L’héritage colonial japonais clairement lisible sur une carte touristique illustrée de Taïwan datée de 1954


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Formose/Taïwan est une île largement cartographiée depuis le XVIIe siècle, en particulier par les deux principales puissances extérieures qui s’y sont installées : les Hollandais au XVIIe s. ; les Japonais dans le premier XXe siècle. Nous nous intéressons ici à une série de cartes touristiques illustrées de la seconde moitié du XXe siècle, dont la plus intéressante, et à notre avis la plus belle visuellement, est datée de 1954.



Titrée « Illustrated map of Taiwan for tourist », elle figure les monuments symboliques les plus importants (à Taipei, le palais présidentiel de la République de Chine, en briques rouges ; les grands temples en province), les principales productions économiques (en particulier agricoles : ananas, bananes, sucre, riz, pastèques, etc), et les sites les plus remarquables (les « scenic spots », en particulier dans la montagne, et dans les régions à populations aborigènes).

Une observation attentive de l’iconographie et des illustrations de cette carte révèle une évidence : cette carte pourrait être titrée « L’empreinte positive de la période coloniale japonaise à Taïwan » ! Car y sont présents des édifices construits entre 1895 et 1945 (le palais présidentiel n’est autre que l’ancien Palais du Gouverneur-général japonais ) ; les lignes de chemins de fer qui ont structuré les axes de circulation dans la plaine occidentale, et pour partie désenclavé certaines zones de la montagne ; les routes de montagne, percées dans les années 1920-1930 ; les mines (de charbon), et les usines principales (raffineries de sucre, papeteries) ; les nombreux ouvrages hydrauliques (réservoirs, canaux) et les barrages et usines hydroélectriques (la plus célèbre étant, au centre, celle du lac de la Lune et du Soleil, par ailleurs devenue haut lieu touristique) ; l’exploitation forestière, qui explique le tracé de certaines lignes de chemin de fer de montagne ; etc.


Lignes de chemins de fer, routes, usines, barrages hydroélectriques, exploitations forestières….


La présence japonaise sur cette carte de ce qui est alors la « Province de Taïwan de la République de Chine », publiée sous la dictature de Tchang Kaï-chek et d’un Kuomintang très anti-nippon, nous paraît s’expliquer assez aisément : cette carte illustrée est largement une nouvelle version de cartes japonaises publiées dans les années 1930, et tout particulièrement autour de la grande exposition coloniale de 1935, présentée dans un post récent. On sait que Tokyo avait déployé alors les grands moyens pour faire venir à Formose le plus grand nombre de visiteurs japonais, asiatiques et occidentaux. Dont la distribution de nombreuses cartes de la colonie, et de plans de villes (en particulier de Taihoku/Taipei) ; y compris des cartes illustrées pour les enfants des écoles. La carte de 1954, vraisemblablement principalement destinée aux Américains présents à Formose à titre militaire (expulsés de l’île en 1945, les Japonais, par ailleurs alors idéologiquement non grata pour le régime de Tchang Kaï-chek, n’ont pas encore les moyens économiques de refaire du tourisme régional) nous apparaît donc comme un avatar inattendu des cartes japonaises des années 1930-1940. Et nous paraît paradoxalement continuer une mise en valeur iconographique de la colonisation.


Carte japonaise de 1933 pour manuel des écoles; et des années 1930, ci-dessous



Des cartes touristiques illustrées (« Pictorial maps ») de Taïwan de la même veine ont été publiées dans les années et décennies suivantes (avec des incertitudes fréquentes sur la date précise de l’impression). Outre qu’elle nous paraissent d’une qualité iconographique et d’une lisibilité nettement moindres que celle de 1954, il est intéressant de remarquer qu’elles sont également beaucoup moins riches sur les infrastructures économiques ex-japonaises. S’il reste les exploitations forestières et quelques mines (sans doute parce que situées dans les zones de montagne, là où il y a de la place pour les illustrations), plus d’usines littorales, plus de barrages et de conduites forcées… En revanche, des plages, des parasols, des zones de pêche de loisir (et la figuration d’abondantes ressources halieutiques), du folklore aborigène, etc. Plus tard, la Tour 101 de Taipei (inaugurée en 2005, et alors le plus haut édifice du monde), qui se substitue au palais présidentiel comme l’édifice le plus symbolique de Taipei ; et des planches de surf…


Carte des années 1960… On comparera sa zone centrale avec celle de 1954, ci-dessus



Carte ferroviaire et touristique, postérieure à 2005.