La réduction drastique du budget militaire 2025 par le Yuan législatif risque de peser lourdement sur les capacités de défense de Taïwan, et réduit la crédibilité de Taipei face à Pékin et à Washington


Le vice-président KMT du Yuan législatif, Chiang Chi-Chen, proclame l’adoption de la réduction du budget militaire, à Taipei, le 21 janvier 2025


Au Yuan législatif, la coalition KMT-TPP sabre le budget militaire

Depuis les élections législatives du printemps 2024, le Yuan législatif (le parlement taïwanais) est dominé par une coalition formée du Kuomintang (KMT, pro-Pékin) et du Parti du peuple taïwanais (TPP, centriste) : le Parti démocratique progressiste (DPP, autonomiste) du président Lai Ching-te y est donc minoritaire. Il vient de subir un camouflet par la décision de la coalition KMT+TPP, le 21 janvier 2025 (soit le lendemain de l’investiture de Donald Trump), de réduire drastiquement le budget de défense pour 2025, malgré les objections de la présidence et du DPP. Cette décision gèle le financement de plusieurs projets stratégiques planifiés dans le cadre de la modernisation de l’armée taïwanaise face aux pressions quotidiennes et multiformes de l’armée chinoise (APL).

Parmi les coupes notables:

1) Une réduction des investissements militaires : 35 % des nouveaux investissements prévus ont été supprimés, notamment la moitié du budget pour le développement de sous-marins, alors que Taipei se proposait de lancer la fabrication de plusieurs sous-marins de conception nationale (Indigenous defense submarine, IDS), après le lancement d’un prototype en septembre 2023 (le ROCN Narwhal, ou Hai Kun [海鯤號], ou SS-711).

2) La suspension de projets clés, en particulier la construction d’une usine de drones (Programme du « Drone National Team »), alors que ce type d’armes a pris ces dernières années une importance stratégique (voir les conflits en Ukraine et dans le Caucase) et que le retard par rapport à la Chine augmente.

3) La diminution des capacités de communication militaire : 60 % du budget dédié à la communication institutionnelle de l’armée ont été supprimés, ce qui nuira nécessairement à la lutte contre la désinformation multiforme menée par Pékin.

On notera que le Yuan législatif a également réduit le financement d’autres ministères, dont celui des Affaires étrangères, et diminué les frais de fonctionnement de la présidence. Cette décision intervient dans un contexte politique tendu où le président Lai ne dispose plus de majorité parlementaire, à la différence de sa prédécesseure la présidente Tsai Ing-wen. Le KMT, historiquement favorable à un rapprochement avec Pékin, s’oppose à l’approche de Lai, qui plaide pour un renforcement militaire et une intégration économique accrue afin de dissuader Pékin d’attaquer l’archipel.

Les conséquences militaires potentielles pour Taïwan

Les réductions budgétaires votées par le Parlement ont potentiellement des répercussions inquiétantes pour la sécurité nationale de Taïwan, face à l’intensification des menaces chinoises et aux exigences de Donald Trump.

1) Un affaiblissement des capacités militaires : la suspension des projets de modernisation, comme les sous-marins et les drones, freine le développement des capacités de défense asymétrique essentielles pour contrer une armée chinoise bien plus puissante, et qui multiplie les gesticulations militaires navales et aériennes autour de Taïwan.

2) Un impact sur les alliances internationales, alors qu’un changement majeur est intervenu à Washington : les coupes décidées par le Yuan pourraient être perçues comme un manque de détermination par les partenaires internationaux, notamment les États-Unis. Or, on sait que, depuis sa première présidence, Donald Trump n’a cessé d’exiger de ses alliés qu’ils augmentent (très) significativement leurs dépenses militaires pour pouvoir (éventuellement) bénéficier d’un soutien américain. Dans la proposition initiale de budget pour 2025, 2,45 % du produit intérieur brut (PIB) de Taïwan étaient consacrés à la défense : un pourcentage qui sera fortement réduit, alors que la Maison Blanche évoque ces dernières semaines un seuil exigible de 5 %… La réduction du budget taïwanais risque de compliquer les achats d’équipements militaires, comme les drones kamikazes promis par Washington.

3) Le vote du KMT est évidemment un message favorable à Pékin, qui ne manquera pas de l’exploiter dans sa propagande, et peut-être même quand il faudra négocier avec Donald Trump. Les divisions politiques internes exacerbées depuis des mois à Taipei et le recul budgétaire sur la défense envoient un signal de faiblesse du gouvernement de Taipei à la Chine, qui exploitera cette situation pour accroître sa pression militaire, et les actions de zone grise (désinformation, propagande, etc.). La Chine, qui considère l’île comme une province rebelle, pourrait interpréter ces décisions comme une opportunité stratégique, accentuant ainsi les risques d’escalade.


Le gouvernement de Lai et le DPP dénoncent donc les votes du KMT et du DPP comme « suicidaires », « irrationnels » et uniquement « partisans », estimant qu’elles mettent en danger la sécurité de la population et sapent la crédibilité de Taïwan sur la scène internationale. Il est vrai que ces votes ne pouvaient pas plus mal tomber en termes de calendrier international…


La présidente Tsai Ing-wen (DPP) lors de la cérémonie de baptême du sous-marin national Narwhal à Kaohsiung, le 28 septembre 2023.


Sources: revue de la presse taïwanaise et géopolitique; Le Monde, 24/1/2025