LAI Ching-te (賴清德), alias William LAI, est le candidat investi par le DPP pour la présidentielle de janvier 2024. Il a la réputation d’être indépendantiste…


LAI Ching-te (賴清德), alias William LAI, candidat investi par le DPP le 12 avril 2023

Le Parti démocrate progressiste (DPP, parti Vert) a investi, mercredi 12 avril, son candidat pour succéder à la présidente TSAI 1. Il s’agit, comme attendu, de l’actuel vice-président LAI Ching-te (賴清德), alias William LAI, 63 ans, pressenti depuis longtemps pour décrocher cette investiture2. Il était le seul candidat à la candidature. L’annonce survient quelques jours après le passage très médiatisé de la présidente TSAI aux Etats-Unis, qui a provoqué en représailles d’importantes manœuvres militaires de Pékin autour de Taïwan, avec un nouvel encerclement de l’île par la marine chinoise, et des simulations de frappes ciblées et de tirs à munitions réelles.

LAI Ching-te est ouvertement détesté et vilipendé par le parti communiste chinois pour des prises de position tranchées (mais anciennes) pour l’indépendance de l’île3. Il avait ainsi déclaré publiquement qu’il était un « travailleur politique pragmatique pour l’indépendance taïwanaise » (« A Taiwan independence worker », 務實的台獨工作者). TSAI Ing-wen ayant démissionné de la présidence du DPP après l’échec de son parti aux élections locales générales du « Nine-in-One » le 26 novembre 2022, LAI lui a succédé en décembre. Conscient que son nom exaspère Pékin au risque de précipiter une action militaire s’il était élu à la présidence en janvier 2024, LAI a insisté sur le fait qu’il mettrait tout en œuvre pour empêcher que le statu quo, la politique menée par la présidente TSAI depuis 2016, ne soit modifié unilatéralement. Dans la présentation de sa plate-forme politique pour la présidence du DPP, il a proposé « Protéger pacifiquement Taïwan (和平保台) » au lieu de « Résister à la Chine, protéger Taïwan (抗中保台)», un slogan qui avait émergé lors des manifestations de Hong Kong en 2019. LAI a donc choisi d’écarter « Résister à la Chine » pour réduire l’hostilité de Pékin. LAI a toutefois prévenu : si le DPP gagne la présidentielle en 2024, la mission de l’armée taïwanaise sera de « Se préparer à la guerre, mais ne pas la rechercher ; répondre à la guerre, et ne pas l’éviter (備戰不求戰,應戰不避戰) ». Donc l’armée taïwanaise défendra résolument la souveraineté de l’île.

William LAI, un ex-indépendantiste radical ? Ou un pragmatique du statu quo ?

Jusqu’à présent, LAI est surtout connu à Taipei, Pékin, et Washington pour ses prises de position passées pour l’indépendance de Taïwan.

Né en 1959, William LAI est le dernier d’une famille de six enfants du village rural du district de Wanli (萬里區) sur la côte nord de Taïwan. Ils ont été élevés par leur mère, veuve. Son père était mineur, et est mort dans un accident de travail quand LAI était très jeune. Il fait des études de médecine et de santé publique, et entre en politique en 1996, lors de la troisième crise du détroit de Taïwan. Il est élu député à l’Assemblée nationale (de la ROC) en 1996 ; puis en 1998 au Yuan législatif (de Taïwan) sous l’étiquette DPP. Il y a fait 4 mandats. En 2010, il est élu maire de la municipalité spéciale de Tainan : il y a gagné localement une vraie popularité. En 2017, il est nommé Premier ministre de TSAI Ing-wen, puis en 2020 vice-président. Au sein d’un parti dans lequel théoriquement les factions sont supprimées depuis 2006, TSAI représente une aile du DPP4 plus modérée que celle de LAI, plus fondamentaliste sur la question de l’indépendance. Ils s’étaient d’ailleurs opposés lors d’une primaire ouverte en 2019, avant de faire campagne ensemble en 2020.


LAI maire de Tainan, 2015


Au sein du DPP, il appartient à la New Tide Faction (新潮流系), la plus importante au sein du parti (30 % des sièges), de centre gauche. Ses trois axes forts sont l’indépendance de Taïwan, la participation politique de masse et la social-démocratie. LAI est considéré comme plus dur que TSAI face à la Chine. Il se décrit comme un « travailleur politique pragmatique pour l’indépendance taïwanaise » (務實的台獨工作者) (China Times, 18 janvier 2017). Un « Deep Green » donc, par rapport aux « Light Green » , conscients à la fois du potentiel de conflit et de la nécessité de soutenir le avantages des relations économiques inter-détroit. Mais il ne faut pas surinterpréter les déclarations de LAI, qui nuance : « Être pro-Chine et aimer Taïwan, c’est prendre Taïwan comme noyau, puis offrir à la Chine les mains de l’amitié » (Taipei Times, 16 avril 2018). Il reprend la position dominante du DPP selon laquelle « Taïwan est une nation souveraine et indépendante et n’a donc pas besoin de déclarer son indépendance » et que « seuls les 23 millions d’habitants de la nation ont le droit de décider de l’avenir de Taïwan ».

LAI: quelques éléments de pré-programme

En janvier 2023, LAI a rappelé ses trois piliers sur les relations inter-détroit. «  La politique actuelle du DPP à travers le détroit est basée sur la « Résolution de 1999 sur l’avenir de Taiwan » (台灣前途決議文). Le DPP, sous ma direction, restera ferme sur les « Quatre engagements » :

– (1) Maintenir notre système constitutionnel libre et démocratique

– (2) La République de Chine et la République populaire de Chine ne sont pas subordonnées les unes aux autres

– (3) Résister à l’annexion ou à l’empiètement sur notre souveraineté

– (4) L’avenir de la République de Chine (Taïwan) doit être décidé conformément à la volonté du peuple taïwanais. Nous déploierons tous nos efforts pour maintenir le statu quo de la paix et de la stabilité régionales. »

De plus, «  La paix dépend de la défense nationale, et la défense nationale dépend du peuple. (和平靠國防,國防靠全民) ». Ces positions peuvent être considérées comme le futur programme international inter-détroit du président.

Pékin met l’accent sur la « clause d’indépendance » de la charte du DPP pour refuser de négocier avec lui. Mais oublie de préciser que cette clause date des années 1980, alors que Taïwan était en amorce de démocratisation. La « Résolution de 1999 sur l’avenir de Taïwan » (台灣前途決議文) du PDP/DPP ouvre en fait la perspective d’un dialogue en recommandant que « Taïwan et la Chine s’engagent dans un dialogue global pour rechercher la compréhension mutuelle et la coopération économique. Les deux parties doivent construire un cadre pour la stabilité et la paix à long terme. » De plus, la résolution réaffirme l’engagement envers le «statu quo» et fixe une barre juridique élevée pour un éventuel changement, déclarant que: «Taïwan, bien qu’appelée la République de Chine en vertu de sa constitution actuelle, n’est pas soumise à la juridiction de la République populaire de Chine. Toute modification du statu quo indépendant doit être décidée par tous les résidents de Taïwan par voie de plébiscite » . La Résolution note que « Taïwan devrait renoncer à la position  » Une seule Chine « pour éviter la confusion internationale et empêcher l’utilisation de la position par la Chine comme prétexte à une annexion par la force. »

Déjà des réticences à la candidature de LAI ?

La désignation de William LAI comme candidat est critiquée à trois niveaux : à la base du parti 5; à Washington ; et bien évidemment à Pékin. La faible participation à son élection (17,85%) traduit un manque d’enthousiasme en interne (même si les taux de participation antérieurs n’ont jamais été très élevés quand il n’y avait qu’un candidat en lice) ; mais aussi une défiance sur ses prises de position antérieures sur l’indépendance (les « mots interdits » en « i » et « s » pour indépendance, souveraineté et Etat6). Lesquelles inquiètent aussi un peu à Washington depuis 2017, quand il est devenu Premier ministre. L’administration Biden, qui avait déconseillé à Nancy Pelosi un voyage à Taipei en 2022, est moins va-t-en guerre que celle de Trump, et hostile à tout changement du statu quo. Une position rappelée en novembre 2022 lors de la rencontre de Bali entre Biden et XI. Après la désignation de LAI, le DPP s’est d’ailleurs employé à expliquer que le candidat était lui aussi partisan du maintien du statu quo… Pékin, qui se préparerait par ailleurs à abandonner l’approche « Un pays, deux systèmes », enterrée à Hong Kong en 2020, attend de voir.


Pour le moment, on attend la désignation de son co-ticket pour la vice-présidence, qui permettra de préciser ce que serait la politique inter-détroit de LAI reflétera probablement plus de continuité que de changement. LAI a une expérience de l’international plus limitée que celle ses prédécesseurs. Pour autant, il s’est rendu à plusieurs reprises aux Etats-Unis et au Japon (dont pour les funérailles de Shinzo Abe en juillet 2022) ; à Shanghai en 2014. En dernière analyse, la perspective d’une présidence de William Lai pour les relations inter-détroit ne se traduira pas par des changements majeurs. Elle signifiera probablement que le dialogue entre les deux parties sera limité au cours des quatre prochaines années.


LAI à Palau, 1er novembre 2022


NOTES

1 La participation au sein du parti a été faible : un peu moins de 18 %. Il est vrai que LAI était l’unique candidat.

2 AFP, «Élections à Taïwan: le vice-président désigné candidat à la présidentielle par le parti au pouvoir », Le Figaro, 12 avril 2023. URL : https://www.lefigaro.fr/flash-actu/elections-a-taiwan-le-vice-president-designe-candidat-a-la-presidentielle-par-le-parti-au-pouvoir-20230412

3 MARINACCIO Julia, « New Party Chair of Taiwan’s DPP on Everyone’s Lips: William Lai and the Strategic Triangle of Taiwan, China, and the US », CEIAS Insights, 9 February 2023. URL : https://ceias.eu/new-party-chair-of-taiwans-dpp-on-everyones-lips-william-lai-and-the-strategic-triangle-of-taiwan-china-and-the-us/ ; HSIAO Russel, « The DPP’s 2024 Presidential Candidate-in-Waiting: William Lai », Washington D.C., The Jamestown Foudation, China Brief, Volume 23, Issue 4, March 3, 2023. URL : https://jamestown.org/program/the-dpps-2024-presidential-candidate-in-waiting-william-lai/

4 On a même évoqué dans certains médias l’existence d’une « Ing-Faction » (英系)….

5 Les résultats des élections locales générales de novembre 2022 (les « Nine-in-One ») ont été mauvais pour le DPP, et largement remportées par le KMT. Le DPP a alors été incapable de trouver un mot d’ordre fédérateur et convaincant, et une plate-forme cohérente, pour les élections locales générales de novembre 2022. A quoi se sont ajoutés quelques scandales de faux diplômes à Tainan, et de certaines connexions mafieuses et de pots-de-vin.

6 En anglais: « The unspeakable ‘i’ and ‘s’ words in reference to Taiwan : independent, sovereign and state »


LAi et Nancy Pelosi, 3 août 2022


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