La colère du Namazu : estampe évoquant le tremblement de terre de Edo en 1855
,Le séisme qui a frappé les côtes nord-est de l’île de Honshū le 11 mars 2011 a atteint une magnitude de 9,1 sur l’Echelle de Richter – c’est-à-dire une violence inouïe. Il a engendré un tsunami dont les vagues ont atteint une hauteur estimée à plus de 30 m par endroits ; ont parfois parcouru jusqu’à 10 km à l’intérieur des terres ; et ont provoqué la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima (classée au niveau 7, le plus élevé, des incidents nucléaires majeurs). Outre les énormes dégâts matériels (plus de 600km de zones côtières ravagées), on a décompté à ce jour plus de 18000 morts et disparus, à plus de 90 % imputables au tsunami. A Tokyo, grâce à la qualité des constructions parasismiques japonaises, il n’y a pas eu de victimes. Mais la violence de l’épisode a ravivé de vieux souvenirs….
Le 11 novembre 1855, Edo (le nom de Tokyo sous les shogun Tokugawa, avant l’Ere Meiji) est frappée par un violent tremblement de terre (安政江戸地震) , estimé de magnitude 6,9 sur l’Echelle de Richter. Il est suivi de plusieurs jours de répliques. Dans une ville très majoritairement bâtie en bois, le séisme provoque un gigantesque incendie, et un exode massif des habitants vers les campagnes environnantes. Plus de 6600 victimes ont été dénombrées. C’est classiquement à la colère du Poisson-chat, le Namazu, qu’on attribue les tremblements de terre. De multiples estampes, parfois humoristiques, rappellent l’épisode de 1855.


Deux estampes évoquant 1855. Celle de gauche montre tous les artisans intéressés à un tremblement de terre (charpentiers, couvreurs, etc.) négociant un séisme avec le namazu…
En 1923, lors du terrible séisme qui ravage la plaine du Kantô, et en particulier l’agglomération de Tokyo, le 1er septembre, l’ire du Namazu a, de nouveau, été évoquée. Mais la rumeur a vite couru que les Coréens n’étaient pas étrangers au terrible incendie qui n’a laissé d’une grande partie de la capitale que des ruines fumantes. Depuis les décombres de son ambassade, Paul Claudel le relève: « Partout on entendait dire que les Coréens secondaient l’oeuvre de l’incendie, et se livraient à toutes sortes d’assassinats et de pillages… » (Correspondance diplomatique, Tôkyô 1921-1927, Gallimard, 1995). Certains articles les accusent alors d’avoir empoisonné les puits, à l’image des stigmatisations médiévales occidentales contre les Juifs.


Deux lithographies évoquant le séisme suivi du grand incendie à Tokyo en 1923
En réalité, au-delà de la désignation de boucs-émissaires dans les périodes de catastrophes, que les historiens ont bien repérée et étudiée depuis l’Antiquité, c’est l’extrême-droite ultra-nationaliste japonaise, anti-bolchévique et anti-anarchiste, qui a largement construit et amplifié la rumeur coréenne en 1923, au prix de plusieurs milliers de morts. Depuis quelques jours, dépêches d’agences et reportages d’envoyés spéciaux au Tohoku, dans le nord d’Honshu rapportent que le bruit court dans les zones frappées par le séisme et le tsunami: « on y aurait repéré des Coréens, ou des Chinois... ». La rumeur est de retour. Elle en dit beaucoup sur le désarroi des populations frappées par la catastrophe…
JP.Burdy, 25 mars 2011


Quelques sources iconographique parmi d’autres
* sur la colère du Namazu en 1855…: « When Giant Catfish Shook The Earth: The Namazu-e Prints », sur le blog de Philip Kennedy: https://illustrationchronicles.com/when-giant-catfish-shook-the-earth-the-namazu-e-prints
* et en 1923 : https://www.artelino.com/articles/great-kanto-earthquake.asp
Quelques études sur le tremblement de terre du Kanto en 1923
La chronique de Claire CHAPOUTOT dans Le Monde.fr du 6 avril 2011: http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/06/japon-la-colere-du-poisson-chat-et-le-retour-de-la-rumeur_1503137_3232.html
CHAPOUTOT Claire, La colère du poisson-chat. Causes et conséquences du séisme qui détruisit Tokyo en 1923, mémoire de 3e année de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble (sous la direction de JP.BURDY), Grenoble, septembre 2002, 227p. (accessible en pdf: http://iepdoc.upmf-grenoble.fr/memoires/pdf/2002/Z5835bis.pdf )
MAISON FRANCO-JAPONAISE, Tokyo, Le Japon des séismes, Ebisu no 21, 1999, 224p.
MIYATA Noboru, TAKADA Mamoru (dir.), Namazu-e shinsai to Nihon bunka [Images de poissons-chats dans les séismes et la culture nippone], Tokyo, Ribun shuppan, 1995, 369p.
PONS Philippe, D’Edo à Tokyo. Mémoire et modernités, Paris, Gallimard, 1988, 455p.
SEIDENSTICKER Edward, Low City, High City. Tokyo from Edo to the Earthquake. How the Shogun’s Ancient Capital Became a Great Modern City, 1867-1923, New York, Alfred A.Knopf et Harvard University Press, 1983, 302p.; Tokyo Rising. The City since the Great Earthquake, Harvard University Press, 1990, 362p.
Quelques sources littéraires sur le tremblement de terre du Kanto en 1923
CLAUDEL Paul, Correspondance diplomatique, Tôkyô 1921-1927, édité par Lucile GARBAGNATI, Gallimard, Les Cahiers de la NRF, 1995, 423p.
KOMATSU Sakyo (1931-), La submersion du Japon (Nihon Chibatsu) (1973), Philippe Picquier, 2000, 253p. (un tsumami géant submerge le pays..) (http://www.diploweb.com/La-submersion-du-Japon.html) ; (http://www.plathey.net/livres/japon/komatsu.html)
MURAKAMI Haruki (1949-), Après le tremblement de terre (神の子どもたちはみな踊る: Kami no kodomo-tachi wa mina odoru), nouvelles (1999-2000), Coll.10/18, 2002, 157p. (suite au tremblement de terre de Kobé en 1995) (http://www.lalitteraturejaponaise.com/murakami-haruki.php)
SHIMAZAKI Aki (1954-), Tsubame (2001), 3e roman de sa pentalogie: Le Poids des secrets, Actes Sud, 2001, 123p. (http://www.plathey.net/livres/japon/shimazaki.html#tsubame) & (http://www.lalitteraturejaponaise.com/blog/tsubame-de-shimazaki-aki/)
YOSHIMURA Akira (1927-2006), Le Grand Tremblement de terre du Kantô (吉村昭: Kantô dai-sinshai), roman (1973), Actes Sud, 2010, 283p. (http://www.lalitteraturejaponaise.com/blog/le-grand-tremblement-de-terre-du-kanto-de-yoshimura-akira/) et : (http://www.plathey.net/livres/japon/yoshimura.html)
YOSHINO Sakuzô (1878-1933), revue Chūōkōron (中央公論: Central Review), novembre 1923

L’incendie d’Edo (Tokyo) en 1855

Amulette de protection contre les tremblements de terre (coll. JP. Burdy)