De la « Terreur blanche » (白色恐怖 ) à la Justice transitionnelle (轉 型 正 義) et à la Commission de vérité et de réconciliation


La « Terreur blanche » de la décennie 1950

La répression de 1947 (2-28) est le prélude à une décennie de « Terreur blanche » (白色恐怖), tout aussi sanglante, et qui décime intellectuels, artistes 1 et personnalités locales ; Continentaux, Taïwanais et Aborigènes ; communistes réels ou supposés, ou démocrates critiques, etc. La base de données de la Justice transitionnelle sur les procès de la Terreur Blanche 2 a recensé (provisoirement) 13 268 dossiers en 2020: 96,27% des personnes concernées sont des hommes, 55% sont des Taïwanais « de souche » contre 45% de Continentaux. 42,53% des condamnés étaient âgés de 19 à 29 ans. 50,7% des dossiers de procès politiques concernent la décennie 1950. 1153 accusés ont été condamnés à mort; 169 ont été condamnés à perpétuité; 1628 condamnés à des peines de 10 à 15 ans de réclusion, 1498 à une incarcération de 5 à 10 ans 3.

Pour le chercheur Vladimir Stolojan-Filipesco, qui y a consacré plusieurs études, « L’Incident du 228 et la Terreur blanche, les deux expériences les plus traumatisantes de l’après-guerre à Taïwan, n’ont pas sollicité le même degré d’engagement mémoriel. Si les massacres de 1947 occupent désormais une place emblématique dans la pensée indépendantiste, la Terreur blanche, épisode historique qui a couvert un éventail plus varié d’expériences, n’a pas la même portée symbolique. Il semble donc difficile de rattacher l’idée de mémoire collective aux récits des victimes de la Terreur blanche, car malgré l’existence de souffrances communes et les stigmates endurés par les familles de victimes de toutes parts, le travail d’homogénéisation des mémoires en un collectif, la mémoire est incomplète. 4»

Dans le contexte de la démocratisation et des débats sur le 2-28, la découverte de charniers de la Terreur blanche et la localisation de lieux d’exécutions ont entraîné la création de lieux de mémoire commémoratifs à Taipei surtout, ancrant la mémoire dans l’espace urbain. On a inauguré en 2008 à Taipei un monument national dédié aux victimes de la Terreur blanche, où se tiennent chaque 15 juillet, date anniversaire de la levée de la loi martiale, des cérémonies gouvernementales en mémoire des persécutions de l’ère autoritaire. Cette ouverture de lieux de mémoire ne va pas sans tensions politiques entre anciens communistes (pro-chinois, et qui gardent un silence entretenu depuis la clandestinité), indépendantistes et municipalités Kuomintang. Il y a des victimes concurrentes. Depuis 2011, le Musée national des droits de l’homme regroupe plusieurs sites de détention (Île Verte, prison de Jingmei) et a entrepris une collecte de mémoires d’anciens détenus.



2020: Inauguration de la base de données informatisées sur les victimes de la Terreur blanche


La Justice transitionnelle (轉 型 正 義) et la Commission de vérité et de réconciliation

Sous la pression d’associations de la société civile comme l’Association pour la vérité et la réconciliation un processus de justice transitionnelle (轉 型 正 義)5 a été installé au milieu des années 1990 par le président LEE Teng-hui 6, qui force ainsi la main des conservateurs du parti Kuomintang auquel il appartient7. LEE est le premier président de la République de Chine élu au suffrage universel, et né à Taïwan. La présidente TSAI Ing-wen (depuis mai 2016, DPP) après avoir souligné l’importance du processus de « justice transitionnelle » engagé par ses prédecesseurs, a mis sur pied en mai 2018 une Commission de vérité et de réconciliation inspirée du modèle sud-africain. Elle a pour mission de Qui travailler et sur le massacre 2-2-8 de 1947, et sur les violations des droits humains, et en particulier les crimes de la période de la Terreur Blanche : il s’agit d’établir et de chiffrer les faits,d’ en réhabiliter les victimes (distribution de certificats de réhabilitation aux familles des victimes, et indemnisation d’ayants droit, ce dernier volet n’ayant pas été contesté par le Kuomintang); et d’en reconnaître et juger les responsables.

Toutefois, les militaires (au sein desquels l’influence de l’ancien parti unique Kuomintang reste forte) se sont opposés à la révision globale des innombrables procès menés par les tribunaux militaires entre 1949 et 1987, arguant qu’ils ressortaient de logiques spécifiques (sédition, défense de l’institution, appartenance au parti communiste clandestin, lutte contre l’espionnage au profit de Pékin). La loi sur la sécurité nationale a confirmé la légitimité des anciens tribunaux militaires. La question de la réhabilitation et de l’indemnisation d’une partie des victimes reste donc posée, qui peuvent cependant pour certains recevoir un Certificat de réhabilitation de réputation qui n’invalide cependant pas les verdicts prononcés pendant la période de la loi martiale. Le processus de justice transitionnelle et de vérité et réconciliation s’inscrit donc dans la durée.


NOTES

1 Voir, par exemple, notre biographie du graveur HUANG : https://lesmotsdetaiwan.com/2021/12/20/lin-jiang-mai-%e6%9e%97-%e6%b1%9f-%e9%82%81-une-femme-au-declenchement-du-2-28-1947-huang-rong-can-%e9%bb%83-%e6%a6%ae-%e7%87%a6-1920-1952-graveur-sur-bois/

2 Taïwan Info (site gouvernemental), Justice transitionnelle : lancement d’une base de données sur les victimes de persécutions politiques, 27/02/2020. Cf. https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=47,50,53,56,59,62,65,68,71,74&post=172345

3 Source: Radio Taïwan International, 27/2/2021: https://fr.rti.org.tw/news/view/id/93813

4 STOLOJAN-FILIPESCO Vladimir, Justice transitionnelle et mémoires historiques à Taïwan : Comment la société taiwanaise fait face à son passé autoritaire , Perspectives chinoises, 2017-2, 134, p. 29-37. Cf.https://journals.openedition.org/perspectiveschinoises/7744. &: Transitional Justice and Collective Memory in Taiwan. How Taiwanese Society is Coming to Terms with Its Authoritarian Past, China Perspectives, 2017, no 2,  p.27-35.Cf.https://journals.openedition.org/chinaperspectives/7327?lang=fr

5 La justice transitionnelle est définie par l’ONU comme « l’ensemble des processus et mécanismes associés à la tentative d’une société de faire face à un héritage d’abus passés à grande échelle, afin d’assurer la responsabilité, de servir la justice et de parvenir à la réconciliation. »

6 HERAIT Alice, Taïwan : comment atteindre vérité et réconciliation sur la Terreur Blanche ? asialyst.com, 21/6/2016 (*Facs*) https://asialyst.com/fr/2016/06/21/taiwan-comment-atteindre-verite-et-reconciliation-sur-la-terreur-blanche/

7 Le Kuomintang disposant en permanence de la majorité au parlement jusqu’en 2016, y compris sous les deux mandats du président CHEN Shui-bian (陳水扁, PDP, 2000-2008), a pu à la fois inaugurer la justice transitionnelle et en baliser les limites, tout en accusant le DPP d’instrumentaliser politiquement et les événements du 28 février, et le processus de justice transitionnelle.


27 mars 2021: à Taipei, la présidente TSAI, le premier ministre SU et la présidente de la Commission de la justice transitionnelle YANG Tsui reçoivent des victimes réhabilitées de la répression et des ayants-droits

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