Une coalition bleu-blanc pour contrer le candidat vert, annoncée le 30 octobre. De nouvelles dynamiques – ou pas- dans la présidentielle taïwanaise ?


Deux candidats: alliés, ou rivaux? HOU et KO en août 2023


Le candidat vert LAI Ching-te (賴清德, DPP) reste, début novembre, le mieux placé dans les sondages pour remporter la présidentielle de janvier 2024, mais il pourrait dérailler si le Kuomintang (KMT) et le Parti du peuple de Taiwan (TPP) formaient un ticket commun d’opposition.

Le serpent de mer 2023 : l’accord bleu-blanc – à ce stade, pour les législatives

Un accord électoral pour la présidentielle et les législatives de janvier 2014 entre le Kuomintang (KMT, le parti bleu, avec HOU Yu-ih comme candidat désigné) et le Parti du peuple de Taiwan (TPP, le parti blanc, avec KO Wen-je comme candidat désigné) a été un serpent de mer tumultueux tout au long de l’année 2023. Il vient d’être annoncé et soulève plusieurs questions 1: son impact général sur la dynamique de la candidature présidentielle, alors que la campagne de HOU est enlisée, et que vient de surgir la candidature de « l’indépendant » GOU ; ses effets négatifs éventuels sur le candidat du Parti démocrate progressiste (DPP, le parti vert), l’actuel vice-président LAI Ching-te (alias William LAI)2 ; et son impact potentiel des relations pour le moins conflictuelles entre les États-Unis, la Chine et Taïwan.

Finalement donc, un accord de coalition, qui vise d’ailleurs plus les législatives que la présidentielle, a été annoncé le 30 octobre lors d’une conférence de presse, après de longues semaines de discussions3. Eric CHU, président du KMT, et KO Wen-je, candidat TPP, ont annoncé la constitution d’un « front uni pour une troisième vague de réformes démocratiques », à la fois pour la présidentielle, et pour les législatives. L’objectif étant évidemment de tenter de bloquer les chances du candidat vert LAI et, à tout le moins, de le priver d’une majorité parlementaire : sur les 113 sièges de députés au Yuan législatif, le DPP détient actuellement 62 sièges, le KMT, 37 et le TPP, 5. En l’absence d’accord effectif sur un ticket présidentiel, ce sont bien les législatives qui sont susceptibles de bénéficier de l’accord de coalition du 30 octobre.

Arrivera-t-on à un ticket présidentiel commun avant le 24 novembre?

Le vieux parti nationaliste Kuomintang (il a été fondé en 1912), en déclin structurel depuis plus d’une décennie, a perdu la présidence en 2016, est dans un marasme idéologique évident, et s’est déchiré sur la désignation de son candidat à la présidentielle de 2024. Il espère donc reconquérir la présidence. Très récent (il est apparu en 2019), le TPP entend se positionner comme parti centriste, « troisième force » entre le KMT et le DPP. Pour cela, il peut s’appuyer sur le soutien d’un électorat jeune, qui semble souhaiter une alternative au bipartisme de fait des deux dernières décennies4. Le candidat KO bénéficie effectivement de sondages plutôt flatteurs.


KO Wen-je, TPP, lors d’un débat sur le mix énergétique taïwanais


Le KMT espérait que KO, au coude à coude dans les sondages avec son candidat HOU, accepterait le poste de vice-président sur un ticket HOU-KO. Mais ce dernier préfère rester dans la course présidentielle, estimant que sa position de « troisième force » pourrait le propulser en tête en janvier. Dès lors, face à cet impossible ticket HOU-KO s’ouvrent des spéculations sur de possibles autres configurations, liées à la candidature de Terry GOU : une alliance HOU-GOU, ou une alliance KO-GOU. Ces deux configurations pourraient effectivement porter un coup sérieux à la candidature du vert DPP LAI Ching-te. Même si ce sont les tickets HOU-KO ou (surtout?) KO-HOU qui selon les sondages, remporterait à ce stade une victoire facile5. Mais si le KMT, le TPP et GOU ne s’accordent pas, LAI gardera toutes ses chances. Là encore, les candidatures devant être déposées devant la Commission électorale centrale au plus tard le 24 novembre, on saura alors quelle configuration aura le plus de chances de l’emporter.

Les dimensions internationales (chinoise et américaine) des configurations électorales.

Le KMT et le TPP, tous deux favorables à des relations plus amicales avec la Chine, visent également à « restaurer la paix et la stabilité » à travers le détroit de Taiwan, et à entamer le dialogue avec la Chine, ont-ils déclaré dans leur communiqué commun. Les sondages ne trompent d’ailleurs pas : interrogés lors d’une enquête d’opinion début octobre, 37,6 % des sondés estiment que des trois principaux candidats (LAI, HOU , KO) LAI est le candidat le moins susceptible de maintenir la paix et la sécurité entre les deux rives du détroit ; contre 15,3 % pour KO (TPP) et 12,3 % pour HOU Yu-ih (KMT)6.

On connaît LA priorité de Pékin : tout faire pour empêcher le candidat vert DPP « indépendantiste » de l’emporter, et de maintenir les autonomistes, stigmatisés comme indépendantistes, au pouvoir, alors que la Chine n’a toujours pas digéré l’élection de TSAI Ing-wen en 2016, et plus encore sa réélection en 2020. Dans cet objectif, les hypothèses les moins mauvaises sont, dans l’ordre, l’élection du KMT, ou l’élection d’un ticket KMT-TPP. La candidature de GOU est mal vue, et celle de KO seul représente un certain inconnu. En attendant, on ne peut douter que Pékin intervienne de toutes les manières possibles à Taïwan pour interférer dans le processus électoral, et orienter une partie de l’électorat vers « le bon choix » – celui des intérêts chinois.

Washington n’a pas de candidat officiel7. L’élection du vert LAI (qui exerce des responsabilités depuis 2016, et est donc bien connu) traduirait une continuité de fermeté autonomiste face à Pékin. KO est mal connu à Washington, de même que HOU. Pourtant, avec l’accord KMT-TPP récemment annoncé, Washington doit désormais réfléchir à un éventuel gouvernement de coalition bleu-blanc8. Qui aurait sans doute l’avantage de détendre les relations entre Taipei et Pékin, offrant ainsi un répit au moment où les Américains sont désormais engagés militairement et politiquement sur deux fronts, l’Ukraine et la Palestine ; et au moment où XI est confronté à des tensions économiques et politiques internes, qui sont censées limiter les risques d’une prochaine attaque chinoise contre Taïwan. Les Américains conservent donc une prudente attitude de non-ingérence dans la campagne électorale de l’archipel. Il sera toujours temps pour eux, après le 13 janvier, d’évaluer les différentes hypothèses de gestion politique des résultats, au mieux des intérêts américains.

NOTES

1 ZHONG David, « Coalition emerges to challenge ruling party in Taiwan », Washington DC., The Quincy Institute for Responsible Statecraft, Responsible Statecraft, Nov 13, 2023. URL: https://responsiblestatecraft.org/taiwan-presidential-election-2024-2666229486/

2 TENG Pi-ju, « Could a prospective opposition joint ticket block Lai’s path to the presidency? », CNA-Focus Taiwan, Nov.4, 2023. URL : https://focustaiwan.tw/politics/202311040002

3 AFP, « Les partis d’opposition de Taïwan s’associent pour les élections législatives », Agence France Presse, 30 octobre 2023.

4 DeAETH Duncan, « Poll says half of Taiwanese favor new party in presidential office », Taiwan News, Oct.13, 2023. URL : https://www.taiwannews.com.tw/en/news/5019548

5 TENG Pi-ju, « Could a prospective opposition joint ticket block Lai’s path to the presidency? », CNA-Focus Taiwan, Nov.4, 2023. URL : https://focustaiwan.tw/politics/202311040002

6 34,7 % des sondés ne savent pas. Cf. DeAETH Duncan, « Poll says half of Taiwanese favor new party in presidential office », Taiwan News, Oct.13, 2023. URL : https://www.taiwannews.com.tw/en/news/5019548

7 ZHONG David, « Does the US have a favorite in next Taiwan election?», Washington DC., The Quincy Institute for Responsible Statecraft, Responsible Statecraft, August 8, 2023. URL: https://responsiblestatecraft.org/2023/08/08/does-the-us-have-a-favorite-in-next-taiwan-election/

8 Laura Rosenberger, directrice de l’American Institute in Taiwan (l’ambassade américaine de facto), a donc récemment rencontré les trois principaux candidats LAI, KO et HOU.


Le trouble-fête et « faiseur de roi », Terry GOU, avec le candidat KMT HOU en mai 2023