« Mangez des sushis ! » Le président Lai soutient en 2025 la Première ministre japonaise Sanae Takaichi, comme en 2022 l’ex-Premier ministre japonais Shinzo Abe avait soutenu Taïwan avec des ananas…



Le 20 novembre 2025, le président taïwanais Lai Ching-te (DPP) a partagé sur ses comptes Facebook, Instagram et X une brève séquence de lui en train de déjeuner d’une assiette de sushis accompagnée d’une soupe miso. Message relayé en japonais sur les mêmes supports : « きょうの昼食はお寿司と味噌汁です / sushis et soupe miso ». En détaillant même la composition de son assiette : poisson sériole (yellowtail) en provenance de Kagoshima ; coquille Saint-Jacques (scallops) venant d’Hokkaido ; calmar (cuttlefish) de Taïwan;  omelette japonaise sucrée (tamagoyaki) réalisée avec des œufs taïwanais. Dans une séquence audio sur Tik-Tok, Lai s’adresse à ses followers : « What are you eating? Now might be a good time to eat Japanese food. » Sa petite (et sobre) mise en scène est évidemment un acte de communication politique autant que gastronomique.

Un contexte géopolitique de crise ouverte entre le Japon et la Chine

Ce déjeuner de sushis intervient dans un contexte particulièrement tendu entre le Japon et la Chine, à propos de Taïwan. Début novembre, la nouvelle Première ministre japonaise Sanae Takaichi (PLD) a déclaré devant la Diète japonaise qu’une attaque militaire chinoise contre Taïwan pourrait constituer « une situation menaçant la survie du Japon », justifiant potentiellement l’usage des forces de défense japonaises, selon les dispositions votées en 2015 sous son prédécesseur et mentor politique le Premier ministre Shinzo Abe.

Pékin a violemment réagi, dénonçant de la part de Tokyo une « ingérence inadmissible dans [ses] affaires intérieures. » Et annoncé une série de mesures de rétorsion : interdiction des importations de produits de la mer japonais ; suspension des voyages touristiques des Chinois au Japon ; mises en garde sécuritaires pour les Japonais en Chine, etc. En y ajoutant les habituelles gesticulations militaires autour des Senkaku et à proximité de Taïwan. Et le « retour du militarisme », voire du « bellicisme », à Tokyo, alors qu’on a célébré à Pékin, le 3 septembre, le 80e anniversaire de la victoire sur le Japon.

Lai Ching-te a donc voulu, à travers son repas de sushis (donc de produits de la mer), « montrer le ferme soutien de Taïwan au Japon », et sa solidarité face aux intenses pressions de Tokyo. Taipei a aussi encouragé les Taïwanais à acheter davantage de produits japonais, et à voyager plus encore au Japon (où ils représentent déjà, depuis des années, le groupe de touristes le plus nombreux, loin devant les Chinois du Continent).

Soft-power gastronomique : un renvoi d’ascenseur aux « Freedom pineapples » de 2021-2022


2022 : l’ex-PM Shinzo Abe contribue à la campagne taïwanaise des « Freedom pineapples« 


Il y a un précédent politique et médiatique aux sushis dans l’histoire récente des relations entre Taïwan et le Japon : l’épisode des « Ananas de la Liberté / Freedom pineapples ». Lorsque la Chine avait imposé en 2021 un embargo sur les exportations d’ananas taïwanais – arguant de raisons phytosanitaires évidemment politiques- le gouvernement de Taipei (alors sous la présidence de Tsai Ing-wen, DPP) avait lancé une campagne incitant les consommateurs internationaux à acheter des ananas taïwanais comme geste de solidarité et de soutien. D’où la campagne des « Freedom pineapples » comme symboles de résistance au chantage économique de Pékin. Et le pays dans lequel cette campagne avait été particulièrement relayée en 2021-2022 avait été le Japon : l’ancien Premier ministre Shinzo Abe (« le meilleur ami japonais de Taïwan ») y avait personnellement participé dans les médias et sur les réseaux sociaux, peu avant son assassinat.  L’assiette de sushis de Lai Ching-te est donc, trois ans plus tard, un « renvoi d’ascenseur » au Japon, dans une forme de « soft-diplomacy gastronomique »…

Des réactions prévisibles à l’assiette de sushis

Au Japon, le geste de Lai a été perçu pour ce qu’il voulait être : un signe clair de solidarité avec Tokyo. Il est vrai que Taipei s’est félicité de l’arrivée au pouvoir de l’ultra-nationaliste Sanae Takaichi en octobre : disciple revendiquée et « parlant cash » du très pro-taïwanais Shinzo Abe, elle a toujours affirmé son soutien à Taïwan, et avait été reçue en grandes pompes à Taipei en avril 2025 par le président Lai. Et – chose rare chez les dirigeants japonais – elle n’a pas mis en sourdine ce tropisme taïwanais une fois installée au pouvoir. Pour le moment, à défaut de relations politiques officielles, ces prises de position réciproques ne peuvent que renforcer les liens économiques et culturels entre les deux sociétés. Au moment même où le président Donald Trump (qui échange téléphoniquement avec Xi Jinping pour préparer son déplacement en Chine en avril 2026) demande à Mme Takaichi de calmer ses relations avec Pékin pour ne pas lui gâcher le voyage.


Sanae Takaichi à Taipei en avril 2025 ; et le télégramme de Lai la félicitant pour son élection


En Chine, la réaction officielle au repas de sushis a, sans surprise aucune, été vivement négative. La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, a qualifié la publication de « mise en scène » politique : « Peu importe le spectacle que les autorités de Lai Ching-te mettent en scène, cela ne change pas un fait : Taïwan est une partie inaliénable du territoire chinois. ».

Ou : comment un simple plat de sushis à Taipei  est devenu à Pékin « une provocation de plus des forces séparatistes »…


Taipei-Tokyo-Pékin : des post évidemment contradictoires