Le ministère taïwanais de la Défense nationale (MoND-ROC) tient, sur son fil twitter1, un décompte quotidien des incursions de l’Armée populaire de libération chinoise (APL – aviation et marine) dans sa zone d’identification aérienne (ADIZ), et des franchissements de la ligne médiane du détroit de Taïwan (la frontière non-officielle entre la Chine et Taïwan, tracée par les Américains au milieu des années 1950). Ces incursions et franchissements sont cartographiés. Le ministère japonais de la Défense fait de même pour les zones qui concernent Tokyo et, en particulier l’archipel Nansei (ou des Ryu Kyu)2. Ces cartes quotidiennes peuvent être superposées et synthétisées à différentes échéances. C’est ce qui a été fait pour la période du 1er mars 2022 au 27 mars 20233 – marquée et par l’invasion russe en Ukraine à partir du 24 février 2022, et par la « quatrième crise du détroit de Taïwan » en août 2022, à la suite de la visite de Nancy Pelosi à Taipei.


Bulletins quotidiens des ministères de la Défense taïwanais et japonais, 2023
Pour s’en tenir à l’aviation, selon les données collationnées par Taipei et Tokyo pour la période considérée, 1 872 avions chinois ont pénétré dans l’ADIZ lors de 894 opérations. Parmi ceux-ci, presque la moitié (718 avions sur 1872) ont systématiquement franchi cette ligne médiane. On y ajoutera les trajectoires plus complexes d’au moins 171 drones à longue portée (UAV), qui ont franchi les détroits japonais pour prendre Taïwan à revers sur son versant Pacifique.

Outre la très forte augmentation aérienne et navale de l’activité de l’APL dans cette période par rapport aux années antérieures, la synthèse cartographique permet de relever l’intense activité dans le canal de Bashi, entre Taïwan et les Philippines (qui permet le transit entre la mer de Chine méridionale et le Pacifique). Et, plus encore, le caractère systématique du franchissement de la ligne médiane dans le détroit à partir du mois d’août 2022. Ce systématisme est une nouveauté par rapport aux manœuvres opérées antérieurement, qui longeaient cette ligne médiane et se concentraient souvent autour de l’atoll de Pratas, contrôlé par Taipei en mer de Chine méridionale.

Visuellement, les tracés cumulés donnent l’impression de vouloir en quelque sorte « gommer » cette frontière théorique. Dans les scénarios anglo-américains récents de « la guerre à venir » (« the war to come »), l’une des hypothèses retenues est que Pékin pourrait entreprendre (ou : a déjà commencé) une opération de saturation quotidienne des espaces aériens et navals autour de Taïwan, pour créer une forme de fait accompli d’encerclement et d’annexion de l’île, sans aller jusqu’à une guerre ouverte. Ladite saturation ne fournissant effectivement pas (sauf incident majeur imprévu et dégénérant en affrontement) d’accroche suffisamment sérieuse pour justifier militairement ou juridiquement d’engager une intervention militaire en défense de Taïwan.
NOTES
1 https://twitter.com/MoNDefense?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor
2 https://twitter.com/ModJapan_en?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor
3 KADIDAL Akhil, « Strange patterns: Growing complexity of Chinese activity in Taiwan’s ADIZ », London, Janes, April 4, 2023. URL: https://www.janes.com/defence-news/news-detail/strange-patterns-growing-complexity-of-chinese-activity-in-taiwans-adiz

Trajectoires des drones chinois, 4 août 2022 (source: Japan SDF)