Après la présidentielle à Taïwan, qui a envoyé des télégrammes de félicitations à William Lai?



Les élections présidentielle et législatives à Taïwan le 13 janvier 2024 ont été couverte par plus de 400 médias internationaux – un record jamais atteint, signe de l’attention internationale désormais portée au destin de l’île, et à ses enjeux régionaux et internationaux. Les résultats de ces élections présidentielle et législatives apparaissent, aux yeux de nombreuses capitales (et, en particulier, à Washington), comme assez équilibrés. William Lai (Lai Ching-te), du Parti démocrate progressiste (DPP) au pouvoir, a remporté la présidence avec 40,1 % des voix, et succèdera à la présidente Tsai Ing-wen le 20 mai prochain. Mais les deux autres candidats, Hou Yu-ih du Kuomintang (KMT) et Ko Wen-je du Parti populaire de Taiwan (TPP), qui prônent tous deux de meilleures relations avec le continent, ont obtenu ensemble environ 60 % des voix et contrôleront donc l’Assemblée, le Yuan législatif, à la présidence duquel a été élu, le 1er février, Han Kuo-yu, du Kuomintang.

Les réactions de Pékin n’ont pas tardé. William Lai n’aura droit à aucun état de grâce. Le nouvel élu est défini et dénoncé à longueur de déclarations et d’éditoriaux par Pékin comme un « sécessionniste obstiné », « un fauteur de trouble à tous les niveaux » (« a troublemaker through and through »), qui « va mener Taïwan à la guerre ». Des commentaires attendus, puisqu’ils ont quotidiennement été développés tout au long de la campagne électorale – sans convaincre visiblement l’électorat taïwanais. Lequel a reconduit le même parti à la présidence pour la troisième fois – un inédit dans l’histoire de la jeune démocratie taïwanaise.

Deux catégories de messages de félicitations à Taipei

Mais surtout, Pékin a exprimé « un fort mécontentement et une ferme opposition » à l’égard des messages de félicitations d’Etats étrangers, qui « interfèrent sérieusement avec les affaires intérieures de la Chine et violent le principe d’une seule Chine.1» A y regarder de plus près, deux types de messages ont été envoyés à Taipei par des Etats qui ne reconnaissent pas officiellement Taïwan puisque entretenant des relations diplomatiques avec Pékin. La majorité des messages se félicitent prudemment du bon déroulement du processus électoral et du bon fonctionnement de la démocratie taïwanaise. Sans nommer le nouvel élu William Lai. La deuxième catégorie félicitent nommément le nouvel élu, déchaînant la vindicte de Pékin, dont les commentaires ont été particulièrement acerbes contre le Japon, les Philippines, Singapour et l’Australie2. Soit les alliés les plus proches de Washington, fortement engagés ces dernières années dans la construction d’un « Indo-Pacifique libre et ouvert » visant au containment de la Chine. On relèvera également les « chaudes félicitations » du Dalaï Lama à William Lai, qui rappelle pour l’occasion sa visite à Taïwan en août 2009, dénoncée par Pékin. L’Inde a félicité le président Lai et les nouveaux élus, et s’est réjouie de « la démocratie en action à Taïwan ». Le président philippin Ferdinand Marcos Jr. a à la fois félicité « le prochain président de Taïwan » William LAI et promis de « [renforcer] les intérêts mutuels » avec Taïwan. De fait, il est sans précédent qu’un président philippin adresse ses félicitations publiques au président élu de Taïwan3. Les ambassadeurs chinois dans les capitales concernées ont répercuté dans les médias locaux et auprès des ministères des Affaires étrangères les condamnations de Pékin. Et les ambassadeurs des pays concernés à Pékin – en particulier le Japon et les Philippines- ont été convoqués par le ministère chinois des Affaires étrangères pour s’y voir remettre des notes de protestation après avoir été admonestés. La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Mao Ning a ainsi sommé les Philippines de « ne pas jouer avec le feu » sur la question de Taïwan4.

La prudence des Etats européens et de l’UE, à quelques exceptions près

Les Etats européens et l’UE se sont prudemment contentés de messages de félicitations pour le bon déroulement démocratique de la campagne électorale et de la journée de scrutin 5. La plupart des États de l’UE (25 sur 27) et 200 personnalités environ ont suivi la pratique établie depuis des années consistant à féliciter l’électorat taïwanais et les institutions de l’île sans nommer le nouveau président élu : c’est le cas, par exemple, de l’Allemagne, de la France ou des Pays-Bas. Il y ont en général ajouté leur « soutien à la paix et à la stabilité dans le détroit de Taïwan ». Certains ont estimé nécessaire de réitérer leur adhésion à « la politique d’une seule Chine »6.


La présidente Tsai aux couleurs tchèques, 2022


Deux exceptions dans ce panorama prudent, pour ne pas dire timoré : les félicitations du président tchèque et du ministre lituanien des Affaires étrangères. Le président tchèque Petr Pavel (9 mars 2023-) a été le premier chef d’État européen à féliciter Lai Ching-te pour son élection. Il s’inscrit là dans la continuité de ses prises de positions depuis un an, favorables à Taipei, et critiques de Pékin. Les relations tchéco-taïwanaises peuvent être considérées comme particulièrement denses politiquement – sans pour autant que Prague ait rompu pour autant avec Pékin. Les présidents des commissions baltes des Affaires étrangères et le ministre lituanien des Affaires étrangères ont également félicité le nouveau président Lai. Peu de temps après, la délégation lituanienne, conduite par le président du groupe d’amitié taïwanais du Parlement lituanien, a effectué le 21 janvier une visite de six jours à Taïwan, où elle a rencontré la présidente sortante Tsai Ing-wen, le président élu Lai Ching-te, le ministre des Affaires étrangères Joseph Wu (bien connu en Europe centrale pour ses tournées récentes) et le président sortant du Yuan législatif.

A peine quarante-huit heures après l’élection de William Lai, Pékin a triomphalement annoncé l’établissement de relations diplomatiques entre Nauru et Pékin, et donc la rupture de la mini-république de Micronésie dans le Pacifique (21km2, 12000 habitants) avec Taipei. Le gouvernement de Nauru a déclaré que «dans l’intérêt supérieur» du pays et de son peuple, il cherchait à rétablir pleinement ces liens diplomatiques avec la deuxième économie de la planète. Avant d’endosser les éléments de langage du régime de Xi Jinping : Nauru ne reconnaîtra plus Taïwan «comme un pays distinct», mais «comme une partie inaliénable du territoire chinois». Au 15 janvier 2024, il ne reste donc plus que 12 Etats qui entretiennent des relations diplomatiques avec Taïwan. Cette rupture est évidemment une mesure de coercition de la part de Pékin contre le nouveau président William Lai. Et une (très) modeste victoire de Pékin dans sa politique d’attrition diplomatique de Taipei.

NOTES

1 Le « principe de la Chine unique » est imposé par la Chine à tout Etat qui entend entretenir des relations diplomatiques avec Pékin. Il suppose de ne pas entretenir de relations diplomatiques avec Taipei, et de relever que «Taïwan est une partie inaliénable du territoire de la République populaire de Chine». La plupart des pays occidentaux (dont les Etats-Unis, ou le Japon) , « reconnaissent », mais « n’approuvent pas (« aknowledge, but do not endorse » ou: « do not recognise ») » la position de la RPC sur Taïwan, ce qui implique qu’ils « ne soutiennent, ni ne rejettent (« neither support nor reject », ou: « nor oppose ») » la souveraineté de la Chine sur Taïwan. Ils considèrent donc majoritairement le statut politique de Taïwan comme « indéterminé (undetermined). »

2 HARAKAWA Takao, « Congratulations to Taiwan as Foreign Minister Seeks More Nongovernment Exchanges », Japan Forward, January 17, 2024. URL: https://japan-forward.com/congratulations-to-taiwan-as-foreign-minister-seeks-more-nongovernment-exchanges/. His Holiness the Dalai Lama, « Congratulating Lai Ching-te, President-Elect, Taiwan », BDL Media, January 14, 2024. URL: https://tibetbureau.in/congratulating-lai-ching-te-president-elect-taiwan/ ; CNA, « New Delhi envoy congratulates Taiwan’s new leaders on Republic Day », Focus Taiwan, January 22, 2024 . URL: https://focustaiwan.tw/culture/202401220019

3BONNET François-Xavier, « Les Philippines et la Chine : de l’euphorie aux tensions » in dossier: Mer de Chine : poudrière internationale, Diplomatie no 124, novembre-décembre 2023, p.43-44.

4 HUYNH Tam Sang, « Time to bolster Taipei-Manila ties », Taipei Times, Jan 28, 2024. URL: https://www.taipeitimes.com/News/editorials/archives/2024/01/28/2003812720

5 CEIAS, « European reactions to Taiwan elections », CEEasia Briefing no 49, 2/2024. URL: https://mail.google.com/mail/u/0/#inbox/FMfcgzGxRdthwvNdwmtcQHmjQXjMrWJD

6 Cf. LE CORRE Philippe, « The “Rebirth” of Europe-Taiwan Relations: Explaining Europe’s New Balance Between Beijing and Taipei », asiasociety.org, January 2024. URL: https://asiasociety.org/policy-institute/rebirth-europe-taiwan-relations-explaining-europes-new-balance-between-beijing-and-taipei ; et : DANJOU François, «  Chine-UE. Misère de l’Europe puissance, rapports de forces et faux-semblants », Question Chine, 15/12/2023. URL : https://www.questionchine.net/chine-ue-misere-de-l-europe-puissance-rapports-de-forces-et-faux-semblants


Le postulat de Pékin la veille des élections à Taïwan