A travers de violentes caricatures, la campagne anti-japonaise se développe en Chine, suite aux déclarations de la Première ministre Sanae Takaichi sur Taïwan.



La Première ministre japonaise Sanae Takaichi (PLD, droite nationaliste) a déclaré début novembre devant la Diète qu’une attaque chinoise contre Taïwan pourrait constituer « une menace pour la survie du Japon », justifiant dès lors une possible intervention militaire. Ce qui marque indubitablement une rupture avec la traditionnelle grande prudence de la diplomatie nipponne vis-à-vis de Pékin et sur le dossier de Taïwan. En général les politiciens japonais du PLD déclarent volontiers leur soutien marqué à Taïwan quand ils sont à Taipei, et oublient leurs déclarations dès qu’ils rentrent à Tokyo et qu’ils exercent des responsabilités gouvernementales. Mme Takaichi, qui s’est rendue à Taipei en avril 2025, est connue pour « parler cash » :  élue Première ministre, elle maintient à Tokyo les discours qu’elle a tenus à Taipei. Et qui ont littéralement déchainé Pékin – pouvoir politique, propagandistes, médias officiels, réseaux sociaux et blogs autorisés contre elle. Soit par des déclarations écrites et orales, soit à travers des campagnes de caricature d’une grande violence

Nous présentons ici un florilège de ces caricatures dans lesquelles nous retrouvons un élément de langage à l’évidence venu d’en haut : la dénonciation d’un retour du militarisme nippon, à l’heure où Pékin a fait de la commémoration du 80e anniversaire de « la victoire des Alliés antifascistes » sur le Japon un événement mondial, avec un gigantesque défilé militaire sur la place Tienanmen. Qui s’est tenu le 3 septembre 2025, « Jour de la Victoire de la guerre de résistance contre l’agression japonaise ». Une date à forte signification patriotique donc, à l’occasion de laquelle l’histoire de l’impérialisme japonais est convoquée : l’incident de Moukden en 1931 prétexte à l’invasion de la Mandchourie ; les massacres de Nankin en 1937 ; les expériences de guerre bactériologique de l‘Unité 731 à Harbin, etc. A quoi s’ajoutent les éléments plus récents de polémique sur le négationnisme et le révisionnisme historique japonais : visites officielles au sanctuaire shinto de Yasukuni ; révisionnisme des manuels scolaires ; négationnisme sur les massacres ou sur l’esclavage sexuel des « femmes de réconfort », etc. Le contentieux est donc lourd, et instrumentalisé quand besoin est par Pékin dans sa diplomatie bilatérale et régionale.

« Ecraser l’ennemi », « Couper la tête du serpent »…

L’une des affiches les plus violentes a été publiée le 13 novembre sur X/Twitter par le compte (privé) « 中国军号  / Chinese Military »[1]. Ce visuel généré par l’IA a immédiatement été relayé par nombre de médias et comptes officiels et officieux chinois[2], avant d’accéder à une diffusion internationale. Il a aussi connu quelques variantes[3], et souvent des légendages bilingues chinois-japonais.



Les traducteurs automatiques s’accordent majoritairement pour traduire les deux lignes du slogan de cette affiche par « Frapper violemment de front / Réduire en poussière sans hésitation !»  En réalité l’analyse sémantique des slogans des caricatures et des textes publiés officiels et officieux montre que le mot « front » est utilisé à la fois pour qualifier « l’agression de Takaichi [contre Taïwan et contre la Chine] », et une « riposte chinoise sans hésitation. » Donc un vocabulaire militaire classique de la rhétorique martiale chinoise, héritée de l’ère maoïste, et encore très utilisée dans la propagande actuelle.

Quant à l’iconographie du poing (variante : du pied) écrasant le monstre (chronologiquement, depuis les années 1930 : le militarisme japonais, puis l’impérialisme américain, puis le révisionnisme soviétique, sans oublier le traître Tchang Kai-chek à Formose), c’est un classique de l’iconographie chinoise du XXe siècle[4]. Qui a pu s’inspirer directement d’affiches soviétiques depuis les années 1920, en particulier dans la veine antifasciste et antiimpérialiste. Même fréquence iconographique pour la « tête du serpent » à écraser, prisée à l’époque maoïste (ou la tête du dragon, ou les tentacules de la pieuvre à couper). Iconographiquement parlant, on retrouve donc dans cette affiche des éléments de la propagande anti-japonaise des années 1930-1940, et de la propagande viriliste et militariste du maoïsme des années 1950-1960 contre les divers « tigres de papier » intérieurs et extérieurs – elle-même très inspirée par l’iconographie soviétique stalinienne.


Contre les Japonais, 1938; contre Tchang Kai-chek, 1958


Image datée du 16 novembre 2025


Une sélection de caricatures parues en novembre dans des médias chinois[5]





NOTES

[1] Rétroplanning de diffusion de cette affiche tel qu’analysé par Chat-GPT ce 1er décembre 2025, sous réserve d’informations plus précises.

[2] Y compris les comptes des ministères des Affaires étrangères et de la Défense.

[3] Agence SINA, « 迎头痛击”有多痛?日本该睁眼看清楚了!/ Quelle douleur cause une riposte frontale ? Le Japon ferait mieux de regarder la réalité en face ! » , Finance SINA, 16 novembre 2025. URL : https://finance.sina.com.cn/jjxw/2025-11-16/doc-infxquza7494197.shtml?utm_source=chatgpt.com

[4] On se reportera avec grand intérêt à la collection d’affiches chinoises des XXe-XXIe siècle du site : https://chineseposters.net/themes/index

[5] En particulier les très officiels Quotidien du Peuple, Xinghua, Global Times, etc.