Une lecture de  J. Michael COLE, « Convergence or Conflict in the Taiwan Strait. The Illusion of Peace ? », Routledge, 2017.


Une lecture de : COLE J. Michael, Convergence or Conflict in the Taiwan Strait. The Illusion of Peace ? , London & New York, Routledge Research on Taiwan, 2017, 224p.


Journaliste et chercheur, J.Michael COLE publie beaucoup sur Taïwan, où il a longtemps séjourné. Il analyse ici les relations de Taïwan avec la Chine de Pékin principalement, et le reste du monde. Il constate d’abord que Taïwan mériterait plus d’attention de la part des médias et des observateurs et analystes du politique et des relations internationales. Il attribue cet intérêt limité, une « empreinte faible » à la fois au long régime autoritaire du Kuomintang (avec la figure historique de Tchang Kaï-chek) ; puis à une démocratisation pacifique donc n’ayant guère attiré l’attention. [On remarquera effectivement à ce stade que ce sont plutôt les déclarations et pressions de plus en plus agressives du régime de Pékin qui placent Taïwan sous les feux de l’actualité récente].

COLE compare ensuite les images présentées habituellement du président CHEN Shui-bian (2000-2008, PDP, indépendantiste) comme « fauteur de troubles » ;  et de son successeur MA Ying-jeou (2008-2016, Kuomintang, nationaliste), en « artisan de la paix ». Effectivement, premier président non-Kuomintang élu au suffrage universel en 2000 (largement du fait des divisions de l’ancien parti hégémonique Kuomintang), CHEN n’a pas manqué de bousculer le jeu politique traditionnel, y compris par des initiatives parfois inattendues (par exemple sur la dénomination du Mémorial de Tchang Kaï-chek) ; et un comportement personnel qui lui vaudra ultérieurement de lourdes condamnations en justice pour corruption et népotisme. Mais MA est très loin d’avoir « apporté la paix ». Au contraire sa politique outrageusement pro-Pékin a largement indisposé l’opinion publique, provoqué le Mouvement étudiant des Tournesols (2014), et entraîné des échecs pour le Kuomintang aux élections locales de 2014, aux élections législatives de 2016, et surtout à la présidentielle de 2016 qui a vu le succès de TSAI Ing-wen, la candidate « verte » du PDP, tenante d’une ligne beaucoup plus ferme face à Pékin.

COLE rappelle qu’au-delà de la promesse « Un pays, deux systèmes » applicable à Hong Kong et à Taïwan, Pékin travaille en réalité à réduire par tous les moyens la démocratie, et à prendre le contrôle politique de ces deux territoires [ce qui est chose faite fin 2021]. Les exemples sont innombrables de l’action perturbatrice de Pékin vis-à-vis de Taïwan : mesures législatives (la loi de 2005) ; propagande idéologique et médiatique ; pressions économiques et réglementaires sur les entreprises, les médias, les personnalités politiques ou intellectuelles ; espionnage, infiltrations et corruption. Sans oublier, depuis des décennies, les pressions militaires : les manœuvres et les tirs à proximité de l’île sont systématiques à chaque échéance politique importante à Taïwan, en particulier à la veille des élections présidentielles. On est de moins en moins dans le soft power, et de plus en plus dans le hard power au sens de la puissance et de la force affichée et agressive [Ajout 2021 : le sort tragique des démocrates et des libertés à Hong Kong ces deux dernières années est une confirmation, si besoin en était, de ce que Pékin entend imposer par la force son seul système totalitaire, sans respect aucun des « deux systèmes » affichés depuis des années.]

COLE a suivi de particulièrement près le Mouvement des Tournesols de 2014. Il a chroniqué les deux années d’activisme étudiant qui ont précédé cette contestation pacifique de rue, qui est allé jusqu’à l’occupation pendant plusieurs semaines du Yuan législatif, pour protesté contre la tentative de MA de faire passer au vote en bloc un texte sur les échanges économiques avec la Chine qui paraissait presque avoir été rédigé à Pékin. Cole relève que ni le Kuomintang, ni le PDP n’ont vu venir ce mouvement  issu de la société civile et de la jeunesse étudiante, et qui s’inscrivait dans des mouvements comparables ailleurs avant ou après (Occupy Wall Street à New York; Occupy Gezi à Istanbul, Mouvement des Parapluies à Hong Kong, etc.). Ce Mouvement des Tournesols a donc transcendé les divisions ethno-politiques antérieures de Taïwan, et a mis en avant le dynamisme d’une jeunesse se détachant des cadres et modes traditionnels du fonctionnement politique taïwanais.

COLE s’attache ensuite à différencier les nationalismes chinois et taïwanais. Le premier serait, selon lui,  civilisationnel, extraterritorial, pensé comme unique et exceptionnel, imprégné des traditions confucéennes, et profondément xénophobe. Le nationalisme taïwanais serait plus civique, fondé sur la communauté nationale dans son territoire et son histoire récente, sans prétention à l’extraterritorialité et à un quelconque exceptionnalisme comparable à celui dont se réclame Pékin. Alors qu’historiquement, dans leur idéologie et dans leur mode de fonctionnement, le Kuomintang et le parti communiste chinois ont longtemps été deux frères jumeaux, léninistes et policiers, on a actuellement deux nationalismes très différents depuis que Taïwan est entré pacifiquement dans la démocratie. Cole relève ensuite que le modèle proposé par Pékin « une nation, deux systèmes » de peu attirant, est devenu de plus en plus répulsif depuis le durcissement répressif et l’agressivité du régime de XI Jinping. Même les investisseurs et commerçants taïwanais installés sur le continent sont conscients de l’attractivité décroissante du « modèle chinois ».

COLE souligne que XI est soutenu sur le dossier de Taïwan par une armée (APL) qui a tout intérêt à ce que les tensions persistent, puisque cela lui permet d’obtenir des budgets en très forte croissance. Il montre que même sous la présidence de MA à Taipei, sans doute la plus favorable à Pékin dans l’histoire du parti bleu (Kuomintang), la Chine a continué à monter en puissance militaire face à Taïwan. Pour obtenir à terme les moyens aéroterrestres et navals lui permettant d’envisager une opération amphibie contre l’île, même si ce type d’opération est réputé délicat chez les spécialistes de la chose militaire [La topographie côtière de la partie occidentale de Taïwan n’étant pas non plus très favorable : peu de plages accessibles beaucoup de zones humides marécageuses, etc.]. L’auteur s’intéresse aussi aux capacités militaires de Taïwan, qui sont, pour l’instant, nettement déséquilibrées évidemment au profit de Pékin.

COLE argumente ensuite la liberté de la presse et de l’information à Taïwan, désormais quasi unique dans le monde chinois alors que les médias sont peu à peu étouffés à Hong Kong [le processus d’étouffement étant parachevé à Hong Kong en 2021 au nom de la Loi de sécurité nationale]. Il montre ensuite, très justement, que l’Occident serait d’une naïveté extrême à penser qu’il pourrait échanger la liberté des 23 millions de Taïwanais contre une relation de paix avec Pékin. Et cette réflexion de l’auteur prend tout son sens avec la politique menée par la Chine à Hong Kong ces dernières années. Enfin, Cole suggère que Taïwan devrait mettre en œuvre trois stratégies. Une contre-propagande contre la propagande et la désinformation systématique de Pékin ; et contre l’ignorance et la naïveté [fausse naïveté ?] de certains Occidentaux face à la Chine. Une consolidation de la démocratie taïwanaise –elle paraît bien engagée avec des alternances politiques désormais largement apaisées et normalisées. Une dissuasion à la fois militaire (par le renforcement des capacités nationales et un réseau d’alliances défensives face à Pékin), et politique en direction des démocraties occidentales. La liberté de Taïwan sera à ce prix, car on voit bien que la « question de Taïwan », loin d’être diluée ou résolue avec le temps, devient un sujet de plus en plus brûlant, apparaissant au sommet de liste des conflits potentiels prochains.


L’édition taïwanaise de l’ouvrage, Taipei, 2015.


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