Pendant que se poursuivent les tractations entre bleus (Kuomintang, candidat HOU) et blancs (TPP, candidat KO), que devient la candidature de l’ex-PDG de Foxconn, Terry GOU ? Elle a été à plusieurs reprises annoncée, puis suspendue : car GOU a d’abord demandé l’investiture du Kuomintang, ce qui lui a été refusé; puis il a déclaré vouloir soutenir le candidat désigné du KMT, HOU, avant de n’en rien faire. Car GOU a annoncé officiellement sa candidature le 28 août dernier, annonce qui a surpris les observateurs et semblé devoir diviser plus encore le camp bleu, alors même que la campagne du candidat désigné s’enlisait rapidement 1. Désormais, Terry GOU affirme avoir rassemblé un million de signatures, largement au-delà des 290 000 signatures requises pour se présenter comme candidat indépendant 2.
Les sondages d’octobre ne lui laissent que peu de chances face aux trois candidats principaux. Mais sa présence complexifie quelque peu la course à la présidence. Car elle semble bénéficier potentiellement au candidat du parti sortant (DPP, vert), le vice-président LAI Ching-te. Fort de ses relations personnelles et avec Donald Trump, et avec XI Jinping, GOU s’est présenté, dans un texte de juillet 2023, comme porteur d’un projet de changement profond des relations entre les deux rives du détroit, en respectant clairement le principe d’« une seule Chine » pour rétablir de bonnes relations avec Pékin. En cela, il peut rassurer une partie des électeurs, qui tiennent au maintien de la paix, mais aussi en mécontenter d’autres, qui ne tiennent pas à un retour à des relations étroites avec Pékin au détriment de l’autonomie acquise ces dernières années – et peut-être aussi des relations privilégiées avec Washington3.
On sait, d’autre part, que la « politique sociale » brutale que pratique GOU dans ses immenses usines asiatiques, en particulier en Chine, nuit à sa candidature. Ce que ne compense à l’évidence pas son choix de l’actrice de télévision Tammy LAI(賴佩霞 : elle n’a pas de lien de parenté avec LAI Ching-te ) sur son ticket présidentiel : née en 1963, elle est certes connue, surtout auprès des jeunes, pour avoir été candidate à la présidentielle dans la série Netflix de 2023 « Wave Makers », mais elle est handicapée par une renonciation à sa citoyenneté américaine qui est apparue de simple opportunité. Et par son manque total d’expérience politique (comme GOU, d’ailleurs). Le milliardaire-candidat, dont on ne savait pas qu’il se préoccupait de ce sujet dans ses usines, l’a présentée comme pouvant « contribuer à favoriser une culture plus équitable et plus équilibrée entre les sexes à Taiwan »…

Tammy LAI, sur le ticket de GOU
Si l’on revient aux positionnements de GOU sur les relations avec le Continent, on peut estimer qu’elles ne sont pas très éloignées de celles de deux autres candidats : HOU You-yi (Kuomintang, bleu), et KO Wen-je (TPP, blanc). Ce qui n’arrange pas du tout Pékin, qui fait tout pour empêcher l’élection de LAI Ching-te (DPP, vert), présenté comme un indépendantiste historique, « sécesionniste » selon le qualificatif chinois. Et c’est sous cet angle qu’il faut comprendre l’ouverture récemment annoncée à Pékin de contrôles fiscaux dans les entreprises de GOU en Chine: « des enquêtes coordonnées entre plusieurs ministères et plusieurs provinces » selon le quotidien nationaliste chinois Global Times. Le crime est signé. Personne n’est dupe du sens de cette opération : la Chine exprime ainsi sa réprobation face à la candidature de GOU, qui affaiblit celle du candidat du KMT.
GOU va-t-il maintenir sa candidature ? Va-t-il se désister au profit de l’un ou l’autre des deux candidats HOU et KO – et peut-être plus de HOU que de KO? Dans cette hypothèse, il apparaitrait comme un « faiseur de roi », qui, à la grande satisfaction de Pékin, aurait bloqué les chances de LAI, la bête noire de Pékin, de l’emporter le 13 janvier. Et GOU pourrait obtenir des contreparties (un poste ministériel) à son ralliement à un des deux candidats. En attendant, il fait campagne sous le mot d’ordre « Good Timing » (GT), en jouant sur les qualités phonétiques de son nom chinois (GOU – GOOD).
Les candidats à la présidentielle doivent se déclarer auprès de la Commission électorale centrale entre le 20 et le 24 novembre. On saura alors si Terry GOU maintient, ou pas, sa candidature. Et, si non, quelles promesses il a obtenu des candidats HOU et KO…

NOTES
1 HIOE Brian, « Terry Gou Announces Presidential Run, Potentially Further Splitting the Pan-Blue Camp », New Bloom Magazine, August 28, 2023. URL : https://newbloommag.net/2023/08/28/terry-gou-run/
2 Les candidats indépendants sont rares dans la courte histoire de la démocratie taïwanaise, et aucun n’a gagné une présidentielle. On notera qu’une campagne (intéressée?) se développe sur les réseaux sociaux mettant en doute la validité de ce million de signatures, et insinuant des accusations de corruption.
3 WENG Dennis LC., JETER Jarad, « How Foxconn founder Terry Gou’s candidacy is affecting Taiwan’s political landscape », East Asia Forum, 13 November 2023. URL: https://www.eastasiaforum.org/2023/11/13/how-foxconn-founder-terry-gous-candidacy-is-affecting-taiwans-political-landscape/