Les points de vue partisans à Taïwan sur la responsabilité des tensions dans le Détroit : une enquête de la Brookings publiée le 6 avril 2023.


Alors que l’échéance présidentielle se rapproche (janvier 2024), et verra s’opposer les candidats sur les relations à entretenir avec Pékin et Washington, 2022 a été marquée par une forte montée des tensions autour de Taïwan  (visite de Nancy Pelosi, manœuvres militaires chinoises) ; et le début 2023 par les visites concomitantes de la présidente TSAI Ing-wen (DPP) aux Etats-Unis, et de l’ex-président MA Ying-jeou (Kuomintang, KMT) en Chine.

Une enquête de la Brookings (signée par Alastair Ian Johnston, Tsai Chia-hung et George Yin), publiée le 6 avril 2023, et réalisée en 2 vagues, en septembre 2022 (juste après la « Quatrième crise du Détroit » : les manœuvres chinoises en réponse à la visite de Nancy Pelosi) et en janvier 2023 (alors que la pression est un peu retombée), s’est intéressée à la perception par l’opinion publique taïwanaise des responsabilités dans la montée des tensions, en introduisant le facteur partisan (sondés Kuomintang, DPP, ou indépendants non partisans). Quels en sont les principaux enseignements ?



1) Les manœuvres chinoises qui ont suivi la visite de Nancy Pelosi ont été considérées comme une « menace sérieuse » à 70,5% pour les partisans du KMT ; 70,1% pour le DPP ; 67,3 % pour les « indépendants ». La visite de Nancy Pelosi en août 2022 n’a pas amélioré la sécurité de l’île pour 62 % des sondés.



2) Sur les raisons principales de l’instabilité dans le Détroit, multicausale pour les enquêtés, la hiérarchie des réponses sur les responsabilités s’établit comme suit :

– La volonté de Pékin d’imposer une unification forcée est la première cause pour 68,5% des enquêtés. Le clivage est cependant net entre le DPP (85,2% contre Pékin) par rapport au KMT (57,7%) ou chez les indépendants (56,3%). La responsabilité chinoise est donc nettement majoritaire –2/3 des Taïwanais . Ce qui traduit l’inefficience de la propagande de Pékin, directe ou cachée, imputant aux Américains l’entière responsabilité de la montée des tensions.

– La montée de la volonté d’indépendance à Taïwan : 59,5%. On notera que la possible évolution de Washington vers une double reconnaissance de Pékin et de Taipei est critiquée à 64,1% au KMT, 48,4% au DPP.

– « L’ambiguïté stratégique » des Etats-Unis (qui est la position officielle de Washington) : 58,4%. La disparition de « l’ambiguïté stratégique américaine » (formulée à plusieurs reprises par Biden) : 55,5%. Les deux pourcentages sont très proches, et sont donc difficiles à interpréter : reproche-t-on aux Américains d’être à la fois ambigus, ou de ne pas le rester ? En revanche, il est clair qu’au DPP on souhaite une levée de l’ambiguïté (à 51,9%), ce qui n’est pas le cas au KMT (à 36,7%).

– L’insuffisant investissement de Taïwan dans ses capacités de défense : 56,8%. Ce facteur est surtout souligné par les électeurs du DPP (59,5%), beaucoup plus, logiquement, qu’au KMT (35,6%).



Une des leçons de cette enquête semble être que le rapprochement accentué de TSAI Ing-wen vers Washington (qui a culminé avec la visite de Nancy Pelosi) suscite une certaine inquiétude en dehors de son propre camp (le DPP, le camp Vert), que ce soit chez les partisans du Kuomintang ou chez les indépendants. Ce rapprochement, attaqué au quotidien par Pékin, est jugé susceptible d’accroître les tensions, et donc l’insécurité par l’île.

Les Taïwanais se sentent dans une certaine mesure pris au piège par les liens étroits entre le protecteur américain et le gouvernement de Taipei. Ce qui explique d’ailleurs le titre de l’enquête de la Brookings : « When might US political support be unwelcome in Taiwan ? / A partir de quand le soutien politique américain pourrait-il ne plus être le bienvenu à Taïwan ? ». Ce que confirme par exemple la question (d’ailleurs un peu curieuse dans sa formulation) : « Les valeurs américaines et les valeurs taïwanaises sont-elles identiques ? ». Si les partisans du DPP répondent « oui » à 50,6 %, ce n’est l’opinion que de 11,5% des KMT, et de 19,1% des Indépendants. La moitié des Taïwanais (49,4%) estiment que ces valeurs sont différentes.

Une autre leçon, directe et indirecte, est clairement la demande majoritaire du maintien du statu quo, en écartant toute proclamation d’indépendance (qui entraînerait, selon Pékin depuis des années, une attaque chinoise en réponse). Ce qui est cohérent avec toutes les enquêtes d’opinion de ces dernières années.

Référence et Méthodologie de l’enquête

JOHNSTON Alastair Iain, TSAI Chia-hung, YIN George, « When might US political support be unwelcome in Taiwan? », Brookings, Wednesday, April 5, 2023. URL : https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2023/04/05/when-might-us-political-support-be-unwelcome-in-taiwan/

« The 2022 household telephone survey was conducted between September 22 and 29, 2022, by the Election Study Center, National Chengchi University. We randomly drew samples according to the area codes of telephone books. Only respondents who were over 20 years old and registered in Taiwan were eligible for this survey. Data was weighted by gender, age, education, and residence area based on the latest census data. The sample size was 1,127. The margin of error with 95% confidence interval is 2.92%. The 2023 panel study was conducted between January 5 and 9, 2023. We successfully re-interviewed 576 respondents or about 51% of the 2022 sample. The data was also weighted by gender, age, education, and residence area. The main questions we analyze are: “In August this year, U.S. Congress Speaker Nancy Pelosi visited Taiwan, and China immediately held large-scale military exercises around Taiwan. Do you think this is a serious threat to Taiwan’s security?” (September 2022 survey); and “Do you think Pelosi’s visit to Taiwan made Taiwan more or less secure?” (January 2023 survey). »


Dessin de Chappatte, 8/2022


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