvements politiques, comme le sit-in étudiant du « Lys sauvage » ; mouvements paysans ; mouvement en faveur du hakka comme langue maternelle; mouvement du Retour des terres, impulsé par les Aborigènes. Il est vrai que pour conserver le soutien américain malgré le tournant de 1979 (la reconnaissance de Pékin au détriment de Taipei), le maintien du vieux système répressif n’était plus tenable en l’état. CHIANG a donc donné une première et nécessaire impulsion, que LEE a été amené à mettre en œuvre, puis a amplifié.


LEE vice-président de CHIANG en 1984. Et lors de sa prestation de serment en 1988


Après la mort de CHIANG le 13 janvier 1988, et malgré les réticences publiques des conservateurs de la « Faction du Palais » du parti, le vice-président LEE prête serment comme président, et devient en même temps président du Kuomintang #14. Lors des obsèques, il tient un discours que l’on peut qualifier de très convenu de la part d’un dirigeant du Kuomintang post-dictature : « Travaillons tous ensemble vers un objectif commun […] Conformément à la dernière exhortation de feu le Président CHIANG Ching-kuo, nous devons nous en tenir fermement à notre politique d’anticommunisme et de redressement national ; avancer activement dans le développement de la démocratie constitutionnelle ; et travailler pour l’accomplissement de la grande tâche de réunifier la Chine sous les Trois principes du peuple [de SUN Yat-sen #15]. » Deux ans plus tard, le 21 mars 1990, LEE , seul candidat, dans un régime de parti unique, est élu huitième président de la République de Chine par une Assemblée nationale de 671 députés largement composée de députés survivants des élections législatives de 1948 sur le continent. C’est alors, à 67 ans, qu’il devient un acteur majeur de la démocratisation de Taïwan.


La consolidation démocratique : Sortir de l’autoritarisme en divisant le Kuomintang

Du 16 au 22 mars 1990, à la veille de l’entrée en fonction du président LEE (21 mars) juste réélu, se développe le mouvement étudiant « du Lys sauvage » (Wild Lily student movement, 野百合學運 #16) : six jours de manifestation et de sit-in d’étudiants de l’Université nationale de Taïwan (NTU), sur la place du Mémorial de Tchang Kaï-chek (future place de la Liberté), à proximité de l’immeuble du Kuomintang. Ils réclament des réformes politiques, dont l’élection au suffrage universel direct du président, du vice-président et des députés au Yuan législatif. Le 21 mars, à peine investi, LEE entame un dialogue direct avec les étudiants, et promet d’organiser une conférence nationale pour discuter de la mise en œuvre rapide de leurs demandes. On a là une bonne illustration de la double dynamique de démocratisation : un processus « top-down », venu du sommet du pouvoir  – le Kuomintang est un parti au fonctionnement léniniste; et une poussée « bottom-up » qui vient d’une société civile émergente, et des mouvements sociaux. Le contraste est évidemment spectaculaire avec l’écrasement dans le sang du mouvement étudiant démocratique de la place Tienanmen à Pékin quelques mois auparavant, le 4 juin 1989. Le 21 mars est, depuis, régulièrement commémoré chaque année sur la place de la Liberté.


Tienanmen, Pékin, début juin 1989 / Mouvement du Lys sauvage, Taipei, mars 1990


LEE réunit donc une conférence chargée de plancher sur des réformes constitutionnelles, mais l’opposition en est pratiquement absente. Tacticien, LEE, qui préside aussi le parti, contourne ainsi la vieille garde nationaliste de la « Faction du Palais » qui entend s’opposer à un programme qu’ils soupçonnent de nativisme taïwanais (y compris du fait de ses propres origines.) Il écarte la puissante veuve de CHIANG Kaï-shek, SOONG Mei-ling (1898-2003), poussée à aller s’installer aux Etats-Unis, après qu’elle a formulé par écrit ses objections à l’accession de LEE à la présidence. Il promeut à des responsabilités ministérielles et dans l’appareil du parti (en particulier au Comité central) de jeunes Continentaux nés à Taïwan après 1949, et de nombreux Taïwanais. Pour désamorcer les réticences de l’armée, où les nationalistes conservateurs sont très puissants, il nomme (provisoirement) un général comme premier ministre. Le 30 avril 1991, il annonce la fin de la « Période de mobilisation pour la répression de la rébellion communiste » qui, avec l’article 100 du code pénal, étaient les piliers politiques et juridiques de la répression contre les opposants et dissidents.


L’élection au suffrage universel direct des députés, et surtout du président de la République (1996)

En 1991 toujours, LEE, après avoir exhorté les députés âgés du Kuomintang, dont beaucoup avaient remporté leur siège en 1948 sur le continent, à prendre leur retraite, modifie les modalités d’élection. Désormais, les députés au Yuan législatif seront élus lors d’élections directes, dans des circonscriptions électorales exclusivement taïwanaises. En 1994, les maires des deux plus grandes villes, Taipei et Kaohsiung, sont également élus pour la première fois au suffrage universel. Le bouleversement institutionnel majeur date de la fin de son premier mandat, avec l’élection du président au suffrage universel direct, en 1996 : un fait exceptionnel dans l’histoire multimillénaire de Chine. Le Mandat impérial céleste était héréditaire, ou conquis par les armes et dans le sang dans des révolutions de palais, des révoltes provinciales, ou lors d’invasions étrangères. Plus récemment, les dirigeants chinois du continent sont élus – en réalité cooptés- au sein des élites sociales ou politiques communistes. Or, le 23 mars 1996, onze millions de Taïwanais se sont rendus aux urnes et ont conféré une légitimité fondamentalement différente au président LEE. Lequel a obtenu des scores importants en province, alors que Pékin dénonçait les manipulations de quelques politiciens de Taipei. Pékin n’a d’ailleurs pas manqué de réagir, comme d’ailleurs à chaque échéance électorale ou politique importante à Taïwan : pendant que les quatre principaux candidats battaient campagne, Pékin a tiré des salves de missiles au large des deux grands ports de l’île, Keelung et Kaohsiung. A l’habitude, sans effet perceptible sur les résultats : 54% des suffrages se sont portés sur LEE, les tenants du statu quo avec Pékin ne recueillant qu’un quart des suffrages #17.


LEE élu président au suffrage universel en 1996


Le mode de gouvernement a été restructuré dans l’articulation entre le gouvernement de la République de Chine, et celui de la Province de Taïwan : en minimisant les pouvoirs du Gouvernement provincial de Taïwan (dirigé par le Gouverneur de Taïwan, installé à Nantou) ; et en transférant ses principales fonctions au Yuan exécutif. Ce qui équivalait à faire peu à peu coïncider une fiction : celle de l’existence de deux entités politiques, la République et la Province. Vidé de sa substance, le Gouvernement de la Province sera finalement supprimé en juillet 2018. L’opposition autonomiste ou indépendantiste, désormais bien implantée électoralement, a reconnu l’importance de ces avancées pacifiques, même si les débats ont été parfois très vifs, au prix parfois d’empoignades physiques. LEE a gagné par sa politique de démocratisation constitutionnelle effective le respect de son opposition. En revanche, l’évolution démocratique et de taïwanisation de LEE provoque de fortes tensions au sein de son parti, le Kuomintang. Celui-ci se divise en une faction pro-LEE, dite «mainstream » ; et un groupe conservateur « non-mainstream », tenant de la revendication traditionnelle de la réunification avec le continent. Certains de ces derniers ont fait scission pour former le Nouveau parti chinois (New Party, 新黨); et se sont présentés contre LEE dans le scrutin présidentiel de 1996, en tant qu’indépendants. Cette démocratisation institutionnelle et politique est indubitablement le principal héritage de LEE.


Un deuxième mandat plus difficile au plan intérieur (1996-2000)

Pendant la présidentielle de 1996, LEE fait campagne pour le «Nouveau Taïwanais / New-age Taiwanese »» (une formule apparemment forgée par James SOONG, Gouverneur de Taïwan et alors proche de LEE) : un habitant et citoyen qui se sent appartenir à Taïwan, qu’il soit Aborigène ou descendant des migrations chinoises qui se sont succédées dans l’histoire. Pour LEE, « l’heure d’arrivée à Taïwan ne doit pas être un facteur déterminant pour être Taïwanais. » C’est une pierre supplémentaire à l’édification d’une « taïwanisation » inclusive. Mais l’ambiance politique se dégrade pendant son deuxième mandat #18, et LEE se trouve confronté à des séquences difficiles au plan intérieur, mais aussi dans les relations avec Pékin. La question de « la loi et l’ordre » occupe une place importante dans l’agenda. Les forces de police sont sous-financées, sous-formées et indisciplinées. Les liens historiques entre certains politiciens du Kuomintang et la pègre perdurent : ils jouent toujours lors des élections, avec des achats massifs de voix. Des décrets sont pris qui prévoient que la nomination remplacera l’élection pour une partie des maires, ou pour les chefs de cantons) : il s’agit de briser les liens entre certains politiciens et les mafieux locaux, et de réduire les opportunités de collecter des pots-de-vin. Mais cette évolution a aussi été dénoncée comme un affaiblissement de la démocratie directe à peine installée.

D’autre part, quelques affaires criminelles qui ont défrayé la chronique se traduisent par une demande accrue de répression par les pouvoir régaliens, à laquelle LEE est apparu comme réticent, estimant cette demande instrumentalisée par ses opposants. La police taïwanaise d’alors a été formée pour appliquer la loi martiale et réprimer politiquement. Elle est beaucoup moins adaptée à d’autres missions de protection de la société. « L’affaire PAI », le meurtre de PAI Hsiao-yen, la fille de la star de la télévision PAI Ping-ping, a illustré le manque de professionnalisme de la police : annonce du crime par la presse ; journalistes piétinant la scène du crime ; mauvaise coordination des forces de police qui a permis aux criminels de leur échapper ; communications radio non cryptées pendant une chasse à l’homme, etc.


Tensions avec la Chine, popularité au Japon

Au contraire de la rigidité dogmatique de ses prédécesseurs, la politique étrangère de LEE a été essentiellement pragmatique, s’appuyant sur la réussite économique de Taïwan pour développer de bonnes relations avec les pays de la région. Lesquels, suivant la décision américaine, s’étaient presque tous ralliés à la doctrine « d’une seule Chine » – celle de Pékin. Mais LEE a réussi progressivement à ouvrir dans pratiquement toutes les capitales des Bureaux de représentation de Taïwan. Et à effectuer des voyages semi-officiels, qui entraînent à chaque fois des protestations véhémentes de Pékin: à Singapour en 1989 (où il a été qualifié par l’homme fort du pays, LEE Kwan Yew, de « président venu de Taïwan ») ; aux Philippines (à Subic Bay) et en Indonésie (à Bali) en 1994. Il réussit à faire entrer l’île dans le Forum de coopération économique Asie-Pacifique. Mais, comme il était prévisible, Pékin a donné du fil à retordre à LEE, de plus en plus attaqué sur le continent.


Des tensions croissantes avec Pékin . Le discours de Cornell (1995)

En 1995, un groupe de sénateurs et de représentants américains (pour l’essentiel républicains) forcent l’administration Clinton à autoriser une « visite privée, non officielle [a private, unofficial visit] » du président LEE aux Etats-Unis #19. Le temps fort de cette visite a été, le 9 juin 1995, un long discours de LEE devant les alumni de l’Université Cornell #20, où il avait obtenu son doctorat d’économie agricole en 1968. LEE y évoque l’état de Taïwan, les actions de démocratisation mises en oeuvre, et parle de « la République de Chine à Taïwan »: c’est la première fois qu’un officiel taïwanais utilise cette formule, à la place de la formule habituelle « la République de Chine à Taipei », tolérée à Pékin. Des centaines de journalistes ont couvert l’événement, et le discours « Always in my heart… » a été largement diffusé sur les radios d’Asie. La Chine est ulcérée par la visite de LEE aux États-Unis : moins, semble-t-il pour les formules de LEE sur la démocratie ou la « République de Chine à Taïwan », que par le fait que le président a réussi à forcer l’isolement diplomatique que Pékin s’employait à lui imposer #21. Du coup la Chine a, à nouveau, lancé des missiles à proximité de Taïwan, ce qui entraîne l’envoi par Washington de deux groupements tactiques de porte-avions dans la région, ouvrant ainsi la « Troisième crise du détroit de Taïwan » (juillet 1995-mars 1996) #22.


LEE à l’obtention de son doctorat à Cornell en 1968. Et lors de son « discours de Cornell », « Always in my heart… » , en juin 1995.


L’année suivante, à peine nettement réélu au suffrage universel direct malgré les gesticulations militaires de Pékin, LEE suggère que les relations entre Taïwan et la Chine devraient être comparées à celles de deux États. Il précise plus encore cette formulation en 1999, en disant que Taipei et Pékin devraient avoir des « relations spéciales d’État à État #23». Ce qui déchaîne la fureur de Pékin, dont les médias le traitent de tous les noms: « Lee, un rat courant dans la rue avec tout le monde criant ‘Ecrasez-le ! »; « Lee, la racaille n ° 1 de la nation chinoise »; « Lee, un bébé éprouvette raté cultivé dans le laboratoire politique des forces hostiles anti-chinoises », etc.. Les dirigeants du continent le considèrent comme un sécessionniste pro-américain et pro-japonais irrécupérable. Qui, de plus, s’est affiché en 1997 avec le Dalaï-Lama…



En même temps, LEE est contraint par les réalités économiques. Une éventuelle politique de confrontation avec Pékin se heurterait à un obstacle de taille à la croissance de l’économie taïwanaise : de plus en plus d’entreprises veulent accéder au marché chinois, soit en exportant leurs productions, soit en investissant sur place. Quand il essaie d’inviter ses concitoyens à réduire les interactions économiques avec Pékin, il se heurte à des réticences au sein même de son gouvernement (son ministre de l’Economie), et plus encore du côté des chefs d’entreprises. Lesquels souhaitent au contraire la levée la plus rapide possible de tous les obstacles réglementaires édictés depuis 1949 à la liberté des échanges et des investissements avec le continent. A l’inverse, LEE entretient d’excellentes relations avec le Japon, où il est très populaire.

[ Les relations de LEE avec le Japon font l’objet d’un article spécifique]

La démonstration par LEE que la démocratie et les libertés individuelles peuvent parfaitement exister dans une société chinoise marquée par le confucianisme, de même évidemment, que le renforcement régulier d’une identité taïwanaise #24, sont autant de défis directs à Pékin. A l’échelle globale, LEE a continué l’habituelle « diplomatie du chéquier [checkbook diplomacy] » du Kuomintang en Afrique, en Amérique centrale et dans le Pacifique. Mais avec des résultats inégaux, car de plus en plus nombreux sont les Etats qui sont plus attirés par les perspectives du marché chinois (continental) que par le soutien à une (petite) démocratie asiatique. L’un des échecs diplomatiques retentissants est le revirement de l’Afrique du sud, de loin jusque-là le pays le plus important à reconnaître Taïwan après 1971, qui passe de Taipei à Pékin fin 1996.


La radicalisation de LEE au XXIe siècle, désormais partisan de « la République de Taïwan »

L’exclusion du Kuomintang et le rapprochement vers les indépendantistes Pendant sa présidence, LEE s’est progressivement éloigné des principes fondamentaux du Kuomintang auquel il avait adhéré en 1971, et qu’il a continué à présider en plus de son mandat présidentiel : son activisme en faveur d’une nation taïwanaise distincte s’est affirmé, et a suscité des controverses croissantes. Déjà vives depuis 1988 et après 1992, ses tensions avec le parti se sont aggravées après 1996. Les conservateurs et traditionalistes y accusent LEE d’avoir abandonné l’objectif fondamental de recherche de la réunification avec le continent. Une partie d’entre eux quittent le parti, l’affaiblissant électoralement à la veille de l’élection présidentielle de 2000. Après un demi-siècle d’hégémonie et d’hégémonisme du Kuomintang, c’est le candidat indépendantiste CHEN Chui-Bian qui l’emporte à l’issue d’une triangulaire serrée. LEE est accusé de l’avoir indirectement fait élire en poussant la candidature de son vice-président LIEN Chan pour le Kuomintang, ce qui avait entraîné la candidature dissidente de James SOONG, qui s’est alors présenté comme « indépendant » et a échoué de peu derrière CHEN Chui-Bian #25. Il semble bien que LEE ait à la fois voulu couper les ailes d’un dauphin potentiel qui lui était pourtant proche, et ainsi indirectement promouvoir le nativisme indépendantiste contre le nationalisme Kuomintang.

Les partisans du Kuomintang et de SOONG sont scandalisés, et font porter le poids de la défaite sur LEE, jusqu’à encercler le siège du parti à Taipei. Ce qui entraîne sa démission du poste de président. La rupture était inéluctable. Après des mois de débats internes houleux, LEE est expulsé du Kuomintang en septembre 2001, pour avoir  « trahi les résolutions du parti, entaché sa réputation et nui à ses intérêts. ». Mais LEE est désormais libre de sa parole. Et un certain nombre de ses soutiens quittent alors le parti et s’organisent en une Union de solidarité de Taiwan (TSU), qui déclare vouloir continuer à mettre en œuvre les directives de LEE érigé en « chef spirituel ». Critiquant le Kuomintang comme « mauvais perdant », ainsi que la proximité croissante avec Pékin des nouveaux dirigeants du parti, LEE s’engage à l’occasion des élections législatives dans la campagne du TSU. Puis il se rapproche alors clairement du mouvement indépendantiste.


«La République de Taïwan » : le soutien actif de LEE à la « rectification du nom »

Le 6 septembre 2003, plus de 100000 personnes manifestent devant le palais présidentiel dans le cadre d’une campagne du « Mouvement pour la rectification du nom [de Taïwan]» créé en 2002, et qui demande que « la République de Chine » devienne « la République de Taïwan ». Et que le vocable « Chine » disparaisse de toutes les appellations officielles (agences gouvernementales, entreprises, ambassades, etc.) ou privées, au profit de « Taïwan ». LEE Teng-hui y prend la parole : « Taïwan a souvent été influencé par des puissances étrangères, laissant notre peuple incapable de décider de la voie que nous voulons prendre. […] Nos difficultés ont beaucoup à voir avec le nom de pays irréaliste de « République de Chine. » Nous devons commencer par rectifier notre nom… Il y a quelque temps, j’ai dit que la « République de Chine » n’existait pas, ce qui m’a valu beaucoup de critiques […]. » Et LEE d’expliquer que la République de Chine n’incluait pas Taïwan lors de sa création en 1912 ; qu’elle n’avait pas non plus de juridiction légale sur Taïwan après la Seconde Guerre mondiale ; et qu’elle a finalement disparu de la scène internationale lorsqu’elle a été remplacée à l’ONU en 1971 par la République populaire de Chine. « « La République de Chine » n’est plus qu’un titre, et pas un pays. »


LEE et la « Marche pour la rectification du nom » (6 septembre 2003)


En 2016, LEE publie ses Mémoires: The Remaining Years. My Life Journey and the Road of Taiwan’s Democracy #26. Il y appelle à une révision constitutionnelle pour transformer la République de Chine en une « nouvelle république », redéfinissant ainsi le statu quo acté par le « consensus de 1992 » sur l’existence «d’une seule Chine », accepté jusque là par le Kuomintang. Pour LEE, le statu quo pour Taïwan signifie « ne pas appartenir à la Chine », sans pour autant qu’il y ait besoin de proclamer une indépendance, celle-ci étant déjà effective de facto, et Taïwan n’étant pas sous l’occupation d’une puissance étrangère. Il ajoute avoir été depuis très longtemps en désaccord avec l’appellation de « République de Chine », à laquelle il aurait préféré celle de « République de Taïwan ». Sans pouvoir le déclarer publiquement puisque c’était alors encore une des fondations idéologiques majeures du Kuomintang qu’il présidait.


Des poursuites pour corruption, conclues par un acquittement (2011-2013)

En juin 2011, alors que se profile l’échéance électorale présidentielle de 2012, des poursuites sont engagées par la justice contre LEE pour des allégations de corruption et détournements de fonds publics. Ses soutiens estiment que le président MA (Kuomintang, 2008-2016), candidat à sa réélection, essaie de régler des comptes avec son prédécesseur, désormais honni par son ancien parti, et qui soutient la candidate présentée par le PDP, TSAI Ing-wen. D’autres estiment que cette action de la justice témoigne plutôt de la maturité démocratique de l’île, le pouvoir judiciaire étant désormais en capacité de lancer de telles investigations. Les accusations traitent de sujets très sensibles. L’acte d’accusation contre LEE a été rédigé par le Groupe d’enquête spécial du Bureau du procureur suprême (SIP). Il porte principalement sur la gestion de ce qui a été baptisé dans les années 1990 la « politique du chéquier  [checkbook diplomacy]» : des « dons » ou financements divers accordés à des Etats pour qu’ils continuent à reconnaître diplomatiquement Taïwan, et votent pour la République de Chine lors de débats à l’ONU. L’un de ces dons a été fait à l’Afrique du sud, alors présidée par Nelson Mandela. Des fonds secrets auraient alors transité à Taipei entre le Bureau de la sécurité nationale (NSB) et le ministère des Affaires étrangères (MOFA). Selon l’acte d’accusation, LEE et certains de ses assistants auraient détourné et blanchi une partie de ces fonds secrets (7,8 millions US$) pour financer l’installation à Taipei d’un groupe de réflexion, le Taiwan Research Institute. Il a été envisagé que ce soit l’ancien président CHEN (PDP), lui-même ultérieurement lourdement condamné et emprisonné pour corruption, qui aurait déposé en 2008 la plainte à l’origine de l’enquête contre LEE. Mais l’enquête contre LEE menaçait politiquement aussi le PDP, et plus précisément la candidate à la présidentielle, TSAI Ing-wen, très proche alors de LEE #27. Finalement, en novembre 2013, à l’issue d’un procès à huis clos (les débats traitant de questions sensibles de sécurité nationale), le tribunal de district de Taipei acquitte LEE, faute d’une preuve quelconque qu’il ait été au courant de la circulation de ces fonds secrets, et n’ayant bénéficié d’aucun versement. En revanche, un de ses assistants est condamné à deux ans et huit mois de prison pour détournement de biens publics, et privé de ses droits civils pendant trois ans.


LEE, soutien politique et ami de TSAI Ing-wen (2012, et 2016)


LEE Teng-hui, ou la mise en œuvre du « deuxième principe » de SUN Yat-sen : la démocratie

On ne s’engagera pas plus avant dans l’analyse psychologique de LEE qu’ont pu faire certains auteurs à l’appui de leurs considérations politiques. Richard Kagan, par ailleurs empathique pour son sujet d’étude, insiste ainsi sur ses dimensions de bouddhisme zen et de christianisme #28. Le zen ayant permis à LEE de garder un certain recul par rapport à la sphère politicienne, et la patience dans la réalisation de ses objectifs. L’Eglise presbytérienne, que LEE a rejoint après son baptême en 1961, et où il tenait parfois le prêche dominical, l’ayant ouvert à l’action sociale dans le monde rural dont il était spécialiste #29.

LEE a donc joué un rôle important, direct et indirect, dans la démocratisation et dans le développement du nationalisme taïwanais. En menant, paradoxalement, à la fois une carrière d’apparatchik (au sein d’un parti Kuomintang dont l’histoire léniniste et policière n’a guère à envier à celle de son rival en miroir, le Parti communiste chinois) et de politique parfois manoeuvrier, mais constant dans ses objectifs de démocratisation.

Les Taïwanais en sont conscients. A la question : « Pour vous, quel président a été le plus important pour la démocratisation de Taïwan : Lee Teng-hui, Chen Shui-bian, Ma Ying-jeou ou Tsai Ing-wen ? », 1 076 citoyens taïwanais âgés de 18 ans et plus interrogés par téléphone en novembre 2020 ont répondu : LEE à 43 %; TSAI à 32 %; MA à 18 %; CHEN à 6,6 % #30.

« Père de la démocratie » donc #31, mais aussi « père de l’identité taïwanaise. » à travers ses évolutions surprenantes, mais pragmatiques – de l’identité chinoise au nativisme taïwanais ; du Kuomintang à l’indépendantisme. Une trajectoire qui a été le résultat des circonstances historiques, du hasard parfois, mais surtout des choix politiques et personnels qu’il a assumés.


SOURCES (classement chronologique par date de parution)

« In Memoriam Lee Teng-hui, 1923-2020 » : 8 nécrologies dans taiwaninsight.org, 4-12/8/2020 : Gerrit van der WEES ; Mark Wenyi LAI ; John F. COPPER ; Frédéric KRUMBEIN ; Jerome F. KEATING ; Denis LI ; Ratih KABINAWA and Jie CHEN ; J. Michael COLE . En ligne: https://taiwaninsight.org/2020/08/04/in-memoriam-lee-teng-hui-1923-2020/

DICKSON Bruce, CHAO Chien-Min, Assessing the Lee Teng-hui Legacy in Taiwan’s Politics. Democratic Consolidation and External Relations, Taylor & Francis, 2016, 320p.

LEE Teng-hui, The Remaining Years: My Life Journey and the Road of Taiwan’s Democracy (餘生: 我的生命之旅與台灣民主之路), Taipei, 2016, 272p. (non traduit)

LEE Teng-hui, « Establishing a Taiwan centered identity », in : LEE Shyu-tu, WILLIAMS Jack.F (ed.), Taiwan’s struggle. Voices of the Taiwanese, Rowman and Littlefield, Plymouth UK, 2014, 316p.

KAGAN Richard C., Taiwan’s Statesman. Lee Teng-hui and Democracy in Asia, Annapolis (MD), Naval Institute Press, 2007, 240p. (Extraits) https://books.google.fr/ & Amazon.com: Books (Recension) : https://taiwantoday.tw/news.php?unit=4,29,31,45&post=4334

ROY Denny, Taiwan: A Political History. Cornell University Press, 2003. (CR) : Jean-Pierre CABESTAN, « Denny Roy, Taiwan. A Political History », China Perspectives [Online], January-February 2006. no 63 | Online : http://journals.openedition.org/chinaperspectives/590 (Extraits) Taiwan: A Political History: Roy, Denny: 9780801488054: Amazon.com: Books

LEE Wei-chin, WANG Te Yu (ed.), Taiwan under Lee Teng-hui, 1988-2000. Sayonara to the Lee Teng-hui Era, Lanham, MD, University Press of America, 2003, 319p. (from papers presented in 2001) 1. Sayonara to the Lee Teng-hui Era / Wei-chin Lee — 2. Lee Teng-hui: Transformational Leadership in Taiwan’s Transition / Chia-lung Lin and Bo Tedards — 3. Transition Through Transaction: Taiwan’s Constitutional Reforms in the Lee Teng-hui Era / Jih-wen Lin — 4. Lee Teng-hui and the Emergence of a Competitive Party System in Taiwan / Cal Clark — 5. Limits of Statecraft: Taiwan’s Political Economy under Lee / Tun-jen Cheng & Peggy Pei-chen Chang 6. The Taiwanese/Chinese Identity of the Taiwan People in the 1990s / Szu-yin Ho and I-chou Liu — 7. Taiwan’s Mainland China Policy under Lee Teng-hui / John Fuh-sheng Hsieh — 8. America’s Interests in the First Democratic Chinese President / Lynn T. White III — 9. Taiwan’s Foreign Relations under Lee Teng-hui’s Rule, 1988-2000 / T.Y. Wang — 10. The PRC View of Taiwan under Lee Teng-hui / Xiaobo Hu and Gang Lin.

HO Jacinta Kang-mei et MALLET Pierre, LEE Teng-hui et la « révolution tranquille » de Taïwan, L’Harmattan, 2005, 152p.

TSAI Shih-shan Henry, Lee Teng-hui and Taiwan’s Quest for Identity, Palgrave McMillan, Springer, 2005, 271p. (Extraits) https://books.google.fr/books & https://link.springer.com/content/pdf/bfm%3A978-1-4039-7717-5%2F1.pdf

BUSH Richard, LEE Teng-hui and « Separatism », in : BERNKOPF TUCKER Nancy (ed.), Dangerous Strait: The U.S.-Taiwan-China Crisis, Columbia University Press, 2005, 272p., p.70-92

HOOD Steven J., The Kuomintang and the Democratization of Taiwan, Westview, 1997, 200p. (CR) Peter R. MOODY Jr., in: American Political Science Review, 1997, vol. 91, no 3, p.764-765. Online: https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review

+ une collection de photos personnelles et familiales, lors de son décès en 2020 : https://www.thinkchina.sg/photo-story-lee-teng-hui-controversial-figure-or-icon-asian-democracy


NOTES

1 En 1940, Teng-hui a aussi reçu un nom japonais, IWASATO Masao (岩里政男), dans le contexte de la politique de japonisation des patronymes. Cf. https://www.taipeitimes.com/News/feat/archives/2016/02/07

2 Les Japonais ont installé des écoles d’arts martiaux dans toute la colonie, dans un système pyramidal visant à sélectionner les meilleurs adeptes et pratiquants. Voir, par ex., le travail photographique de Josh ELLIS sur l’héritage patrimonial japonais à Taïwan : https://www.goteamjosh.com/rizhi . A la différence de nombre d’édifices « idéologiques » japonais qui ont été détruits après 1945 (en particulier les temples du culte impérial shinto), les nombreuses salles d’arts martiaux ont été préservées.

3 NITOBE Inazō (1862-1933), docteur en agronomie et en droit a été universitaire et diplomate. Descendant de samouraïs, chrétien fervent (quaker), anglophone et espérantiste (« l’esperanto, moteur d’une démocratie internationale »), son oeuvre intellectuelle est éclectique. Son « Bushidō, l’âme du Japon » (1899) est un ouvrage qui a eu un retentissement international. Diplomate, Nitobe a été secrétaire général adjoint de la SDN, à Genève.

4 NISHIDA Kitarō (1870-1945), fondateur de l’École philosophique de Kyōto, a introduit la phénoménologie de Husserl au Japon, et a cherché à associer la philosophie occidentale et la spiritualité des traditions extrême-orientales, en particulier le bouddhisme. Dans les années 1930 du militarisme, il soutient le régime impérial expansionniste dans la Grande Asie à travers la centralité absolue de l’empereur Tennô, et le concept de « kokutai », le « corps national ».

5 D’après KAGAN Richard C., Taiwan’s Statesman. Lee Teng-hui and Democracy in Asia, Annapolis (MD), Naval Institute Press, 2007, 240p., p.37-38. Cette double expérience générationnelle des influences japonaises et occidentales au Japon se retrouve chez l’intellectuel dissident PENG Ming-min, contemporain de LEE : il est lui aussi né en 1923, a fait ses études au Japon dans les années 1940, avant de les poursuivre au Canada et en France dans les années 1950. Au titre du Parti démocratique progressiste (PDP/DPP) PENG, qui entretient par ailleurs des liens d’amitié avec LEE, sera candidat à la présidentielle de 1996 contre lui, et deux indépendants. LEE sera élu avec 54 % des suffrages, PENG obtiendra 21,13 %.

6 On distingue deux catégories de Taïwanais dans l’armée impériale japonaise. Au sein du Corps des volontaires formosans (Takasagozoku giyūtai, 高砂義勇隊, Formosan Volunteer Corps) se trouvaient principalement des contingents aborigènes, recrutés dès le début de la guerre, versés dans des unités de combat de jungle (Jungle Warfare Units), et envoyés essentiellement aux Philippines, en Indonésie et dans les archipels du Pacifique. Plus tard (à partir de 1942), Tokyo fera appel à la conscription volontaire des Formosans pour l’armée impériale (台籍日本兵), pour le service au combat ou non-combattant (dans les usines de guerre, la logistique, etc.). Cf. https://en.wikipedia.org/wiki/Takasago_Volunteers. & Cf.https://en.wikipedia.org/wiki/Taiwanese_Imperial_Japan_Serviceman.

Sur les plus de 200000 volontaires, on comptera environ 30000 morts et disparus. A partir de la fin du siècle, au grand dam du Kuomintang et sous les protestations de Pékin, un certain nombre de vétérans formosans sont allés en pèlerinage mémoriel au sanctuaire de Yasukuni à Tokyo, où sont inscrits les noms de plus de 26000 Formosans. Mais Yasukuni est aussi un haut-lieu de la mémoire contestée des guerres coloniales impériales et du négationnisme de l’extrême-droite japonaise. LEE s’est lui-même rendu à Yasukuni en juin 2017, lors d’un épisode très contesté (Voir dans le texte le paragraphe consacrée à « LEE et ses affinités japonaises ») . Sur la mémoire des Taïwanais de l’armée japonaise après 1945, cf. LAN Shichi Mike (藍適齊), (Re-)Writing History of the Second World War. Forgetting and Remembering the Taiwanese-native Japanese Soldiers in Postwar Taiwan, Positions. Asia Critique, February 2014, vol.21, no 4, p.801-852.

7 Voir dans le texte le paragraphe consacrée à « LEE et ses affinités japonaises ». En décembre 1952 , un décret du Kuomintang interdit tout usage de la langue japonaise dans le gouvernement, l’administration le système scolaire et la presse écrite de Taïwan. LEE dira au biographe R.Kagan avoir très mal vécu cette interdiction, alors qu’il peinait à apprendre le mandarin classique imposé par le régime.

8 Sous un régime du Kuomintang où l’anticommunisme est l’un des piliers idéologiques principaux, puis dans une île régulièrement menacée par le régime de Pékin, l’accusation d’appartenance au PCC fait sens. LEE a toujours été contradictoire sur ce sujet. Il a démenti à plusieurs reprises avoir été membre du Parti communiste, tout en reconnaissant en avoir été proche au lendemain de la guerre par une hostilité au gouvernement brutal du Kuomintang renforcée par les événements du 2-28 1947. Il explique que la « New Democracy Association » qu’il avait créée avec quelques étudiants à l’Université nationale de Taïwan en 1946 a ultérieurement été absorbée par le PCC, d’où les « rumeurs sur son appartenance au parti. » Cf. LIN Mei-Chun, Lee admits to fling with Communism, Taipei Times, 8 November 2002 ; & WANG Chris, Lee Teng-hui says he never applied for membership in CCP, Taipei Times, 20 June 2013. Mais on n’oubliera pas que le propre fils de TCHANG Kaï-chek,  CHIANG Ching-kuo, a partagé la même expérience communiste que LEE, mais dans les années 1930, dans l’URSS de Staline.

9 Cf. YAGER Joseph A., Transforming Agriculture in Taiwan: The Experience of the Joint Commission on Rural Reconstruction, Ithaca, Cornell University Press, 1988, 320p.

10 Dans ses Mémoires publiées en 2016, il explique que « la majorité d’origine chinoise du parti [le Kuomintang, qu’il a présidé de 1988 à 2000] lui manifestait beaucoup de méfiance » du fait de sa naissance dans la colonie japonaise.

11 Francis DERON, Lee Teng-hui, ancien président de Taïwan, est mort , Le Monde, 30 juillet 2020

12 Cf. HOOD Steven J., The Kuomintang and the Democratization of Taiwan, Westview, 1997, 200p. CR par Peter R. MOODY Jr., in: American Political Science Review, 1997, vol. 91, no 3, p.764-765. Online: https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review. L’auteur, à partir principalement d’une sociologie politique des élites dirigeantes du parti menée dans les années 1990, s’attache à l’évolution du Kuomintang de parti-Etat léniniste et policier à un parti qui doit désormais défendre sa position, autrefois monopolistique, dans un système politique devenu progressivement compétitif.

13 Sur la période CHIANG, cf. CORCUFF Stéphane, Une remise en cause des Trois principes du peuple ? L’avenir d’une idéologie, Perspectives Chinoises , 1995, no 30 p.35-40 : https://www.persee.f/doc/perch_1021-9013_1995_num_30_1_1905

14 Dans ses Mémoires publiées en 2016 (non traduites), The Remaining Years: My Life Journey and the Road of Taiwan’s Democracy (餘生: 我的生命之旅與台灣民主之路), LEE s’explique sur sa présidence du parti : diriger « un Kuomintang à majorité chinoise  [il est lui-même d’origine taïwanaise] était le seul moyen de le changer de l’intérieur, et de changer Taïwan». Y compris, ajoute-t-il, « l’appellation de «République de Chine » qu’il n’était pas encore possible de changer en « Taïwan ».  

15 « Les Trois principes du Peuple » de SUN Yat-sen (1866-1925) – « nationalisme, démocratie, bien-être du peuple »- ont été mis en forme par celui-ci au début des années 1920. Sous le Kuomintang, ils étaient obligatoirement enseignés à la plupart des niveaux scolaires, car considérés comme des piliers idéologiques du Kumintang et du régime de la République de Chine. Cette obligation sera levée en 1995.

16 Les manifestants étudiants portent sur eux des lys sauvages, ou érigent de grandes fleurs en papier : le lys sauvage est une fleur-symbole aborigène de la liberté et de la résilience.

17 Les médias continentaux ont répugné, sur ordre, à employer le mot «élection», pour préférer faire état « des activités concernant les changements de dirigeants de la région de Taïwan .»

18 AJELLO Robin, EYTON Laurence , Superman no more, Asiaweek.com, CNN, 6 June 1997

19 Le lobbying parfois agressif de Taïwan à Washington, via des dons du Kuomintang ou des « Amis de Lee » (« Diplomatie du chéquier / checkbook diplomacy »), a pu irriter la Maison Blanche, le Congrès et la presse américaine. Il se murmure que la visite à Cornell en 1995 a ainsi été précédée par le financement généreux d’une « chaire  Lee Teng-hui »  à l’université, et quelques subventions à des élus du Congrès…

20 Le siège de Cornell est à Ithaca, New York. L’université est membre de la Ivy League.

21 Devenu pratiquant assidu de golf pendant ses séjours universitaires aux Etats-Unis, LEE s’est employé pendant ses mandats à pratiquer une « diplomatie du golf », consistant à organiser des réunions discrètes au prétexte de tournois de golf.

22 Cf. le texte de ce discours sur ce site : « Always in my Heart » LEE a effectué une deuxième visite à Cornell en 2001, après son retrait de la vie publique officielle. La présidente TSAI Ing-wen (élue en 2016, réélue en 2020) est également une alumna de l’Université Cornell, où elle a obtenu un Master of Laws en 1980.

23 Interview à Deutsche Welle, 9 juillet 1999.

24 Cf. les courbes « Deepening Taiwanese Identity (1992-2021) » de l’Université Chengchi, juillet 2021.

25 James SOONG (SONG Chu-Yu, 宋楚) est né en 1942 dans le Hunan dans une famille de militaires du Kuomintang. Après des études aux Etats-Unis, Il devient secrétaire de CHIANG Ching-kuo (1974-1979), puis directeur général de l’Office d’information du gouvernement (1979-1984). Alors qu’il appartenait à la « Faction du Palais » qui réunissait les continentaux conservateurs, il soutient la montée en puissance de LEE au sein du Kuomintang. Celui-ci le récompense en le nommant secrétaire général du parti (1989-1993), puis Gouverneur de la province de Taïwan (nommé en 1993, élu en 1994 ; mais la Province est vidée de la plupart de ses responsabilités en 1998, puis supprimée en 2018). Mécontent de la promotion du vice-président LIEN Chan comme candidat du Kuomintang, il décide de se présenter comme « candidat indépendant. » Il obtient 36,84 % des suffrages contre 23 % à LIEN. Mais ce duel fratricide profite au candidat indépendantiste CHEN Shui-bian, élu avec 39,30 % des voix. Expulsé du Kuomintang et accusé de détournements de fonds, SOONG fonde le Parti du Peuple d’abord (People First Party, 親民黨, Qinmindang). Il se représente à la présidentielle de 2004 (comme vice-président sur le ticket de LIEN , lequel obtient 49,89 % des suffrages). Puis aux présidentielles de 2012 (2,77%), de 2016 (12,84%) et de 2020 (4,86%). Il prône un rapprochement économique puis politique avec Pékin, comparable au processus de construction européenne. Lors d’une tournée en Chine en 2005, il rencontre HU Jintao. Les deux dernières décennies l’ont fait apparaître comme particulièrement manoeuvrier et procédurier.

26 LEE Teng-hui , 餘生: 我的生命之旅與台灣民主之路 [The Remaining Years. My Life Journey and the Road of Taiwan’s Democracy / Les années qui me restent: mon parcours de vie et le chemin de la démocratie deTaïwan]?, Taipei, 2016, 272 pages, non traduit du chinois.

27 Au final, il semble que la procédure contre LEE n’ait pas impacté les résultats du vote : MA est réélu avec 51,60%, contre TSAI, 45,63%.

28 KAGAN Richard C., Taiwan’s Statesman. Lee Teng-hui and Democracy in Asia, Annapolis (MD), Naval Institute Press, 2007, 240p. (Extraits) https://books.google.fr/ & Amazon.com: Books (Recension) : https://taiwantoday.tw/news.php?unit=4,29,31,45&post=4334

29 On rappellera la très ancienne intervention des missions et Eglises protestantes à Taïwan, à partir du XVIIe siècle. Les Aborigènes sont nombreux à avoir été convertis par les missions, qui ont laissé un riche héritage de témoignages historiques, culturels, linguistiques, etc.

30 Cf. « Lee Tung-hui’s leadership legacy »,  East Asia Forum, 18 August 2021. En ligne : https://www.eastasiaforum.org/2021/08/18/lee-tung-huis-leadership-legacy/

31 LEE a pu être comparé à Vaclav Havel et à Nelson Mandela. On pourrait peut-être ajouter Mikhaïl Gorbatchev à cette short list.



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