NB/ Ce dossier initialement posté le 10 mars est actualisé au fil de l’évolution du conflit ukrainien et de ses répercussions internationales
Les médias et les réseaux sociaux taïwanais sont, comme au Japon, réputés s’intéresser assez peu à l’actualité internationale hors les relations avec les Etats-Unis, le Japon, et la Chine. Mais l’agression russe contre la lointaine Ukraine a focalisé l’attention médiatique et de l’opinion publique. Des rassemblements de rue et des collectes de dons financiers et matériels en soutien à l’Ukraine se sont très vite organisés dans plusieurs grandes villes. D’autant que les autorités politiques ont immédiatement pris position, en contraste avec le silence initial des autorités de Pékin. La présidente TSAI Ing-wen (élue en 2016, réélue en 2020, PDP, indépendantiste) a condamné sans délai et sans réserve l’intervention russe, et engagé la mise en œuvre des sanctions économiques internationales successives contre Moscou : « L’engagement du peuple ukrainien à protéger sa liberté et sa démocratie, son dévouement intrépide à la défense de son pays, ont suscité une profonde empathie de la part du peuple taïwanais, car nous nous trouvons, nous aussi, sur les lignes de front de la bataille pour la démocratie » (2/3/2022). Elle répète régulièrement dans ses discours et déclarations ce soutien au gouvernement et au peuple ukrainiens, y compris en temps que cheffe des armées. Les médias internationaux et les think tanks géopolitiques ont, parallèlement, multiplié les comparaisons entre la Russie et l’Ukraine, et la Chine et Taïwan. La tonalité dominante étant le risque d’un schéma taïwanais comparable à l’épisode ukrainien : «Aujourd’hui l’Ukraine, demain Taïwan ?». Il est vrai que les éléments de comparaison sont nombreux et pertinents, sans être des parallèles déterminants pour l’avenir.

VOLET 1/ Des points communs évidents entre l’Ukraine et Taïwan

Au-delà d’évidentes différences, l’Ukraine et Taïwan ont plusieurs points en commun, qui peuvent être mis en relation. Ce sont deux entités territoriales périphériques d’anciens empires, lesquels revendiquent leur « réintégration / réunification » par tous les moyens à la métropole. Au nom d’un irrédentisme manipulant par le négationnisme et le mensonge l’histoire ancienne et récente. La « Rous de Kiev » est dite par « l’historien » Poutine « berceau de la nation russe » ; l’Ukraine est qualifiée de « création artificielle » des bolchéviks après 1917 ; et les Ukrainiens sont des Russes. L’île de Taïwan est définie par Pékin comme province chinoise de tous temps, alors qu’elle ne fut administrée par l’empire qu’à partir du XVIIe siècle, et en tous cas jamais par le régime communiste installé sur le continent en 1949. Occultant la diversité historique et ethno-linguistique des groupes insulaires, le nationalisme ethniciste chinois fait appartenir tous les Taïwanais à la grande ethnie (minzu) han. La souveraineté de l’Ukraine (récemment retrouvée : 1991) comme celle de Taïwan (Province de la République de Chine depuis 1949) sont niées comme illégitimes, résultant de l’inusable « main de l’étranger », américaine en l’occurrence : l’impérialisme et le militarisme américains pour Taipei ; le « complot américain et de Soros » à Kyiv/Kiev (pour la « révolution orange » de 2004, et la « révolution de Maïdan » de 2014), et l’expansionnisme de ses organisations militaires (la volonté d’intégrer l’Ukraine dans l’OTAN depuis 2008). Les deux dictatures manifestent un égal mépris total pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et partagent la même détestation de la démocratie et des choix démocratiques libres des populations concernées. Les dirigeant-e-s élu-e-s sont donc stigmatisés par les pires des discours staliniens : pour Poutine, les « nazis [le président Volodymyr Zelensky, russophone, juif laïque, élu en 2019 avec 73,2 % des voix] sont au pouvoir à Kiev » ; pour Pékin, les dirigeants taïwanais [la présidente TSAI élu en 2016 avec 56,12 % des suffrages ; réélue en 2020 avec 57,1 %] des « séparatistes voués aux poubelles de l’histoire ».
Ces revendications impériales et ces discours menaçants et anti-occidentaux participent largement, en retour, du renforcement du sentiment national souverainiste ou indépendantiste. Chaque menace de l’Empire renforce le rejet de l’envie d’entrer (Taïwan) ou de revenir (l’Ukraine) dans son giron. Loin de permettre de « gagner les coeurs et les esprits » (ce dont les dictateurs se moquent d’ailleurs, au-delà d’éventuelles protestations de « fraternité des peuples»), les discours irrédentistes sont de plus en plus répulsifs pour les populations visées, qui savent tout ce qu’elles ont à y perdre. L’agression russe contre l’Ukraine a provoqué une mobilisation patriotique transcendant très largement les différences (et différents) régionaux, linguistiques et politiques.
Rappelons cependant une différence importante de statut au regard de l’ONU : l’Ukraine est un Etat indépendant pleinement souverain et internationalement reconnu. Agressée par la Russie, Kyiv peut en appeler au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale de l’ONU. Alors que Taïwan a tous les attributs d’un Etat, mais n’est plus représentée dans les instances onusiennes depuis 1971, et n’est diplomatiquement plus reconnue que par quatorze micro-Etats. Si la Chine attaque un jour Taïwan, elle le fera paradoxalement au nom de sa souveraineté et de son intégrité territoriale, et refusera toute ingérence de l’ONU dans ses «affaires intérieures ». Etant exclue de l’ONU, l’île ne pourrait se tourner ni devant le Conseil de sécurité, ni devant l’Assemblée générale des Nations unies, même si l’on peut penser que sa voix y serait portée par de nombreux Etats occidentaux.

Jean-Paul BURDY
VOLET 2/ Que vaut la « garantie de sécurité américaine » ?
Relevés « à chaud », alors que l’OTAN et l’UE confirmaient qu’ils n’interviendraient pas en Ukraine, les doutes de l’opinion publique taïwanaise sur la fiabilité américaines sont réels, et la confiance en baisse drastique, comme le montre un sondage de la Taïwan Public Opinion Foundation, réalisé du 14 au 15 mars par téléphone auprès de 1.077 adultes âgés de 20 ans et plus. Alors qu’en novembre 20121, à la veille de la tenue du Sommet pour la démocratie à Washington, la confiance en une intervention américaine s’élevait à 65 %, désormais, à peine un Taïwanais sur trois (34,5%) pense que les Etats-Unis interviendraient militairement pour contrer une invasion chinoise. Le Japon est perçu comme plus susceptible (43%) d’intervenir pour aider Taïwan (mais le pourcentage s’élevait à 68 % il y a quelques mois). Le doute s’applique donc à tous les alliés potentiels de Taïwan en cas de crise. On attendra donc d’avoir plus de recul pour confirmer cette baisse de confiance.
Du côté des autorités, le suivi attentif de la crise ukrainienne par Taipei n’a pas attendu la guerre lancée le 24 février, et les dirigeants de l’île avaient tenu à afficher leur soutien à l’Ukraine bien avant l’invasion russe. Car ce qui préoccupe le gouvernement taïwanais (et autant Pékin), c’est l’évaluation de la qualité de la position américaine face aux menaces, puis à l’intervention russes. Pour simplifier : Washington soutiendra-t-il Taïwan en cas d’agression chinoise, sous quelle(s) forme(s), et jusqu’à quel stade d’engagement militaire #1 ? L’Ukraine n’est pas pour autant, pour Taïwan, le crash test de la fiabilité sécuritaire américaine qu’il est parfois dit, car les relations entre Washington et Taipei ne sont pas comparables aux relations Washington-Kyiv. Malgré les annonces répétées des services américains depuis l’automne 2021 (neutralisées par le mensonge dévastateur de Washington en 2002-2003 sur « les armes de destruction massive en Irak »), l’hypothèse d’une guerre d’invasion classique et d’ampleur contre l’Ukraine n’avait pas été prise en compte par les Occidentaux. L’Ukraine, non membre de l’UE et de l’Otan, n’a donc pas pu bénéficier d’une protection dans le cadre d’un traité de défense mutuelle, ni d’une assistance militaire majeure directe. Qu’en serait-il de Taïwan, en cas d’agression chinoise ? On ne pourra pas avancer l’ignorance des menaces chinoises, puisque la Loi anti-sécession de 2005 est explicite sur la mise en œuvre de l’arme militaire en cas de proclamation de l’indépendance par Taipei #2. Les soutiens ou alliés de Taïwan sont donc prévenus des risques réels depuis longtemps.
Se voulant rassurante, TSAI Ing-wen a d’ailleurs tenu à couper court au jeu des comparaisons, soulignant que la situation en Ukraine était «fondamentalement différente» de celle observée entre Taipei et Pékin. D’une part, «le détroit de Taïwan fournit une barrière naturelle » très différente de la continuité territoriale russo-ukrainienne. D’autre part, Taïwan, occupe une position stratégique dans l’aire indo-pacifique beaucoup plus vitale que celle de l’Ukraine en Europe, et qui fait de l’île le verrou stratégique pour l’accès direct de la Chine au Pacifique. Enfin et surtout, le Congrès américain a voté en 1979 le Taiwan Relations Act (TRA) qui autorise Washington à fournir à Taipei les armes défensives nécessaires à la sécurité de l’île. Ce texte n’est en rien un traité de sécurité mutuelle, et ne garantit pas nécessairement une intervention américaine en cas d’attaque chinoise contre Taïwan. Mais le TRA stipule que tout acte d’agression ou de coercition contre Taiwan serait un sujet de « grave préoccupation ». Il exige que l’Amérique « maintienne la capacité de résister à tout recours à la force ou à d’autres formes de coercition » mettant en danger Taïwan, d’où l’engagement « à lui fournir des armes de guerre défensive ».
Les administrations Trump puis Biden, tout en s’en tenant à la reconnaissance diplomatique de la Chine de Pékin acté par le « Communiqué de Shanghai » de 1972, ont exprimé ces dernières années leur soutien à la souveraineté et à l’intégrité de Taïwan – tout en restant, bien sûr, dans le cadre du maintien du statu quo, c’est-à-dire de non-déclaration d’indépendance de Taïwan par Taipei. Ils ont augmenté le volume et la qualité des armes livrées à Taipei . Le président Trump dans le cadre de son bras de fer global de puissance avec Pékin dans l’Indo-Pacifique #3. Le président Biden en continuation du pivot vers l’Asie lancé dans la décennie 2010 par Barack Obama dont il était alors le vice-président. Au nom de la rivalité de puissance avec une Chine jugée de plus en plus menaçante. Au nom également de la défense de la démocratie taïwanaise #4 contestée dans son principe même par Pékin – l’écrasement du mouvement démocratique à Hong Kong en 2020-2021 ne laissant aucune illusion sur ce que la Chine met désormais derrière le slogan « Un pays, deux systèmes ».
Les Etats-Unis doivent-ils sortir de leur « ambiguïté stratégique » ?
L’attitude des Etats-Unis face à une tentative chinoise de reconquête de Taïwan constitue une inconnue de taille dans l’équation de Pékin. Car, entre la reconnaissance de la Chine de Pékin en 1972, et le Taiwan Relations Act de 1979, Washington maintient, au cœur de positionnement sur la question, une « ambiguïté stratégique » qui ne permet pas de savoir ce que serait/sera la réaction américaine en cas d’invasion. Comme dans le cas de la dissuasion nucléaire, cette ambiguïté laisse l’adversaire dans l’incertitude, et peut donc le faire hésiter à s’engager dans un conflit. Mais elle peut aussi être considérée comme de la faiblesse et de l’incertitude à agir pour ses alliés.
Le président Biden a paru hésiter sur une éventuelle sortie de « l’ambiguïté ». En août 2021, il a fait remarquer que les États-Unis avaient le même «engagement sacré [sacred commitment]» envers Taïwan qu’ils avaient envers leurs alliés conventionnels #5. Deux mois plus tard, interrogé sur le fait de savoir si les États-Unis défendraient Taïwan si la Chine attaquait, il a répondu: « Oui, nous nous sommes engagés à le faire ». Dans les deux cas, son administration a ensuite rétropédalé, pour en revenir officiellement à l’habituelle « ambiguïté stratégique », sur la base des textes de 1972 et 1979 #6.
Dans le contexte de la multiplication des incursions et pressions de Pékin sur Taïwan, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent à Washington pour demander que les Etats-Unis adoptent désormais une « clarté stratégique » #7. Elle consisterait à faire savoir à Pékin que tout recours à la force contre Taïwan entraînerait une réponse militaire. La clarification devrait se faire sans, pour autant, sortir du principe de « la Chine unique » et de la non-reconnaissance de l’indépendance de Taipei. Un maintien du statu quo qui pourrait atténuer la fureur prévisible de Pékin, et irait dans le sens des Taïwanais, qui sont massivement pour ce statu quo, lequel signifie un abandon de la réunification (de la Chine par Taipei, et plus encore de Taipei par Pékin…), et la non-déclaration d’indépendance.
L’agression russe contre l’Ukraine ne peut que renforcer les tenants d’un engagement politique et militaire plus ferme des Etats-Unis dans la défense de Taïwan. Certains officiels s’inquiètant cependant du risque de casus belli avec la Chine. Un tel choix impliquerait en tous cas côté américain, d’intégrer pleinement Taïwan dans les réseaux de communication et d’échanges de données américains (Common Data Link); de renforcer le pré-positionnement de matériels et de forces à Okinawa et à Guam; et d’accélérer ses alliances indo-pacifiques d’endiguement maritime de la Chine : avec le Japon et la Corée du sud ; au sein du QUAD #8 ; avec le très récent AUKUS #9, etc. Cependant, ni le QUAD ni l’AUKUS, n’ont évidemment à ce jour la même portée stratégique que l’OTAN.

Jean-Paul BURDY
VOLET 3/ Le « porc-épic asymétrique » Quel modèle de défense pour Taïwan ?
Sur le plan militaire, le déséquilibre des forces sur le papier entre la Chine et Taïwan est encore plus important qu’entre la Russie et l’Ukraine. Mais on sait qu’une simple approche comptable des chars et des canons ne préjuge pas de l’évolution d’un conflit, qui dépend sans doute au moins autant de la stratégie, des objectifs de guerre, de la volonté de se battre des soldats et des populations, des soutiens aux belligérants, etc. Pékin, qui va répétant que « Taïwan, c’est la Chine », et que « les Taïwanais sont des frères chinois » pourrait donc se trouver dans la même contradiction que Poutine, niant l’existence de l’Ukraine, et affirmant que « les Ukrainiens sont des Russes ». Mais piétine sur le terrain, car il se heurte à la farouche résistance patriotique et nationale de ces mêmes Ukrainiens. Qu’en est-il de Taïwan, à la fois en capacités militaires sur le papier, en matière de stratégie, et en « volonté de se battre » ?
Pour Taïwan, et au regard de la crise ukrainienne, une dissuasion crédible contre une agression chinoise nécessite la concomitance de plusieurs éléments. Outre une cohésion politique interne sur l’objectif de défendre la souveraineté de l’île #10, avec des aides extérieures effectives et une coordination avec des alliés sur la base d’alliance préalablement solidement établies (cf. le Volet 2, ci-dessus), il faut un concept de défense clair, avec des capacités militaires adaptées au type de conflit, et une forte volonté de défense de la population. Compte tenu de l’ampleur des investissements budgétaires de Pékin dans le développement de son appareil militaire (APL) dans la dernière décennie, spectaculaire en particulier en ce qui concerne les forces maritimes (la Marine chinoise détient désormais plus de navires que la Marine américaine), le rapport de force entre l’armée taïwanaise et l’armée chinoise est encore plus déséquilibré que le rapport de force entre l’armée russe et l’armée ukrainienne. Le seul « avantage » stratégique dont bénéficie Taïwan – d’ailleurs rappelé par la présidente TSAI après l’agression de l’Ukraine, est d’être une île à 120km du continent #11. Les conditions d’une invasion seraient donc très différentes de la continuité terrestre russo-ukrainienne qui permet d’engager chars de combat et artillerie terrestre lourde. Envahir Taïwan implique une importante opération navale et amphibie, à laquelle Pékin se prépare depuis des années, mais qui suppose des matériels, une stratégie et des tactiques très spécifiques.
La présidente TSAI a défendu depuis son premier mandat l’option de « la guerre asymétrique » pour « rendre le coût d’une invasion le plus élevé possible » pour Pékin. Ce concept asymétrique est retenu depuis des années par des planificateurs américains et taïwanais, et a été pris en compte par les administrations Trump puis Biden #12. Les capacités militaires doivent être adaptées au type de conflit prévu. Dans le cas d’espèce, il semble peu pertinent de surinvestir dans une stratégie d’affirmation d’une supériorité navale ou aérienne de contrôle du détroit par de grands navires et de multiples avions de combat, supériorité illusoire au regard d’une puissance continentale croissante #13. Il s’agit plutôt de mettre en œuvre la « stratégie du porc-épic » : en valorisant les avantages géographiques (insularité ; mais aussi nombre relativement faible de zones littorales favorables à un débarquement ; ampleur des zones humides, ou marécageuses, ou inondées sur la côte ouest, importance des abris possibles dans les zones montagneuses, etc), il faut mettre l’accent sur une défense territoriale élargie aux abords de l’île, rendant une possibilité de débarquement puis de prise de contrôle du territoire extrêmement coûteuses.

Carte des sites possibles d’opérations amphibies contre Taïwan, Bloomberg, 10/2020
Une opération d’invasion combinerait frappes aériennes (missiles et avions) et manœuvre navale et amphibie de débarquement #14. -Pour les premières, la défense anti-aérienne reposerait moins sur une bataille de suprématie aérienne que sur des équipements anti-aériens et anti-missiles de tous types (des manpads sol-air légers aux batteries Patriot) : ils visent à contester la maîtrise totale des airs par l’agresseur. Pour la seconde, la défense en déni d’accès des côtes s’exercerait dans le détroit de Taïwan. Elle s’appuierait sur l’utilisation d’importantes quantité de mines navales et de missiles anti-navires ; de drones aériens et sous-marins armés ; de missiles de croisière de défense côtière hautement mobiles ; de défense aérienne à courte portée, utilisée individuellement (de type FIM-92 Stinger) ou sur véhicules ; de lance-roquettes anti-chars (de type FGM-148 Javelin), etc. Les missiles de moyenne et longue portée dont dispose déjà Taïwan ajoutant une menace sur des objectifs côtiers continentaux, mais aussi à l’intérieur du territoire chinois. Par rapport à une manœuvre classique, le « porc-épic » asymétrique repose sur « une force distribuée, manoeuvrable et décentralisée, capable d’opérer dans un environnement électromagnétique dégradé et sous un déluge de missiles et d’attaques aériennes » #15.
Taïwan a décidé, début 2022 (avant donc l’agression de l’Ukraine), d’accélérer significativement ses programmes de production de missiles balistiques et de croisière indigènes modernisés courte et moyenne portée, sol-mer, sol-air, mer-mer et surface-air (Tien Kung-3 surface-to-air ; Wan Chien air-to-ground ; Hsiung Sheng long-range cruise missile, etc.), pour une entrée en service en 2024-2025. La guerre en Ukraine va toutefois forcer le gouvernement taïwanais à rapidement procéder à une réévaluation de des capacités de défense, lesquelles reposent classiquement sur trois niveaux : l’armée de manoeuvre, les forces de réserve, et la défense civile territoriale. Car les forces armées ont des faiblesses connues #16 : les pertes répétées d’avions (F16 surtout) par de jeunes pilotes inexpérimentés ; une conscription (masculine) de faible durée qui n’est pas réputée pour le niveau de formation des conscrits (parfois qualifiée de « camps d’été« ) ; des réserves dont la mobilisation ne serait ni rapide ni très opérationnelle. Les premières leçons tirées de la résistance ukrainienne pourraient bien accélérer des réformes structurelles de l’armée : privilégier les matériels et stratégies de la guerre asymétrique au détriment de l’armée conventionnelle ; allonger la durée du service militaire (jusque-là un quasi tabou politique car, partant d’une durée de 3 ans sous la Loi martiale et la Guerre froide, il avait été réduit de un an à quatre mois en 2013), et l’élargir aux femmes ; renforcer le rôle et surtout « durcir » la formation de la réserve militaire (au regard des événements en Ukraine, le projet de réforme de 2020 sur la réserve pourrait bien devoir être redéfini); renforcer la défense territoriale.
Par ailleurs, les sources ouvertes taïwanaises soulignent l’importance croissante d’autres défis sécuritaires venant de Chine, une « zone grise » additionnant les intrusions et provocations répétées (les « bruits de bottes ») ; l’intimidation verbale, la propagande et la désinformation ; la multiplication des cyberattaques, etc. L’un des enjeux de ces « actions grises » est de démoraliser la population en amont d’une attaque d’invasion, et d’affaiblir l’esprit de défense. Or, sur ce dernier point, la société taïwanaise semble très éloignée de la capacité de défense civile de certaines autres sociétés – on cite souvent en exemple la Finlande, qui connaît bien son voisin russe….
« The Will to Fight » : où en sont l’esprit de défense et la volonté de se battre à Taïwan ?
L’exemple de la mobilisation de résistance des Ukrainiens et Ukrainiennes à l’invasion russe amène à s’interroger sur un facteur important en cas d’imminence ou de déclenchement d’un conflit : qu’en est-il de « l’esprit de défense / the spirit of defence», ou de « la volonté de se battre / the will to fight» parmi la population taïwanaise ? #17. On sait que la « volonté de se battre » d’une société et d’un gouvernement est un facteur important dans l’histoire, et pas seulement du côté des forces armées. Elle peut être à la fois construite au sein de sa société par l’État menacé ; et sapée ou brisée par l’État agresseur potentiel, aux fins de décourager ou démoraliser son objectif. Visant Taïwan, Pékin s’emploie activement à affaiblir en amont cette volonté de se battre, par des voies et moyens multiples.

Exercice de débarquement de l’Armée populaire de libération (APL, Pékin) sur des plages continentales, en 1979 (source APL, agence chinoise Xinhua)
Une livraison récente du Global Taiwan Brief publié par le Global Taiwan Institute (Washington DC) fait le point sur cette question #18, en prolongation de la récente livraison annuelle de l’Université Chengchi, qui soulignait le renforcement constant du sentiment d’appartenance à l’identité taïwanaise #19. Il fait état de deux enquêtes récemment publiées à Taïwan. Une note du 29 décembre 2021 de l’ONG Taiwan Foundation for Democracy publie un sondage sur l’esprit de défense à Taïwan #20 : il en ressort que 72,5% des sondés se battraient pour défendre leur pays contre une invasion continentale pour forcer la réunification; et 62,7% se battraient si l’invasion était consécutive à une proclamation de l’indépendance par Taipei. Ces chiffres sont en recul de 7 à 9 % par rapport aux résultats de l’année précédente.
Cependant, ils apparaissent nettement discordants avec ceux d’une autre enquête sur les tendances de l’opinion publique taïwanaise, dont les résultats ont été publiés dans la livraison de janvier 2022 du mensuel Global View Monthly (GVM) #21. Selon celle-ci, 40,3 % seulement des personnes interrogées ont répondu qu’elles étaient «disposées à se battre ou à laisser les membres de leur famille se battre si la guerre éclatait [avec la Chine]» ; et 51,3 % ne seraient « pas disposées à se battre ». Les femmes sont majoritairement opposées ; les jeunes très majoritairement opposés. De manière intéressante, les appartenances partisanes apparaissent comme tranchées : les sondés proches du groupe politique pan-bleu (le Kuomintang et ses alliés) sont opposés à 70,8 %; alors que les sondés proches du groupe pan-vert (le PDP et ses alliés) seraient prêts à 62 % à se battre. La violence de l’invasion russe paraît cependant avoir été un électrochoc parmi les Taïwanais, nombreux à s’inscrire aux ateliers de défense civile organisés partout sur l’île. Selon de très récentes évaluations empiriques, 70% d’entre eux seraient désormais prêts à se battre face à une agression chinoise – une hausse d’environ 30% par rapport aux sondages du début de l’année.
On le sait, les sondages ne prévoient pas l’avenir. On ne peut pas préjuger de la volonté et de la capacité de résistance d’une population qui n’était certes pas préparée à une attaque, mais se retrouve brutalement le dos au mur. De multiples facteurs sont susceptibles de les favoriser ou de les affaiblir. On a pu lire que la proximité « ethnico-linguistique » et culturelle des Taïwanais par rapport aux Chinois pourrait réduire leur envie de résister. L’argument ne tient pas : la proximité culturelle des Ukrainiens et des Russes n’empêchent pas les premiers de résister au nom de la souveraineté nationale et de la démocratie agressées. A fortiori quand une population est motivée par un dirigeant qui assume pleinement son rôle de chef de la nation agressée et en péril : on peut penser que les qualités révélées du président ukrainien Volodymyr Zelensky se retrouveraient chez la présidente TSAI, dont on connaît les qualités de fermeté et de résilience face aux vitupérations et aux menaces de Pékin depuis 2016.

D’après plusieurs enquêtes d’opinion, les Taïwanais ne semblaient pas croire fin 2021-début 2022 à une prochaine attaque de la Chine #22 : une majorité de Taïwanais (60%) pensent alors que la Chine n’attaquera pas Taïwan. Et se reposent largement sur une intervention américaine en cas d’attaque (60%). Un sentiment de confiance conforté par les évolutions pro-taïwanaises du Japon en matière de sécurité régionale, par les nombreuses manifestations politiques de soutien à Taïwan ces derniers mois, sous forme de visites semi-officielles d’anciens dirigeants occidentaux, et de délégations parlementaires. On manque encore de recul pour mesurer l’impact de l’agression russe contre l’Ukraine sur une prise en compte nouvelle de la menace chinoise sur leur île par les Taïwanais. A la mi-mars 2022, on ne peut faire qu’un point d’étape provisoire sur le positionnement de Pékin par rapport à la guerre en Ukraine et à la question de Taïwan.

Jean-Paul BURDY
VOLET 4/ Une « prudence de Pékin » face à la guerre en Ukraine, avec Taïwan en arrière-plan
Le 4 février 2022, à la veille de l’ouverture des JO d’hiver de Pékin, XI et Poutine ont mis en scène leur « alliance» et leurs convergences de vues dans une « déclaration commune sur l’entrée des affaires internationales dans une nouvelle ère. » Avec une formule qui a été relevée: l’affirmation de « l’amitié sans limites » entre Moscou et Pékin: une formulation qui renvoie aux protestations d’amitié Staline-Mao des débuts de la République populaire, et qu’on n’avait pratiquement pas revue depuis – sous bénéfice d’inventaire évidemment. Sans établir formellement de parallèle, la déclaration commune suggère un donnant-donnant : « La Russie affirme son soutien à la politique d’une seule Chine, confirme que Taïwan est une partie inaliénable de la Chine et s’oppose à toutes les formes d’indépendance de Taïwan » ; « La Chine soutient les propositions avancées par la Fédération de Russie pour créer en Europe des garanties de sécurité fiables, juridiquement contraignantes et à long terme #23». L’agression russe a donc immédiatement suscité un débat sur un éventuel soutien de Pékin à Moscou, et sur la possibilité pour Pékin de profiter de l’occasion ukrainienne pour attaquer Taïwan.

L’attitude chinoise à l’égard de Moscou est scrutée depuis le début de la guerre. Au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale de l’ONU la Chine s’est abstenue – comme elle le fait habituellement ces deux dernières décennies. Le 25 février, elle s’est abstenue au Conseil de sécurité lors du vote d’une résolution condamnant l’invasion russe de l’Ukraine, demandant à Moscou de retirer ses troupes. Le 2 mars, elle s’est à nouveau abstenue à l’Assemblée générale lors du vote d’une résolution reprenant les termes de celle du Conseil de sécurité. Pékin ne parle pas d’invasion et ne veut pas condamner la Russie. Pékin est en position d’attente : éviter de s’aligner sur Moscou tout en ne le gênant pas au plan diplomatique, et avancer ses thèses : protection de ses ressortissants en Ukraine (environ 6000, rapidement évacués); souveraineté absolue des Etats; refus des blocs militaires (« l’élargissement de l’OTAN et les alliances de la Guerre froide » étaient cités dans le communiqué commun du 4 février).
Les China watchers estiment que, pour différentes raisons, la Chine est cependant gênée par une intervention russe en Ukraine vraisemblablement inattendue dans son ampleur, et posant problème à certains principes fondamentaux de la diplomatie chinoise. Il convient d’insister tout d’abord sur le principe de la souveraineté des Etats, essentiel pour la diplomatie chinoise. Pour Pékin, comme l’a rappelé à plusieurs reprises le ministère des Affaires étrangères, « l’intégrité territoriale constitue une norme pour les relations internationales contenue dans la charte de l’ONU. Il s’agit aussi là de la position de principe de la Chine. Et ceci s’applique également à l’Ukraine ». L’indépendance, la souveraineté, et les frontières de l’Ukraine ont été reconnues par Pékin en 1992. Et la Chine a la hantise du séparatisme tel qu’encouragé et mis en oeuvre par Poutine en Crimée et dans le Donbass. Car l’empire chinois a ses propres risques réels ou fantasmés, du Tibet au Xinjiang, ou à Taïwan… Pékin a donc été mis en difficulté par la reconnaissance par Poutine de l’indépendance autoproclamée des deux territoires séparatistes ukrainiens. Pour Pékin, Taïwan est « une partie inaliénable de la Chine : un fait juridique et historique indiscutable». On comprend pourquoi la reconnaissance poutinienne des républiques fantoches du Donbass, prélude immédiat à la guerre, est un mauvais signal pour Pékin. A la déclaration de la présidente TSAI : «Taïwan n’est pas l’Ukraine », le ministre chinois des affaires étrangères WANG Yi a d’ailleurs immédiatement répondu : « Taïwan fait partie intégrante du territoire chinois, et la question de Taïwan relève complètement des affaires intérieures de la Chine, tandis que la question ukrainienne est un différend entre la Russie et l’Ukraine, qui sont deux Etats ». Et à l’ouverture de la session annuelle du Parlement chinois le 5 mars 2022 , le premier ministre LI Keqiang a précisé : «Nous sommes résolus à combattre les activités sécessionnistes visant à l’indépendance de Taïwan et les ingérences extérieures. ». Cette dernière formule est une nouveauté dans la rhétorique habituelle : la Chine voit, dans la défense de Taïwan par les Occidentaux, la même politique d’ingérence en Ukraine dont la Russie accuse l’Union européenne et l’OTAN. Pékin rappelle donc son soutien aux « préoccupations légitimes » de Moscou, et à la demande russe « de sécurité en Europe« : l’Ukraine n’est pas évoquée dans le communiqué conjoint. Les deux puissances s’accordent, par ailleurs, sur un même discours complotiste focalisé, à la mi-mars, sur «les laboratoires américains d’armes biologiques en Ukraine » …
La Chine (déjà soumise à certaines sanctions depuis le massacre de Tien Anmen en 1989) craint, et refuse, d’être «affectée» par les sanctions contre la Russie. Pékin a sans doute été pris de court par l’ampleur des sanctions internationales, venant en particulier d’une Union européenne supposée divisée et neutralisée. Un soutien économique massif ou, pire encore, un soutien militaire de la Chine à la Russie entraîneraient automatiquement l’application de sanctions contre Pékin, en particulier par ses deux partenaires économiques majeurs : l’Europe et les Etats-Unis. La guerre en Ukraine a déjà des conséquences économiques pour la Chine : perte d’investissements directs (dans l’agriculture et l’industrie), rupture de plusieurs des routes terrestres de la BRI #24, en particulier des axes ferroviaires transitant par la Russie et l’Europe orientale. Un régime drastique de sanctions multiformes provoquerait de sérieuses difficultés économiques, si un conflit majeur impliquait conjointement la Russie et la Chine – ou si Pékin attaquait Taïwan. Car, malgré sa recherche énergique de l’autonomie stratégique et de la résilience face au risque de sanctions, la Chine est encore largement dépendante des marchés mondiaux pour ses approvisionnements et ses débouchés, et de l’utilisation du dollar malgré tous ses efforts pour réduire sa dépendance au billet vert. Pékin détenant aussi plus de mille milliards de dollars de Bons du Trésor américain… Or, pour Pékin, et particulièrement pour XI Jinping, la poursuite de la croissance économique est la meilleure garantie pour se prémunir de l’instabilité sociale, et donc d’une tension politique interne qui contesterait le monopole du parti communiste. Le régime chinois craint un « désordre international » qui ne pourrait que lui être défavorable.
On fera donc l’hypothèse que Pékin préférera, pour le moment, le maintien du statu quo à un coup de force contre Taïwan, trop aléatoire et surtout trop coûteux sur tous les plans pour XI Jinping. Mais la Chine est désormais consciente de sa puissance économique, et de sa capacité à rivaliser avec des Etats-Unis en déclin pour devenir la première puissance mondiale. XI a pu apprécier l’absence de réactions occidentales autres que verbales à son expansionnisme en mer de Chine du sud, et à sa main-mise répressive sur Hong Kong ( pour certains analystes, Hong Kong a joué le rôle du « canari dans une galerie de mine de charbon », et n’y a pas survécu). Et entend continuer sa montée en puissance militaire, particulièrement impressionnant dans le domaine des forces navales. Alors que la guerre commençait en Ukraine, Pékin a ainsi annoncé une augmentation des dépenses militaires à hauteur de 7,1 % en 2022, à un rythme encore plus élevé qu’en 2021 – où elles avaient progressé de 6,8 %. C’est un message envoyé aux Occidentaux, même si le budget militaire de la Chine (environ 209 milliards d’euros) reste très inférieur à celui des Etats-Unis (709 milliards d’euros) – celui de la Russie étant de l’ordre de 60 milliards, et le budget de la France de 40 milliards d’euros. Et le retour militaire (contraint) des Etats-Unis sur la scène européenne face à la Russie pourrait (provisoirement) réduire la volonté de Washington de faire monter en puissance son dispositif en Indo-Pacifique, et inciter l’administration américaine à être moins exigeante vis-à-vis de Pékin.
Conclusion provisoire au 20 mars 2022
Les enjeux de la guerre en Ukraine dépassent très largement les frontières ukrainiennes. Et les enjeux d’un conflit dans le détroit de Taïwan dépasseraient très largement Taïwan. Il s’agit, dans les deux cas, de la redéfinition de l’ordre international, et de la possibilité de la démocratie menacée par des dictatures. Dans le cas de Taïwan, la question centrale est celle d’une riposte militaire qui serait principalement américaine à une agression de Pékin. Attaque et riposte qui engageraient au plan géopolitique l’avenir de toute la région indo-pacifique; et, au plan économique, celui de l’économie mondiale en cas de sanctions massives contre la Chine. Mais qui, dans l’hypothèse où Washington ne répondrait pas à une agression contre Taïwan, saperait définitivement la crédibilité des Etats-Unis dans leur compétition de puissance avec la Chine.
La prudence doit cependant rester de mise. La guerre d’agression lancée par le dictateur russe contre l’Ukraine montre qu’un dirigeant nationaliste et irrédentiste idéologiquement motivé peut, à tout moment, transgresser les limites définies par « le réalisme rationnel. » « L’impensable », le « Black Swan Event », ne devrait jamais être exclu en matière de relations internationales...
Si la menace d’une agression contre Taïwan semble écartée à court terme, avec le maintien d’un statu quo préféré par Pékin au conflit, le long terme reste incertain, et inquiétant. L’échéance ultime fixée par XI pour la réunification est 2049, pour le 100e anniversaire de la République populaire…
Jean-Paul BURDY
NOTES
1 Signalons que le retrait précipité et désordonné d’Afghanistan en août 2021 avait été scruté de près, suscitant des interrogations sur la fiabilité du soutien américain à ses alliés. A l’époque, Pékin n’avait d’ailleurs pas manqué de souligner la fuite américaine, et l’abandon de ses alliés du gouvernement de Kaboul. De la même manière, en 2011, le « lâchage » du président Moubarak par Barack Obama lors de la « révolution de la place Tahrir » avait beaucoup inquiété les pétromonarchies du Golfe, en principe « sous parapluie américain ». Pékin, adversaire résolu des « printemps arabes », avait à l’époque souligné l’inexistence de la « garantie de sécurité américaine».
2 La « Loi anti-sécession (反分裂国家法) » de 2005 a été adoptée lors de la 3e session de la 10e Assemblée populaire nationale de la République populaire de Chine (RPC). Elle a été ratifiée le 14 mars 2005, et est entrée immédiatement en vigueur, avec sa promulgation par le président HU Jintao (2003-2013). Elle institutionnalise le « principe de la Chine unique » adopté par la RPC dès sa proclamation en 1949. Elle vise à « promouvoir la réunification nationale » par un ensemble de mesures pacifiques. Et à s’opposer, par tous les moyens, à tout projet « sécessionniste » de proclamation de « l’indépendance de Taïwan » : on en a retenu, tout particulièrement, sur ce point, l’article 8, qui envisage explicitement des actions militaires contre Taïwan. Depuis son adoption, cette loi est sans cesse rappelée par le régime de Pékin, et plus encore depuis l’élection (2016) et la réélection (2020) de la présidente TSAI Ing-wen, accusée d’indépendantisme.
3 Cette stratégie globale du pivot asiatique, initiée par l’administration Obama, a été rebaptisée « Indo-Pacifique » sous l’administration Trump .
4 Taïwan, comme l’Ukraine, ont d’ailleurs été invitées par le président Biden au Sommet (virtuel) de la démocratie des 9 et 10 décembre 2021 à Washington. Ni Moscou ni Pékin n’ont été invités, suscitant les protestations des deux capitales.
5 Interview de Joe Biden par George Stephanopoulos sur ABC News, 19/8/2021: « We have made—kept every commitment. We made a sacred commitment to Article 5 that if in fact anyone were to invade or take action against our NATO allies, we would respond. Same with Japan, same with South Korea, same with—Taiwan. It’s not even comparable to talk about that. » Online: https://abcnews.go.com/Politics/full-transcript-abc-news-george-stephanopoulos-interview-president/story?id=79535643
6 BRUNNSTROM David, U.S. position on Taiwan unchanged despite Biden comment – official, Reuters, 19/8/2021. Online: https://www.reuters.com/world/asia-pacific/us-position-taiwan-unchanged-2021-08-19/ & : US Department of State, 3/10/2021 : « We will continue to assist Taiwan in maintaining a sufficient self-defense capability, and we will maintain our commitments as outlined in the Three Communiqués, the Taiwan Relations Act, and the Six Assurances. The U.S. commitment to Taiwan is rock solid » . Online: https://www.state.gov/increasing-peoples-republic-of-china-military-pressure-against-taiwan/
7 HAASS Richard, SACKS Richard, The Growing Danger of U.S. Ambiguity on Taiwan. Biden Must Make America’s Commitment Clear to China—and the World, Foreign Affairs, December 13, 2021. Online : https://www.foreignaffairs.com/articles/china/2021-12-13/growing-danger-us-ambiguity-taiwan
8 Le Dialogue de sécurité quadrilatéral (Quadrilateral Security Dialogue, QUAD) a pris forme en 2007 en marge d’une réunion régionale de l’ASEAN. Il regroupe quatre pays (Etats-Unis, Australie, Japon, Inde) pour des coopérations initialement surtout économiques, mais qui se sont ensuite renforcées en matière de diplomatie et de défense, au fur et à mesure de la montée en puissance militaire de la Chine. Ayant entériné le concept d’« Indo-Pacifique libre et ouvert » (initialement d’origine japonaise) qui avait marqué le discours stratégique de la présidence Trump, le président Biden cherche à renforcer le volet multi-dimensionnelle de la sécurité régionale. Le QUAD est encore assez loin de constituer une alliance formelle, ce qui n’empêche pas Pékin d’y voir l’amorce d’une version indo-pacifique de l’OTAN, et donc une menace directe à son encontre. Alors que des propositions d’élargissement à d’autres pays ont émergé (Corée du Sud, Singapour, Royaume-Uni) pour former un QUAD+, Taïwan demande en septembre 2021 à intégrer le QUAD, sans obtenir à ce jour de réponse. Cf. PERON-DOISE Marianne, Le Quad, pilier de la stratégie indo-pacifique de l’administration Biden ? The Conversation, 21 avril 2021. Online : https://theconversation.com/le-quad-pilier-de-la-strategie-indo-pacifique-de-ladministration-biden-158966 . On notera cependant que, et bien qu’elle soit soumise à de fortes pressions diplomatiques et britanniques, le refus de l’Inde de condamner l’agression russe et d’appliquer des sanctions contre Moscou fragilisent la crédibilité actuelle du QUAD…. Cf. PHILIP Bruno, La guerre bouscule les équations de sécurité dans l’Indo-Pacifique, Le Monde, 3/4/2022. Online : https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/03/les-equations-de-securite-indo-pacifique
9 L’AUKUS (Australia-United Kingdom-United States) est une alliance militaire tripartite dans la zone Indo-Pacifique destinée à contenir l’expansionnisme chinois. Elle a spectaculairement émergé le 15 septembre 2021 quand elle a coûté à la France un contrat de 56 milliards d’euros pour la livraison de 12 sous-marins classique à l’Australie (les Etats-Unis s’engageant à livrer à Canberra huit sous-marins nucléaires). L’initiative américano-britanico-australienne est précisément définie comme « un partenariat militaire et sécuritaire, dans les domaines des sous-marins, du cyberespace, de l’informatique quantique et de l’intelligence artificielle. » L’AUKUS succède à l’ANZUS, dans laquelle la Nouvelle-Zélande refusait l’accès de navires et d’armes nucléaires à ses eaux, en vertu d’une politique de zone dénucléarisée mise en vigueur en 1984. L’AUKUS peut apparaître comme un sous-ensemble du groupe des « Five Eyes », qui rassemble les pays anglo-saxons (les trois précités plus la Nouvelle-Zélande et le Canada) oeuvrant conjointement dans le domaine du renseignement militaire (en particulier ELINT et SIGINT).
10 Nous ne développons pas ce point. Mais on peut relever que le parti nationaliste d’opposition Kuomintang critique régulièrement le caractère très aléatoire du soutien éventuel de Washington en cas de crise, et promeut plutôt un rapprochement avec Pékin. Relevant le refus des États-Unis de fournir un soutien militaire direct à l’Ukraine sous la forme de troupes au sol, ou d’imposer une zone d’exclusion aérienne, le prédécesseur de Mme TSAI, l’ancien président MA Ying-jeou (2008-2016, Kuomintang) a appuyé sur la plaie de la fragilité du soutien américain.
11 En ne prenant pas en compte les archipels de Kinmen, Wuchiu (Wuqiu) et Matsu, à quelques encablures du continent, non plus que l’archipel de Penghu (les Pescadores), au milieu du détroit de Taïwan.
12 HELVEY David, Prepared Remarks, Upgrading US-Taiwan Relations for the 21st Century, Washington, DC, Global Taiwan Institute, September 14, 2017. Online: https://globaltaiwan.org/2017/09/GTI-Annual-Symposium.pdf (l’auteur est « Principal Deputy Assistant Secretary of Defense for Asian and Pacific Security Affairs »). Le positionnement présidentiel est soutenu à Washington, mais ne ferait pas l’unanimité au sein du ministère taïwanais de la Défense, attaché aux schémas classiques de bataille avec l’ennemi. L’acquisition de nouveaux chars lourds américains est ainsi en débat, eu égard aux interrogations sur leur pertinence face à une opération amphibie littorale.
13 Des missiles moyenne portée en capacité de frapper le continent peuvent cependant avoir un objectif de dissuasion.
14 Cf. deux scénarios d’invasion : BIERMAN Alex, The Nightmare Scenario: The PLA Invasion Threat & Taiwan’s Response, Alington (Virginia), Project 2049 Institute, December 6, 2018. Online: https://project2049.net/2018/12/06/nightmare-scenario-the-pla-invasion-threat-taiwans; & : ELLIS Samson, Here’s What Could Happen If China Invaded Taiwan, Bloomberg.com, October 7, 2020, updated March 7, 2022. Online : https://www.bloomberg.com/news/features/2020-10-07/
15 HELVEY, 2017, ibid.
16 YIP Hilton, Taiwan Is Rethinking Defense in Wake of Ukraine Invasion, Foreign Policy, 28/2/2022. Online : https://foreignpolicy.com/2022/02/28/taiwan-defense-ukraine-invasion/
17 Nous reprenons ici l’essentiel de notre post de blog du 15 janvier 2022 : https://lesmotsdetaiwan.com/2022/01/15/ou-en-sont-lesprit-de-defense-et-la-volonte-de-se-battre-chez-les-taiwanais-en-2022-les-sondages-sont-contradictoires/
18 HSIAO Russel, New Opinion Polls Highlight Trends in Taiwan’s Will to Fight and Its Partisan Divide, Global Taiwan Institute (Washington DC), The Global Taiwan Brief, January 12, 2022, Volume 7, Issue 1. Online : https://globaltaiwan.org/2022/01/vol-7-issue-1/
19 Cf. notre post de blog du 14/1/2022: https://lesmotsdetaiwan.com/2022/01/14/le-renforcement-de-lidentite-taiwanaise-deepening-taiwanese-identity-1992-2021-letude-annuelle-de-luniversite-chengchi-juillet-2021/
20 « 2021 TFD Survey on Taiwanese View of Democratic Values and Governance » : sondage détaillé en mandarin, résumé en anglais : http://www.tfd.org.tw/opencms/english/events. La Taiwan Foundation for Democracy (TFD, 財團法人臺灣民主基金會) a été créée en 2003 à Taipei comme ONG non-partisane à but non lucratif, et travaille à la promotion des droits humains et de la démocratie, en particulier en Asie. Elle publie le Taiwan Journal of Democracy (TJD, bi-annuel), le Taiwan Democracy Quarterly (TDQ), et le rapport annuel China Human Rights Report. Cf. http://www.tfd.org.tw
21 Foresight Public Opinion Research Survey, « Taiwan Public Opinion Survey » . Nous ne disposons pas des données méthodologiques précises de ce sondage .Cf. FENG Shaoen, « 2022 年最新民心動向調查:(…) 逾半民眾無意上戰場 [Plus de la moitié du public n’a pas l’intention de faire la guerre] », GVM, 28/12/2021. Traduction: https://www-gvm-com-tw.translate.goog/TW .
22 Cf. notre post de blog du 13/1/2022: « En 2021-2022, une communauté internationale plus inquiète que les Taïwanais eux-mêmes du risque d’une invasion chinoise ? » : https://lesmotsdetaiwan.com/2022/01/13/en-2021-2022-une-communaute-internationale-plus-inquiete-que-les-taiwanais-eux-memes-du-risque-dune-invasion-chinoise/
23 Pékin comme Moscou partagent depuis longtemps une perception identique de l’Europe comme non-puissance inféodée aux Etats-Unis, et moquent depuis des années la décadence européenne et, plus largement, occidentale. La Chine a toujours joué, en particulier au plan économique, la carte de la division et de la concurrence des Etats européens.
24 Belt and Road Initiative. L’Initiative Ceinture et Route est, depuis 2017, le nouveau nom du programme de La nouvelle route de la soie (chinois : 丝绸之路经济带) ou One Belt One Road (chinois : 一带一路, OBOR), lancé en 2013: un ensemble d’infrastructures (mer/terre) à l’échelle transcontinentale reliant la Chine à l’Europe pour développer le commerce réciproque des matières premières minières, énergétiques et agricoles, et des produits manufacturés. C’est un des axes majeurs de la diplomatie globale de XI Jinping.

SOURCES PRINCIPALES (Classement chronologique)
BIERMAN Alex, The Nightmare Scenario: The PLA Invasion Threat & Taiwan’s Response, Alington (Virginia), Project 2049 Institute, December 6, 2018. Online: https://project2049.net/2018/12/06/nightmare-scenario-the-pla-invasion-threat-taiwans-response/
ELLIS Samson, Here’s What Could Happen If China Invaded Taiwan, Bloomberg.com, October 7, 2020, updated March 7, 2022. Online : https://www.bloomberg.com/news/features/2020-10-07/here-s-what-could-happen-if-china
PERON-DOISE Marianne, Le Quad, pilier de la stratégie indo-pacifique de l’administration Biden ? The Conversation, 21 avril 2021. Online :https://theconversation.com/le-quad-pilier-de-la-strategie-indo-pacifique-de-ladministration-biden-158966
BIDEN Joe, Interview by George Stephanopoulos, ABC News, 19/8/2021. Online: https://abcnews.go.com/Politics/full-transcript-abc-news-george-stephanopoulos
HELVEY David, Prepared Remarks, Upgrading US-Taiwan Relations for the 21st Century, Washington, DC, Global Taiwan Institute, September 14, 2017. Online: https://globaltaiwan.org/2017/09/GTI-Annual-Symposium.pdf (Principal Deputy Assistant Secretary of Defense for Asian and Pacific Security Affairs)
GROSSMAN Derek, Biden Administration Shows Unwavering Support for Taiwan, Washington DC, Rand Organization, 20/10/2021. Online: https://www.rand.org/blog/2021/10/biden-administration-shows-unwavering-support-for-taiwan.html
HAASS Ryan, Taiwan’s leaders need to coalesce around a defense concept, Washington D.C., Brookings, November 1, 2021.Online :https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2021/11/01/taiwans-leaders-need-to-coalesce-around-a-defense-concept/
HAASS Richard, SACKS Richard, The Growing Danger of U.S. Ambiguity on Taiwan. Biden Must Make America’s Commitment Clear to China—and the World, Foreign Affairs, December 13, 2021. Online : https://www.foreignaffairs.com/articles/china/2021-12-13/growing-danger-us-ambiguity-taiwan
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HSIAO Russel, New Opinion Polls Highlight Trends in Taiwan’s Will to Fight and Its Partisan Divide, Global Taiwan Institute (Washington DC),The Global Taiwan Brief, January 12, 2022, Volume 7, Issue 1. Online :https://globaltaiwan.org/2022/01/vol-7-issue-1/
SACKS David, Putin’s Aggression Against Ukraine Deals a Blow to China’s Hopes for Taiwan, Washington D.C., Council on Foreign Relations, February 23, 2022. Online : https://www.cfr.org/blog/putins-aggression-against-ukraine-deals-blow-chinas-hopes-taiwan
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Des orchidées taïwanaises aux couleurs de l’Ukraine, mars 2022