Elements de bilan de 8 ans de « New Southbound Policy » de Taipei, après l’élection de William Lai.


Les premiers projets de la NSP en 2017 selon Taipei


L’attention légitimement portée aux « relations entre les deux rives » [du détroit de Taïwan] ne doit pas faire omettre les stratégies de Taïwan en réponse aux provocations verbales et militaires de Pékin. Le « maintien du statu quo », érigé en principe de survie à Taipei et défendu par ses soutiens internationaux, et la volonté de contrer le rétrécissement de l’espace diplomatique international de Taïwan par la Chine, passent aussi par des efforts de sensibilisation diplomatique extérieure, régionale et globale. La New Southbound Policy (NSP, Nouvelle politique vers le Sud), lancée en 2016, en est un bon exemple. Le « Forum Yushan, dialogue asiatique pour l’innovation et le progrès », réunit chaque année à Taipei des représentants des pays concernés par le NSP. Sa 7e édition s’est tenue à Taipei 11-12 octobre 2023, en plein campagne électorale pour la présidentielle du 13 janvier 2024. L’occasion de faire le point sur la NSP, alors que le nouveau président William LAI sera investi le 20 mai prochain.

Réduire la dépendance économique à la Chine

La New Southbound Policy est une initiative régionale à la fois économique et diplomatique, lancée en septembre 2016 par la présidente TSAI Ing-wen, élue depuis peu, avec comme mot d’ordre à partir de 2018 : «Taiwan helps Asia, and Asia helps Taiwan » . En réalité, le projet dépasse la seule Asie du sud et du sud-est, puisqu’au-delà de 16 pays asiatiques, elle s’étend également à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande.



La NSP entend réduire la dépendance économique de Taïwan à la Chine continentale en diversifiant la chaîne d’approvisionnement et la chaîne de valeur. Malgré les efforts de diversification, Taïwan est toujours dans une forte dépendance économique à la Chine. Certains critiques estiment donc que la Southbound Policy n’a pas réussi à rompre suffisamment avec cette dépendance. Néanmoins, en 2022, les investissements en Asie du Sud-Est ont, pour la première fois, dépassé les investissements en Chine continentale. Lors du Forum Yushani des 11-12 octobre 2023, la présidente TSAI a souligné que : « Les échanges commerciaux entre Taïwan et les pays visés par la “Nouvelle politique du sud ” du gouvernement ont atteint les 180 milliards de dollars américains, ce qui représente une augmentation de 88 % par rapport à 2016. Les exportations de Taïwan vers ces pays s’élèvent à 96,9 milliards de dollars américains, soit 64 % de plus par rapport à 2016. Il s’agit dans les deux cas de montants sans précédent. »1 

L’autre objectif de la NSP est de trouver de nouveaux appuis politiques auprès des Etats de la région, dans le cadre de relations bilatérales nécessairement non officielles, tous les interlocuteurs visés ayant adhéré au « principe d’une seule Chine ». En développant des liens économiques solides, et des échanges plus culturels (universitaires en particulier ; mais aussi touristiques et culturels) avec les pays ciblés, la NSP vise à renforcer la position de Taïwan sur la scène régionale. Pendant la pandémie de covid-19, Taipei a pratiqué une « diplomatie médicale » mettant en avant l’exemplarité de sa politique comparée à l’impéritie et aux mensonges chinois ; et entrepris de réorienter certains flux d’approvisionnement industriels. Taïwan a lancé une campagne de promotion des vins australiens quand ceux-ci ont fait l’objet d’une augmentation des droits de douanes de 200 % par la Chine (mars 2021 ; campagne « Freedom Wine »). Mécontente de l’élection de LAI Ching-te le 13 janvier 2024, la Chine pourrait sortir de l’accord-cadre de coopération économique de 2010 (signés sous la présidence de MA Ying-jeoun –Kuomintang, et pro-Pékin notoire), bloquant ainsi l’entrée en franchise de droits de plusieurs centaines de catégories de produits taïwanais. On peut donc penser que LAI suivra les traces de TSAI et encouragera les entreprises taïwanaises à se diversifier davantage géographiquement, à accroître leurs investissements et leurs exportations vers l’Asie du Sud et du Sud-Est, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, au-delà de la Chine continentale.


La présidente Tsai au Forum Yushan d’octobre 2023


Les limites repérables à la New Southbound Policy

La limite évidente de la NSP se trouve à Pékin,avec les très importantes capacités de représailles économiques dont dispose la Chine à l’égard des pays dont les relations avec Taïwan lui déplairaient. Nombre de pays asiatiques sont donc réticents à s’engager ouvertement avec Taïwan, inquiets des possibles réactions chinoises. Pour certains pays, la coopération avec Taïwan dépasse cependant le seul facteur chinois – c’est le cas pour l’Inde, qui en a évidemment les moyens économiques et militaires, ou encore de la Malaisie, à la différence de pays sous dépendance économique et de proximité à Pékin (la Birmanie ou le Laos, par exemple). Et l’on peut relever que les visites à Taipei soit de parlementaires, soit d’anciens dirigeants politiques (dont des anciens Premiers ministres australiens) se sont multipliées ces dernières années, à l’image de ce que pratiquent les pays occidentaux. On mentionnera cependant une limite peu relevée à la NSP à Taïwan même : alors que les liens et les connaissances sont intenses entre Taïwan et l’Occident (Etats-Unis et Royaume-Uni, en particulier, où nombre de Taïwanais-e-s ont réalisé leur doctorat), il y a un déficit notoire de compétences taïwanaises sur l’Asie du sud hors la Chine – par exemple sur le sous-continent indien. Or, il est évident que dans certains domaines scientifiques et technologiques (informatique, semi-conducteurs), les synergies pourraient être plus importantes entre les deux pays.

On notera que cette même année 2016 d’inauguration de la NSP le Japon a proposé sa stratégie « d’Indo-Pacifique libre et ouvert » (FOIP). A des fins opérationnelles, le Département des affaires de l’Asie de l’Est et du Pacifique du ministère des Affaires étrangères a créé une Section des affaires indo-pacifiques, pour développer la coopération avec le Japon, les États-Unis et l’Australie, acteurs principaux du FOIP. La NSP s’inscrit dans les efforts de Taipei pour desserrer son isolement diplomatique, en cherchant à accéder aux très nombreuses instances multilatérales régionales qui se superposent en Indo-Pacifique2 : l’ASEAN ; la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC, 1989) ; l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (CPTPP, 2018) ; le Cadre économique indo-pacifique pour la prospérité (IPEF, 2022), etc. Taipei essaie d’y devenir pays observateur, à défaut de pouvoir être membre titulaire. A l’inverse, la Chine, présente dans ces mêmes instances (APEC), ou y postulant en même temps que Taïwan (CPTPP), s’emploie à bloquer les candidatures de Taipei, qui sont parfois soutenues par Washington (IPEF).

NOTES

1 Cf. https://fr.rti.org.tw/news/view/id/99406

2 Lors du Forum Yushan 2020, la présidente taïwanaise TSAI Ing-wen a souligné que « la nouvelle politique vers le Sud constitue la stratégie régionale de Taiwan pour l’Asie. Ses objectifs et ses idéaux coïncident avec ceux de la Perspective de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) sur l’Indo-Pacifique et la politique Act East de l’Inde ».