Le président du Kuomintang (Parti nationaliste chinois, KMT), Eric CHU (朱立倫), avait annoncé le 22 mars que le parti n’organiserait pas de primaire, mais s’appuierait sur les sondages d’opinion, des « données scientifiques » (non précisées), et un bilan des candidatures déclarées1. Parmi celles-ci, deux noms se détachaient ces dernières semaines : celui du cofondateur de Hon Hai Precision Industry et ancien PDG de l’entreprise globale Foxconn, le milliardaire Terry GOU (郭台銘) ; et celui du maire KMT de New Taipei depuis 2018, HOU Yu-yi. Annoncé le 17 mai, le choix s’est porté sur ce dernier.

Eric CHU et HOU, candidat désigné, devant le portrait de SUN Yat-sen, 17 mai 2023
HOU Yu-yi (ou Yu-ih) est né en 1957. Il est d’origine hoklo, des Hans du Fujian installés depuis plusieurs siècles à Taïwan. C’est donc un benshengren, un Taïwanais d’origine, ce qui n’est pas très fréquent dans un Kuomintang pendant très longtemps dominé par les waishengren originaires du continent, arrivés à Taïwan en 1949. Diplômé de l’Université centrale de police il a mené sa carrière principalement dans la police criminelle, dont il a gravi tous les échelons2. Il a été directeur de l’Agence nationale de police (2006-2008), avant de présider l’Université de police (2008-2010). HOU a adhéré au KMT en 1975, mais n’a eu aucune activité politique connue pendant son activité professionnelle. A New Taipei (2000km2, 4 millions d’habitants), il a d’abord été premier adjoint au maire Eric CHU (actuel président du KMT, et candidat malheureux à la présidentielle de 2016). HOU est élu maire de New Taipei en décembre 2018, largement réélu en décembre 2022. Il bénéficie d’une réelle popularité dans sa commune, largement supérieure à sa base électorale KMT.
Le Kuomintang, tiraillé entre l’idéologie et l’électorat
Depuis la fin du parti unique et la démocratisation pluripartiste, le KMT est tiraillé entre ses positionnements idéologiques historiques et ses aspirations électorales3. Entre les conservateurs affirmés et autoritaires (des waishengren arrivés du continent en 1949, première et deuxième générations; idéologiquement “deep-Blue” : la Grande Chine, Taïwan comme composante de la ROC, « Une seule Chine », « le consensus de 1992 », l’objectif de réunification) et les modérés pragmatiques (souvent des Formosans des générations plus récentes, dans le contexte d’une taïwanisation générale). Les premiers ont été échaudés, voire traumatisés, par l’expérience LEE (un Taïwanais nippophone, élu président du KMT et du pays, devenu indépendantiste et pro-Vert). Les conservateurs tenaient à un processus décisionnel venant d’en haut, les modérés étant plus opportunistes. Ce qu’on a pu observer dans le bras de fer dans les années 2010 entre le président MA Ying-jeou (2008-2016), et le speaker du Yuan législatif WANG Jin-pyng. Ce qui a amené le KMT à choisir successivement plusieurs modes de désignation de ses candidats à la présidentielle (primaires, désignation, sondages) avec peu de succès (défaites en 2016 et 2020). Finalement, le débat est mis sous le tapis avec la désignation de HOU par CHU. Les conservateurs historiques « bleu foncé » au sein du KMT se méfient de HOU, considéré comme un modéré sur les questions inter-détroit, qui avait été nommé à la tête de l’Agence nationale de police par le président CHEN Shui-bian (DPP), et avait même été sollicité pour rejoindre le DPP en 2002. Du coup, certains le soupçonnent de n’être « bleu » qu’en surface, mais pas loin du « vert » en réalité… Un autre handicap possible pour HOU est le fait de n’avoir jamais exercé de responsabilité politique majeure à l’échelle du pays – présidence du parti, ou avoir occupé un poste de ministre, par exemple. Cependant, ces handicaps apparents pourraient devenir des avantages, en dédouanant HOU d’être trop lié aux positions « bleu foncé » du KMT, en particulier dans le tropisme chinois tel que MA Ying-jeou avait pu l’incarner pendant sa présidence (2008-2016), et encore pendant son récent voyage continental..
A ce jour, un programme flou et modéré
Au-delà de capitaliser sur son image de maire efficace de New Taipei, HOU n’est volontairement pas encore intervenu sur la gouvernance du pays, sur les questions idéologiques et les relations inter-détroit. Il considère Singapour comme un modèle. Il évoque une politique abstraite reposant sur les « principes 3D » (3D原則 ) : « l’approfondissement de la démocratie » (« 深化民主 »), le renforcement de la défense (« 强化國防 ») et le « dégivrage de l’hostilité » (« 降低敵意 »).

Sur l’incontournable « China factor », HOU est resté flou à ce jour. Il a déclaré en avril que « la République de Chine (ROC) et Taïwan [étaient] inséparables comme l’eau d’une tasse » (中華民國和台灣密不可分, 就像杯子和水 ) – une formule assez énigmatique. Et appelé la communauté internationale à reconnaître l’existence de la ROC. Il s’oppose à l’indépendance formelle de Taïwan, et à la formule chinoise « Un pays, deux systèmes ». Après le voyage remarqué de l’ancien président KMT MA Ying-jeou en Chine en mars-avril 2023, HOU a tenu, pour en atténuer l’impact, à rappeler l’importance de l’alliance avec les Etats-Unis. On le sait, la question des relations entre les deux rives du détroit sera centrale dans la campagne: le KMT peut se prévaloir d’avoir toujours maintenu des canaux de discussion avec Pékin, alors que Pékin a, dès le premier jour de la présidence TSAI en 2016, refusé d’entretenir le moindre contact officiel avec les « indépendantistes séparatistes » du DPP…
Réunir tout « le camp pan-Bleu », et même les « non-Vert » ?
En attendant plus de précision dans le programme du candidat, certaines sources au sein du KMT laissent entendre qu’une coalition d’opposition KMT (HOU) + TPP (KO) contre le DPP (LAI) serait possible4. Eric CHU a ainsi évoqué l’objectif non seulement « d’unir tout le camp pan-Bleu », mais aussi, éventuellement « d’unir tous les amis du camp non-Vert » (“要團結所有泛藍、非綠朋友”). Un double objectif difficile à atteindre à ce stade. Côté Bleu, HOU n’est pas le candidat des conservateurs du KMT historique. Certains analystes estiment que, pour le moment, HOU est plus un « Bleu-clair » qu’un « deep-Blue » à même de les satisfaire. Et, outre un candidat TPP KO bien encombrant, et qui veut faire au moins 5 % des suffrages, les « non-Vert » sont parcellisés. Finalement, la force principale de HOU, outre ses deux succès électoraux municipaux à New Taipei en 2018 et 2022, c’est peut-être ce flou susceptible de laisser de la place aux concessions indispensables à l’édification d’un front uni anti-DPP.
A suivre donc …
La com’ du KMT, ou comment faire « djeun » en jeans ..

On sait, à travers les enquêtes électorales (élections locales, législatives et présidentielles), que le KMT a du mal à se connecter avec les jeunes Taïwanais, et à se débarrasser de son image de parti de politiciens âgés, peuplé de caciques inamovibles liés à la Chine. Il y a peu de jeunes adhérents et militants au KMT, comparé au DPP. C’est sans doute aucun dans l’objectif de se débarrasser de cette image que la présentation de la candidature de HOU a rassemblé les dirigeants du KMT en jeans : un « coup de com » qui a suscité beaucoup d’ironie, voire de moquerie, sur les réseaux sociaux
NOTES
1 L’absence de clarté politique de ce processus décisionnel est critiqué dans : YEH Chieh-Ting, « KMT’s Lost Opportunity to Reinvent Itself Again for Survival », Taiwan Insight, 18/5/2023. URL : https://taiwaninsight.org/2023/05/18/kmts-lost-opportunity-to-reinvent-itself-again-for-survival/
2 En 2018, HOU a été accusé par William LAI, alors Premier ministre DPP, (et actuel candidat du DPP à la présidentielle de 2024) d’avoir fait partie des policiers qui ont tenté d’arrêter le 7 avril 1989 le militant pro-démocratie et éditeur d’une revue d’opposition (le Freedom Era Weekly ) CHENG Nan-jung (né en 1947), lequel s’était alors immolé par le feu dans son bureau de Taipei. La veuve de CHANG, YEH Chu-lan a exercé des responsabilités au sein du DPP dans la décennie 2000, en particulier comme maire de Kaohsiung en 2005-2006.
3 CHIU Adrian, « Battle for the KMT: For election or ideology? », Taïwan Insight,11/5/2023. URL : https://taiwaninsight.org/2023/05/11/battle-for-the-kmt-for-election-or-ideology/ ; HIOE Brian, « Internal Divisions, Regardless of the Outcome: The KMT’s Troubled Candidate Decision-Making Process », Taiwan Insight, 12/5/2023. URL : https://taiwaninsight.org/2023/05/12/internal-divisions-regardless-of-the-outcome-the-kmts-troubled-candidate-decision-making-process/
4 ROCTUS Jasper, « The KMT Selects Its Presidential Candidate: Can Uniting All Non-Green Friends Make Taiwan Go Blue in 2024? », Taiwan Insight,16/5/2023. URL : https://taiwaninsight.org/2023/05/16/the-kmt-selects-its-presidential-candidate-can-uniting-all-non-green-friends-make-taiwan-go-blue-in-2024/

Le candidat GOU (gilet noir) se rallie au candidat désigné HOU (blouson blanc), le 17 mai 2023