Documents 2011 – Barack Obama annonce le « pivot stratégique vers l’Asie », explicité par la secrétaire d’État Hillary Clinton.



Le 17 novembre 2011, à l’occasion d’une tournée en Asie-Pacifique, le président Barack Obama1 annonce devant le Parlement australien, à Canberra, un « pivot stratégique vers l’Asie » (« US strategic pivot to Asia ») , visant à « placer l’Asie au cœur de la politique américaine » : « Comme président, j’ai […] pris une décision délibérée et stratégique […]. En tant que nation du Pacifique, les Etats-Unis joueront un rôle plus important et à long terme dans le façonnement de cette région et de son avenir.[…] Alors que nous mettons fin aux guerres actuelles [au Moyen-Orient], j’ai demandé à mon équipe chargée de la sécurité nationale de faire de notre présence et de notre mission en Asie-Pacifique une priorité absolue.» 2

Un article concomitant de la secrétaire d’État Hillary Clinton dans Foreign Policy3 offre un exposé conséquent des motifs et des objectifs de ce « pivot asiatique »: maintenir le leadership de la puissance américaine dans une région asiatique au poids économique croissant (60% du PIB mondial, et les deux tiers de la croissance globale), face à une Chine qui se pose désormais en rival systémique des Etats-Unis, ambitionne de devenir la première puissance mondiale, et de prendre la tête d’un nouvel ordre global succédant à un hégémonisme occidental en déclin 4. Pour réagir à ce changement structurel dans l’ordre international, les Etats-Unis doivent réduire leur présence en Europe, s’extirper de la « fatigue moyen-orientale », et développer une nouvelle grande stratégie désormais centrée sur l’Asie-Pacifique5. En utilisant tous les outils classiques de la puissance diplomatique et militaire, économique et technologique.

La terminologie et le champ d’application de ce « pivot » ont évolué dans le courant de la décennie. Le terme de « pivot» est désormais moins utilisé que l’expression « rééquilibrage stratégique » (« rebalancing ») Et on est passé de « l’Asie-Pacifique » à «l’Indo-Pacifique » 6. Ce glissement terminologique vers l’Indo-Pacifique revient au Japon. En 2016, le Premier ministre japonais Shinzō Abe(2006-2007, puis 2012-2020, du parti libéral-démocrate, PLD, nationaliste conservateur)propose une doctrine de « l’Indo-Pacifique libre et ouvert » (Free and Open Indo-Pacific, FOIP). Elle est immédiatement reprise à son compte par le président Donald Trump7. Cette nouvelle formulation élargit la perspective géographique aux deux océans, et permet d’inclure plus d’Etats participants. Pour autant, d’un point de vue stratégique, la zone concernée face à la Chine correspond prioritairement à la chaîne d’îles du Pacifique occidental qui s’étend du Japon à l’Indonésie et à l’Australie.

Dans une perspective historique, on rappellera que l’intérêt porté à cette zone par les Etats-Unis n’est pas nouveau. La réflexion stratégique sur les îles du Pacifique occidental a émergé au début du XXe siècle, quand deux puissances principales y ont étendu leur emprise : les Etats-Unis (qui supplantent l’Espagne de Guam aux Philippines), et le Japon (qui colonise Formose, la Corée et le nord de la Chine). Elles entrent en confrontation entre 1941 et 1945. La victoire américaine dans la guerre du Pacifique, puis la Guerre froide, permettent aux Etats-Unis de devenir la première puissance mondiale. Et de mettre en place un système de containment du communisme continental en Asie, sous l’intitulé de « stratégie des chaînes d’îles (Island Chain Strategy) »8. Avec la fin de la guerre du Vietnam (1955-1975), Washington prend ses distances avec l’Asie du Sud-Est, tout en conservant ses alliances régionales. Un désengagement qui se poursuit avec la fin de la guerre froide, en 1991 : retrait des armes nucléaires tactiques de Corée du Sud ; fermeture de bases militaires aux Philippines.

Dès lors, le pivot vers l’Asie serait en fait un retour des Etats-Unis, un réengagement en réponse à une Chine qui inquiète d’abord par sa montée en puissance économique (mais les néo-libéraux ont initialement estimé que son intégration à l’économie mondiale, par exemple avec son entrée à l’OMC en 2001, sera un facteur de « normalisation » vertueuse de la Chine), puis par sa stratégie de puissance globale. On comprend pourquoi le terme Indo-Pacifique est à la fois évité et stigmatisé par la diplomatie chinoise, Pékin considérant que le nouveau schème stratégique n’est qu’une sémantique américaine anti-chinoise.

Deux documents sur le « pivot vers l’Asie-Pacifique » : Obama, et Clinton, 2011

The White House, « Remarks By President Obama to the Australian Parliament », Canberra, Australia, November 17, 2011. URL : https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2011/11/17/remarks-president-obama-australian-parliament


Hillary CLINTON, «America’s Pacific Century », Washington D.C., Foreign Policy no 189, nov. 2011, p.56-63. URL : https://foreignpolicy.com/2011/10/11/americas-pacific-century/


NOTES

1 Barack Obama « le président Pacifique », est né à Honolulu, Hawaï (en 1961) et a passé une partie de son enfance à Djakarta, en Indonésie (1967-1970).

2 Cf. The White House, « Remarks By President Obama to the Australian Parliament », Canberra, Australia, November 17, 2011. URL : https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2011/11/17/remarks-president-obama-australian-parliament

3 CLINTON Hillary, «America’s Pacific Century », Washington DC, Foreign Policyno 189, Nov. 2011, p.56-63 . URL : https://foreignpolicy.com/2011/10/11/americas-pacific-century/ . La notion est ultérieurement développée par l’adjoint de la secrétaire d’État en charge de l’Asie : CAMPBELL Kurt, The Pivot. The Future of American Statecraft in Asia, New York, 2016. Kurt Campbell a fait son apparition sur le devant de la scène diplomatique et politique pendant la présidence de Barack Obama, comme initiateur principal du « pivot vers l’Asie » de la politique étrangère des États-Unis. Personnalité incontournable sur la scène des think tanks de politique étrangère à Washington, fondateur d’une société de conseil, Kurt Campbell a sillonné la région Asie-Pacifique et en a retiré la conviction que les États-Unis devaient prendre davantage au sérieux les ambitions chinoises. En 2024, Campbell reste l’architecte de la politique chinoise du président Biden : sa nomination en novembre 2023 comme secrétaire d’État adjoint doit être confirmée par le Sénat. Il est considéré comme le représentant d’une ligne dure face à la Chine. Ce qui lui vaut, au-delà du camp démocrate, quelques sympathies chez les républicains. Quand au conseiller Chine du président, c’est Rush Doshi, membre du conseil de sécurité national (NSC), et analyste reconnu de la stratégie mondiale de la Chine : DOSHI Rush, The Long Game. China’s Grand Strategy to Displace American Order, Oxford University Press, 2021, 432p..

4 Depuis 2012, année de son arrivée au pouvoir, XI Jinping ne cesse d’affimer cette double volonté de faire de la Chine la première puissance mondiale, et de prendre la tête d’un nouvel ordre mondial. L’échéance ultime est fixée à 2049, centenaire de la République populaire, et souvent rappelé par XI. Tout en se défendant de toute volonté hégémonique. Un chapitre du Livre blanc de la défense 2019 est ainsi titré: « Ne jamais rechercher l’hégémonie, ne jamais s’étendre, ne jamais chercher une sphère d’influence » « Never Seeking Hegemony, Expansion or Spheres of Influence». Cf. « White Paper 2019 – China’s National Defense in the New Era », Pékin, 24/7/2019, 50p., p.7. URL: http://www.xinhuanet.com/english/2019-07/24/c_138253389.htm

5 L’expression est utilisée pour qualifier la politique étrangère globale des Etats-Unis. Cf. BLACKWILL Robert D., TELLIS Ashley J., Revising U.S. Grand Strategy Toward China, ‎ Washington, Council on Foreign Relations Press, 2015, 70p.

6 The White House, « Indo-Pacific Strategy of the United States », National Security Council, The White House, Washington D.C., February 2022, 19p. URL:https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2022/02/U.S.-Indo-Pacific-Strategy.pdf

7 PERON-DOISE Marianne, « L’Indo-Pacifique au coeur des mutations du système international », Diplomatie no 119, janvier-février 2023, p.63-65

8 Conçue en 1951 par le secrétaire d’État John Foster Dulles, la «stratégie des trois chaînes d’îles» vise à l’endiguement maritime de l’URSS et de la Chine. La «première chaîne» s’étend des Kouriles à l’archipel japonais, de Taïwan aux Philippines et Bornéo. La « deuxième chaîne » s’étend du Japon vers les îles Mariannes (dont Guam), les îles Caroline (dont Palau), jusqu’à la Nouvelle-Guinée. La « troisième chaîne » comprend les Aléoutiennes, l’archipel de Hawaï, les Samoa, les Fidji et la Nouvelle-Zélande. L’Australie est à cheval entre les deuxième et troisième chaînes. Selon le général MacArthur en 1951, « A partir de cette chaîne d’îles, nous pouvons dominer avec la puissance maritime et aérienne chaque port asiatique de Vladivostock à Singapour, et empêcher tout mouvement hostile dans le Pacifique ». Ce qui renvoie aux thèses du géopoliticien Nicholas Spykman (1893-1943) sur la nécessité pour les Etats-Unis de contrôler les franges maritimes de l’Eurasie, le Rimland. Cf. PERON-DOISE Marianne, «  L’Indo-Pacifique, une reconstruction régionale fondée sur l’affirmation du maritime dans les relations internationales et stratégiques asiatiques», in dossier : « Indo-Pacifique : Géopolitique d’un nouveau théâtre d’influence », Les Grands Dossiers de Diplomatie n°53, octobre-novembre 2019. URL : https://www.areion24.news/2020/01/02/lindo-pacifique-une-reconstruction-regionale-fondee-sur-laffirmation-du-maritime-dans-les-relations-internationales-et-strategiques-asiatiques/


A group photograph with the East Asia Summit Heads of States, in a Gala Dinner hosted by the President of Republic of Indonesia, Dr. H. Susilo Bambang Yudhoyono, on the sidelines of the 9th ASEAN-India Summit and the 6th East Asia Summit, in Bali, Indonesia on November 18, 2011.