1968 : Pendant la Révolution culturelle, « Toute la Chine est rouge ! ». Sauf Taïwan… Retour sur un sabotage idéologique et philatélique.


Pendant la décennie de « Révolution culturelle » en Chine (1966-1976) – vaste et sanglante opération politique lancée par MAO Tse-toung pour liquider ses adversaires au sein du Parti communiste, il était obligatoire de brandir et d’ânonner à tous propos les « Citations du Président Mao Tse-Toung » (毛主席语录), plus connu en Occident sous le titre de « Petit livre rouge ». Compilé à partir de 1964, plusieurs fois complété et révisé (entre autres en fonction des purges au sein de la direction du PCC – dont celle de LIN Piao en 1971), l’ouvrage du « Grand Timonier » (Mao), sans cesse brandi par les Gardes Rouges est, pendant des années, le symbole graphique le plus visible en Chine, plus omniprésent encore que les portraits de Mao lui-même.

Tous les artistes – au moins ceux qui n’ont pas disparu dans la furie destructrice de la Révolution culturelle, sont sollicités pour mettre le Petit livre en avant. Le graveur de timbres WAN Wei-sheng1 est alors requis en 1968 pour une série de vignettes philatéliques illustrant le slogan « Toute la Chine est rouge ! ». Le 23 novembre 1968, l’administration des Postes met donc en vente deux vignettes d’une valeur faciale de 8 fen, l’une verticale, l’autre horizontale. Au premier plan, un ouvrier en salopette brandit le Petit livre rouge, avec à ses côtés un soldat de l’APL, une ouvrière, et derrière lui une foule enthousiaste également munie du bréviaire maoïste, avec force drapeaux rouges et banderoles, et citations de Mao. Dominant le tout, une carte de la Chine populaire, marquée du slogan «Toute la Chine est rouge ! » .



Problème : « l’île rebelle » de Taïwan est restée en blanc ! Et ne ferait donc pas partie de la Grande Chine rouge, au contraire de la revendication permanente de Pékin depuis 1949… Ce qu’aurait immédiatement repéré un cartographe pékinois, qui en alerte les autorités. Comme le répétait le camarade Staline : « Il n’y a pas de problèmes techniques, il n’y a que des problèmes politiques ! ». Dans le contexte idéologique surchauffé de l’époque, l’émission de ces timbres ressort clairement donc du sabotage idéologique.

La légende veut que le Comité directeur militaire du Parti se soit réuni le jour même pour imposer le retrait immédiat de ces timbres à la vente, et la destruction expiatoire par le feu des exemplaires récupérés. On ne saura sans doute jamais si des acteurs de la chaîne d’émission du timbre ont été sanctionnés pour cette faute idéologique majeure. Il y a une décennie, de passage à Hong Kong, le graveur WAN Wei-sheng a raconté avoir craint pour sa vie pendant des années -alors même que la mise en couleur du timbre ne lui était pas imputable.


Le graveur WANG Wei-sheng pose devant le timbre fautif, à Hong Kong en 2009


Le Grand Timonier et le camarade Lin Piao, avant l’élimination de celui-ci en 1971…


De même que WANG Wei-sheng ne pouvait pas prévoir qu’un autre timbre de sa main serait lui aussi retiré en catastrophe de la vente : une vignette représentant MAO et son bras droit LIN Piao, le futur «traître» qui aurait « tenté un coup d’État » contre le Grand Timonier avant de périr malencontreusement le 13 septembre 1971 dans un « accident d’avion » en Mongolie, lors de sa « tentative de fuite vers l’URSS »2

Une chose est sûre : quelques exemplaires seulement de ces timbres fautifs ont été vendus et utilisés. Rescapés de la destruction, ils sont très recherchés par les collectionneurs (surtout en Chine), et atteignent des sommes impressionnantes lors des ventes aux enchères…

Notes

1 WANG (1932-) est un graveur de timbre reconnu en Chine. Un « Wan Weisheng Stamp Art Museum » a été inauguré en 2003 à Ganzhu (Fujian), sa ville natale. Cf quelques éléments biographiques : https://www.chinadaily.com.cn/life/2012-03/27/content_14922512.htm

2 Selon une autre version LIN Piao aurait projeté d’assassiner Mao. Une autre rumeur insistante voudrait que LIN Piao ait été exécuté pour avoir pris des contacts avec Taïwan, afin de préparer le retour au pouvoir du Kuomintang en Chine, en échange d’une importante position honorifique dans le nouveau régime. Ni Taipei, ni évidemment Pékin, n’ont jamais réagi à cette rumeur gênante.

Références bibliographiques sur la « Révolution culturelle »  (sélection)

LEYS Simon (alias de Pierre RYCKMANS), « Les Habits neufs du président Mao. Chronique de la « Révolution culturelle » », préfacé par René Viénet, Paris, Ed.Champ libre, collection « Bibliothèque asiatique», 1971, 314 p.

FABRE Guilhem (dir.) etalii, « Révo. cul. dans la Chine pop. Anthologie de la presse des Gardes rouges (mai 1966-janvier 1968) », Paris, Union générale d’éditions, Coll. 10/18, « Bibliothèque asiatique», Paris, 1974, 448 p.

L’une des sources philatéliques de ce post : https://oldbid.com/news/coins-stamps/china-most-valuable-and-rare-stamps/



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