Les observateurs n’ont pas manqué de relever les résultats des élections locales générales (dites « Nine-in-One ») du 26 novembre 2022, lesquelles se sont traduites par une défaite du parti DPP au pouvoir, principalement au profit du parti d’opposition Kuomintang1. L’appellation « Nine-in-One » renvoie aux 9 catégories de postes à pourvoir, des maires des grandes villes aux comtés et aux chefs de village. En tout entre 11000 et 12000 sièges entre magistrats des comtés et membres des conseils municipaux.
Le Kuomintang (KMT) a remporté 13 des postes politiques des gouvernements locaux dans 22 villes, comtés et municipalités spéciales, tandis que le Parti démocrate progressiste (DPP) n’en a remporté que cinq. Pour le reste, une localité a été remportée par le Parti populaire de Taïwan (TPP), et deux par des politiciens indépendants. Le KMT confirme ainsi en 2022 ses succès de 2018, qui avaient contrebalancé les élections locales de 2014, nettement favorables au DPP. De nombreux experts et commentateurs estiment donc que ces 9-in-1 marquent « une défaite historique » pour le DPP (ce qui est vrai au plan des chiffres), et une « vague bleue » pour le KMT (ce que la cartographie semble confirmer). Mais dans le détail, il convient de nuancer une défaite du DPP (qui avait fait pire en 2018) et un triomphe du KMT (plutôt modeste) moins spectaculaires qu’il y paraît à première vue. Les résultats doivent être mis en perspective élection par élection.

Il faut néanmoins souligner que le KMT contrôle désormais quatre des six municipalités spéciales sous le gouvernement central : Taipei (avec Wayne CHIANG), New Taipei, Taoyuan et Taichung.
– Classiquement bastion du KMT (mais TPP entre 2014 et 2022, avec KO Wen-je), la mairie de Taipei, la capitale, est évidemment le poste de maire le plus prestigieux du pays, disposant d’un statut politique et de ressources importantes. Le DPP n’a jamais été très implanté à Taipei (sauf à la mairie entre 1994 et 1998).
– La perte des municipalités de Taoyuan, Keelung et Hsinchu sont symboliquement fortes pour le DPP (dont les trois maires ne pouvaient se représenter après deux mandats). Le KMT a remporté les deux premières, le TPP la troisième.
Que doit-on en conclure ? Alors que les observateurs extérieurs mettent systématiquement l’accent sur le « China factor » comme structurant des élections à Taïwan, en réalité les élections locales dites « 9-in-1 » sont clairement connectées aux enjeux domestiques et locaux 2: gestion municipale, logement, transports, politiques sociales, marché de l’emploi, etc. D’autre part, le facteur « personnalité des candidats » joue clairement, de même que certaines propositions programmatiques. Cette consultation électorale est aussi un moyen classique de signifier au parti au pouvoir le mécontentement d’une partie des électeurs, qui anticipent une alternance au pouvoir : en 2014, les « 9-in-1 » s’étaient ainsi traduites par un net désaveu signifié au Kuomintang (dans une présidence MA Ying-jeou 2008-2016, jugée beaucoup trop complaisante à l’égard de Pékin, et dès lors très secouée par la crise des Tournesols), au profit du DPP3. Qui gagnera effectivement la présidentielle de 2016 avec TSAI Ing-wen.

30 novembre: la présidente TSAI présente ses excuses pour les mauvais résultats de son parti, et démissionne de la présidence du DPP.
Le modèle 2014/2016 est-il transposable en 2022/2024 ? Il est évident que les résultats de ces élections locales ne peuvent manquer de peser sur la politique des partis concernés. Ces mauvais résultats pour son parti ont, ainsi, abouti à la démission de TSAI Ing-wen en tant que présidente du DPP. Le résultat des « 9-in-1 » ne préjuge cependant pas des résultats pour le Yuan législatif, et à la présidentielle : cela a été vérifié à plusieurs reprises dans la dernière décennie. Dans une démocratie, les électeurs peuvent faire des choix stratégiques en fonction de la nature de l’élection, locale ou nationale ; et de l’évolution du contexte régional-international. Pour l’analyste Russell HSIAO, « la valeur prédictive des élections locales quant au parti qui remportera l’élection présidentielle est au mieux marginale » : à vérifier le 13 janvier 2024 donc !

NOTES
1 HSIAO Russell, WAGNER Katherine, « Implications of Taiwan’s 2022 “Nine-in-One” Local Elections for 2024 », Global Taiwan Brief, Vol. 7, Issue 23, November 30, 2022. URL: https://globaltaiwan.org/2022/11/implications-of-taiwans-2022-nine-in-one-local-elections-for-2024/
2 A propos du « China factor », on aura relevé que le soir même du « 9-in1 », Pékin s’est félicité de la mauvaise performance du Parti démocrate progressiste au pouvoir, et de « résultats qui prouvent que l’opinion publique dominante dans l’île est pour la paix, la stabilité et une vie agréable. »…
3 Sur les « 9-in-1 » de 2014 : VITELLO Jacqueline, GLASER Bonnie S., «An Analysis of Taiwan’s Nine-in-One Local Elections »,Washington D.C., Center for Strategic and International Studies, Critical Questions, December 1, 2014. URL : https://www.csis.org/analysis/analysis-taiwans-nine-one-local-elections


