La formule « Un pays, deux systèmes » ( 一國兩制, «One country, two systems » ) est apparue au début des années 1980 (en Chine pour la première fois le 30 septembre 1981, dans un discours du (vieux) maréchal YE Jianying, qui exercait alors les fonctions honorifiques de chef de l’État ; et en 1983, semble-t-il, lors des négociations sino-britanniques sur la restitution de Hong Kong à la Chine) ; puis en 1997, lors de la rétrocession de Hong Kong, pour être appliquée à l’ex-colonie britannique jusqu’en 2047, et par extension à Macao (après la restitution en 1999) et à Taïwan (à une date évidemment non déterminée), trois entités placées par Pékin sous le statut de « Régions administratives spéciales » (RAS/SAR). Il s’agissait, en particulier, de rassurer les investisseurs étrangers, en laissant aux territoires concernés un statut économique capitaliste ouvert (différent donc de l’économie capitaliste-communiste contrôlée en Chine) , et un minimum d’autonomie administrative et en matière de libertés publiques et privées1.
« Notre politique consiste à appliquer le principe dit « un État, deux systèmes » ; pour parler plus précisément, cela signifie qu’au sein de la république populaire de Chine, le milliard et demi de Chinois habitant la partie continentale vit sous un régime socialiste, tandis que Hong Kong, Macao et Taïwan sont régis par un système capitaliste. Ces dernières années, la Chine s’est attachée à redresser les erreurs « de gauche » et a élaboré, dans tous les domaines, une politique qui tient compte des conditions réelles. Cinq ans et demi d’efforts ont porté des fruits. C’est précisément dans cette conjoncture que nous avons avancé la formule « un État, deux systèmes » pour régler le problème de Hong Kong et de Taïwan. » Deng Xiaoping, 1997 (la source chinoise reste à préciser).
Inscrit dans la Constitution de la République populaire au titre de ces RAS, et dans la Loi fondamentale de Hong Kong (Basic Law of Hong Kong), le principe est évidemment devenu politiquement caduc en 2020-2021, quand Pékin impose brutalement sa main-mise sur Hong Kong, à travers sa Loi sur la sécurité nationale (adoptée le 30 juin 20202). Pékin avait d’ailleurs annoncé la couleur : le 25 avril 2020, le chef du bureau de liaison du gouvernement chinois à Hongkong, WANG Zhenmin, avait ainsi déclaré que « Si les “deux systèmes” deviennent un moyen de contester le “un pays”, alors les raisons d’existence des “deux systèmes” disparaissent. » Carrie LAM, la cheffe de l’exécutif local et marionnette de Pékin, a donc obéi à ses maîtres en forçant l’adoption de la Loi sur la sécurité nationale et en laissant les forces de sécurité chinoises et une justice aux ordres réprimer sans garde-fous le mouvement démocratique qui s’était exprimé dès 2003, avant de se déployer lors des manifestations de 2014-2015, puis de 2019-2020.
Les événements de Hong Kong, suivis de très près à Taïwan (où se sont d’ailleurs réfugiés après 2020 un certain nombre d’activistes des droits démocratiques hongkongais qui ont pu échapper aux coups de filets de la police chinoise), ont sans doute pesé dans le résultat de l’élection présidentielle taïwanaise de 2020 : alors qu’elle était donnée en difficulté électorale après la débâcle de son parti aux élections locales de 2018, la présidente TSAI Ing-wen a été réélue avec une confortable avance. Au grand dam de Pékin, qui lui promettait pourtant de se retrouver très vite « dans les poubelles de l’Histoire », reprenant ainsi une vieille formule stalinienne …

NOTES
1 Etant entendu que, dans l’Etat dit de droit instauré par le colonisateur britannique à Hong Kong et légué à la Chine en 1997, on était loin de la démocratie de la métropole : si les libertés fondamentales étaient reconnues, il n’y avait pas de régime représentatif élu au suffrage universel.
2 A partir de 2002, on a discuté au parlement de Hong Kong (le LegCo, organe non élu au suffrage universel, et dans lequel Pékin est largement représenté par des notables locaux désignés par le parti communiste) de l’article 23 de la Loi fondamentale locale prévoyant « d’interdire tout acte de trahison, de sécession, de sédition ou de subversion contre le gouvernement central ». Les manifestations du 1er juillet 2003, qui ont réuni jusqu’à 500 000 personnes (soit 10 % de la population) contre ce projet législatif sur la sécurité ont entraîné la suspension du débat. Cet article 23 avait été ajouté au texte initial de la Loi fondamentale après les manifestations, puis le massacre, de la place Tien’anmen, en mai-juin 1989, qualifiés par Pékin « d’incidents », avant d’être effacés de tous les supports possibles (médias, internet, etc). Dans le totalitarisme historique et mémoriel chinois, il ne s’est donc rien passé sur la place Tien’anmen en 1989.

10e anniversaire du massacre de la place Tien’anmen à Pékin, devant le mémorial à Tchang Kaichek, Taipei, juin 2019
SOURCES
KECK Frédéric, « Hong Kong : la fin du principe « Un pays, deux systèmes », theconversation.com, 27 mai 2020. URL: https://theconversation.com/hong-kong-la-fin-du-principe-un-pays-deux-systemes-139280
MENGIN Françoise, « A Taïwan, la formule chinoise “un pays deux systèmes” est un repoussoir », tribune dans Le Monde, 7 janvier 2020. URL: https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/07/francoise-mengin-a-taiwan-la-formule-chinoise-un-pays-deux-systemes-est-un-repoussoir_6025004_3232.html


Manifestation de soutien aux démocrates de Hong Kong, Taipei, juin 2019