Y-a-t-il une perception de la Chine propre à chaque Etat d’Europe centrale et orientale ? : une enquête du Council on Geostrategy (Londres)


Au même moment que l’enquête de l’European Council on Foreign Relations (ECFR) dont nous rendons également compte sur ce blog1, le Council on Geostrategy (Londres) publie une enquête thématiquement proche (la perception de la Chine, et des relations à entretenir avec Pékin), mais plus spécifiquement focalisée sur 9 pays d’Europe centrale et européenne. Elle a été réalisée fin 2022-début 2023 en Autriche, Bulgarie, République tchèque, Croatie, Hongrie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Slovénie. La forme peut déconcerter : l’approche pays par pays occupe l’essentiel du rapport, au détriment peut-être d’une vision synthétique transversale. Le panel interrogé est composé de « politiciens », essentiellement des parlementaires, et de représentants des partis politiques – ce qui ne rend d’ailleurs pas le propos très lisible quand on entre dans la « cuisine » partidaire locale. Ce n’est donc pas principalement une enquête auprès des opinions publiques comme l’enquête de l’ECFR. On relèvera également que la lecture des résultats se fait explicitement dans la perspective des intérêts britanniques et atlantiques.



Si la République populaire de Chine (RPC) sous Xi Jinping est encore un partenaire économique relativement important, elle est aussi de plus en plus un « concurrent systémique » ou « rival systémique ». Les différents pays continuent donc à entretenir des échanges économiques indispensables avec la Chine (échanges qui ont inégalement augmenté avec le projet de la Belt and Road Initiative, BRI, et la structure 16+1, mis en place en 2012-2013), mais commencent, pour plusieurs d’entre eux, à réévaluer leurs relations économiques et politiques avec Pékin. Dans tous les pays d’Europe centrale et orientale (par ailleurs membres de l’OTAN, à l’exception de l’Autriche), les perceptions publiques de la RPC ont évolué sous l’impact de différents éléments, en particulier la gestion par Pékin de la pandémie de covid-19 ; et l’attitude de Pékin dans la guerre en Ukraine, qui se traduit par un soutien politique et diplomatique explicite à la Russie. Cette évolution est principalement lisible auprès des parlementaires nationaux et européens, les gouvernements restants liés par le « principe de la Chine unique ». La prise de conscience des ingérences de Pékin est inégalement partagée dans les différents pays.

Les perceptions (évolutives) de la Chine par chaque Etat



La position de l’Autriche (non membre de l’OTAN) repose pour le moment sur un consensus tacite entre les partis sur la nécessité de préserver des relations amicales avec Pékin. Le sujet apparaît peu débattu dans les médias, dans l’opinion publique et parmi les élus, au moins jusqu’au conflit en Ukraine. Globalement cependant, l’image de la Chine se dégrade, pour les mêmes raisons que partout ailleurs en Europe, ou presque.

En République tchèque en revanche, les perceptions politiques de la RPC dans la décennie sont passées de plutôt positives à de plus en plus critiques. Le président Milos Zeman (2013-2023) a mené une politique nettement pro-chinoise, mais l’opposition est arrivée au pouvoir en 2021 (législatives) et 2023 (présidentielle), ce qui se traduit par une nette inflexion critique de la Chine et une ouverture politique vers Taïwan, illustrée par des visites parlementaires spectaculaires à Taipei. En 2022, 56 % des Tchèques ont une perception négative de la Chine, et ce pourcentage augmente progressivement, sans que le débat public soit réellement intense. Pour des raisons objectives (insuffisance des investissements chinois), mais surtout politiques et idéologiques : la guerre en Ukraine et le changement de président de 2023 ( élection de Petr Pavel, ancien général de l’OTAN) affectent clairement les relations avec la RPC, au profit d’engagements croissants avec Taïwan.

Les relations avec la RPC sont peu abordées dans le discours politique slovaque. L’opinion publique avait en 2020 une perception plus négative des Etats-Unis que de la Chine, mais le contexte géopolitique a évolué depuis. Les relations avec Pékin sont suceptibles d’évoluer en cas de changement de majorité parlementaire. Dans une certaine mesure comme en Tchéquie, les bénéfices économiques réciproques sont jugés insuffisants, et la position de Bratislava est devenue de plus en plus critique avec les gouvernements pro-européens et la guerre en Ukraine.

La Pologne entend maintenir des échanges économiques importants avec Pékin. Toutefois, Varsovie a réagi fermement au refus de la RPC de condamner la guerre de la Russie contre l’Ukraine. Varsovie, très proche de Washington, critique également Pékin sur d’autres dossiers : droits humains ; implication de Huawei dans la construction du réseau 5G en Pologne. Atlantistes, très pro-Américains, la majorité des parlementaires polonais sont assez actifs contre les influences et ingérences chinoises.

La Croatie est politiquement très alignée sur les positions de ses principaux partenaires (l’UE, le Royaume-Uni, et les États-Unis). Elle n’a donc guère de velléités particulières de se rapprocher de la Chine, avec laquelle les échanges restent limités. 56 % des Croates ont une « vision négative » de la Chine, pour une moyenne européenne de 70 %

La présence économique de la RPC en Slovénie est réduite, et la relation bilatérale peu active : le marché slovène est limité vu de Pékin Les gouvernements de droite sont de plus en plus critiques : ils ont adhéré aux résolutions américaines anti-Huawei sur l’installation de la 5G par la Chine.

En Hongrie, les questions relatives à la RPC sont loin de dominer le discours public ou parlementaire. Les considérations économiques sont premières. Les Hongrois semblent avoir apprécié l’aide médicale offerte par Pékin lors de la pandémie de covid-19. Sur le sujet de la Chine comme sur celui des relations avec la Russie (Ukraine) et l’OTAN (candidature de la Suède), le premier ministre Orban peut être qualifié de plutôt « pro-chinois », par souci permanent de se démarquer de Bruxelles et de Washington.

La Roumanie, qui avait autrefois entretenu des relations spécifiques avec Pékin au sein du « bloc soviétique », a sans doute espéré beaucoup du programme 16+1, mais le poids de l’UE et l’Ukraine ont limité les engagements bilatéraux. Et des critiques se sont faites jour des activités chinoises dans le pays, par exemple à travers les Instituts Confucius liés aux universités roumaines. Mais globalement, le débat est très limité sur les relations avec Pékin. Toutefois, la guerre en Ukraine, dans laquelle la Roumanie se trouve impliquée par sa proximité géographique et le fort engagement de l’OTAN sur son sol, a fortement dégradé l’image de la Chine, soutien de Moscou.

Si certains partis bulgares affichent une affinité pour la RPC, c’est essentiellement dans l’objectif du développement économique de la Bulgarie. Mais les résultats attendus depuis une décennie ne se sont guère concrétisés, et Sofia dépend en réalité beaucoup plus des orientations de la commission européenne. Les Bulgares apparaissent comme les plus « sinophiles » des Européens, avec une perception positive de la Chine à 50 %, contre 22% en moyenne européenne. Il n’y a pas de débat public sur les activités chinoises dans le pays.



Quelques conclusions

Le rapport conclue à des évolutions générales, et au maintien de spécificités nationales :

– les relations avec la Chine sont loin d’être centrales dans le débat politique  – mais la guerre en Ukraine avec un positionnement pro-russe de Pékin pèse désormais sur la perception de la Chine depuis 18 mois;

– globalement, l’image de la Chine s’est dégradée ces trois dernières années, avec comme facteurs principaux : les droits humains ; le covid-19 et surtout l’Ukraine ;

– il est portée une attention accrue aux possibles ingérences chinoises (espionnage, désinformation, influence, Huawei-5G) ;

– les différences nationales s’accentuent, entre des pays de plus en plus critiques (Tchéquie, Pologne, Slovaquie – auxquels il faut évidemment ajouter les Etats baltes, en particulier la Lituanie) ; des pays peu concernés (Croatie, Slovénie) et des pays qui restent plutôt plus proches de Pékin, sans en retirer autant de bénéfices économiques qu’escomptés (Hongrie, Roumanie, Bulgarie).

NOTES & REFERENCES

1 Cf. https://lesmotsdetaiwan.com/2023/06/06/soutenir-washington-en-cas-de-conflit-a-taiwan-les-relations-avec-la-chine-et-les-etats-unis-mesurees-dans-lue-en-avril-2023-par-leuropean-council-on-foreign-relations-ecfr/

> La source : TRIGLAVCANIN Patrick (ed.), « The People’s Republic of China: Political perceptions in Central Europe », London, Council on Geostrategy, Study GPS01, June 2023, 129p. URL : https://www.geostrategy.org.uk/app/uploads/2023/06/GPSO1.pdf. Tous les tableaux © sont tirés de cette étude.